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Moyen Orient et Monde - 1/3 Le Golfe du futur

Chez les jeunes nations du Golfe, une obsession pour l’avenir

L’exploitation de leurs immenses ressources en matière d’hydrocarbures a permis aux pays du Golfe de devenir en un temps record l’épicentre économique du Moyen-Orient. Leur prospérité et leur stabilité sont toutefois menacées par la baisse des revenus du pétrole. Pour s’adapter à cette nouvelle ère, ces pays se transforment en profondeur sur les plans économique, politique et sociétal. Dans leur logique, le présent n’est qu’une rampe de lancement vers un futur encore plus radieux. « L’Orient-Le Jour » a réalisé une série d’articles pour tenter de comprendre les grands enjeux de cette métamorphose. Premier épisode aujourd’hui.

Des femmes saoudiennes à côté du pavillon saoudien de Vision 2030 à l’exposition Gitex 2018 à Dubaï, le 16 octobre 2018. Photo AFP

Nous sommes en 2071. Les Émirats arabes unis sont considérés comme la « première puissance mondiale », un siècle seulement après la création du pays par cheikh Zayed. Pure fiction ? Pas pour tout le monde. Mandaté par l’émir de Dubaï, Mohammad ben Rachid al-Maktoum, et par le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammad ben Zayed, le projet baptisé « Area 2071 », affiche clairement son ambition « de faire des EAU la première puissance mondiale d’ici à 2071, grâce à une série d’initiatives audacieuses dans divers secteurs ». Le projet ne fournit aucun détail sur la façon dont la jeune nation de moins de 10 millions d’habitants, dont moins d’un million d’Émiratis, va prendre le leadership mondial. Mais il résume à lui seul l’ambition démesurée qui anime les pays du Golfe, motivée par une obsession de l’avenir, qui s’apprête à les faire entrer dans l’ère de l’après-pétrole. La volatilité des prix du baril au cours de ces dernières années, l’accroissement de la compétition suite à l’arrivée du gaz de schiste sur le marché américain ou encore la baisse des réserves de brut sont autant de données qui imposent à ces pays de diversifier leurs économies majoritairement dépendantes des revenus de l’or noir.

Véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des dirigeants du Golfe qui rappelle que le temps leur est compté, les plans sobrement appelés « Vision » se sont multipliés au cours de ces dernières années. La stratégie n’est toutefois pas nouvelle. Dès les années 1990, le sultanat d’Oman lance l’initiative Oman 2030, aussitôt suivi par Bahreïn, alors que leurs réserves de pétrole s’amoindrissent et afin de mettre en place des réformes pour préparer l’avenir. Ils sont très vite talonnés dans les années suivantes par leurs riches voisins qui adoptent une mentalité similaire face à la nécessité de se réinventer. Aujourd’hui, chaque pays de la région porte en étendard son plan d’avenir : Vision 2030 pour l’Arabie saoudite, Vision 2021 pour les Émirats arabes unis, Vision 2030 pour Bahreïn, Vision 2035 pour le Koweït, Vision 2040 pour Oman. Les thématiques s’entremêlent : économie, finance, société, environnement, santé... Le but est de « créer une société dynamique dans laquelle tous les citoyens peuvent réaliser leurs rêves, leurs espoirs et leurs ambitions de réussir dans une économie florissante », disent, non sans lyrisme, des propos attribués à Mohammad ben Salmane, le prince héritier d’Arabie saoudite, sur la page d’accueil du site de Vision 2030, parmi un florilège de slogans.


(Lire aussi : Pourquoi le Moyen-Orient parie sur la Chine)


Entre réalité et science-fiction

Le lexique utilisé n’a rien d’anodin, à commencer par le terme « vision ». Cela renvoie à quelque chose d’irrationnel et en même temps de très personnel. La formule accrocheuse a un air de prophétie. « L’obsession pour les “visions” dans les pays du Golfe tient à leur besoin d’avoir des programmes de développement pour l’avenir et à leur faiblesse en termes de planification stratégique », estime Andreas Krieg, professeur au King’s College de Londres, interrogé par L’Orient-Le Jour. « En réalité, une vision définit de grands objectifs stratégiques pour l’avenir sans prescrire de stratégies détaillées pour y parvenir », explique-t-il.

La vision la plus folle, la plus futuriste, la plus pharaonique ? Sans aucun doute Neom, mégalopole du futur symbolisant l’ampleur des attentes du dauphin saoudien pour l’avenir de son pays. Planté aux abords du golfe de Aqaba et s’étendant sur 26 500 km² en plein désert saoudien, le projet présenté en 2017 nécessiterait 500 milliards de dollars d’investissements. Un montant faramineux pour une ville qui doit être construite de toutes pièces et qui veut rendre la science-fiction réelle en mêlant taxis volants, fausse lune ou encore robots dinosaures. Selon le Wall Street Journal, Neom « doit supplanter la Silicon Valley en termes de technologie, Hollywood en termes de divertissement et la Riviera méditerranéenne en termes de tourisme ». Pour encourager la venue des touristes, Riyad devrait permettre la distribution de visas pour les étrangers, a rapporté l’agence américaine Bloomberg, renversant les restrictions rigides pour pouvoir poser le pied sur le territoire saoudien.

Ces projets font les choux gras des sociétés de conseil sur lesquelles les pays du Golfe comptent pour les aider à transformer la région. Signe de leur engouement, le marché du conseil dans le Golfe a passé la barre des 3 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2018, soit une croissance de 9,1 %, selon un rapport publié en mars dernier par Source Global Research, une société de recherche et de stratégie sur les données relatives au marché mondial des services professionnels. Une demande notamment stimulée par le projet saoudien Vision 2030, mais également par les EAU à hauteur de 849 millions de dollars, soit une hausse de 7,3 %, nuance le magazine d’affaires Arabian Business.

La démesure des projets les rend parfois tout simplement impossibles à réaliser. « Très peu de ce que ces consultants occidentaux prescrivent est réellement réalisable à court ou à moyen terme », pointe Andreas Krieg. Ces visions « sont censées fournir aux citoyens une grande vision sur l’avenir, qui est en réalité très peu soucieuse des coutumes et des normes locales », poursuit-il. Un son de cloche nuancé par un consultant basé en Arabie saoudite contacté par L’OLJ. « Ce sont des projets faisables. Parfois trop ambitieux certes, mais s’ils arrivent à réaliser 50 % des projets annoncés, ce sera déjà très bien pour les pays concernés », commente-t-il.

Régimes autoritaires

Dans une région agitée et une économie à la stabilité relative, ces projets « offrent aux citoyens un sentiment de sécurité et de confiance en leurs dirigeants car ils démontrent les intérêts de l’autorité politique et les plans sur le long terme pour la prospérité de leurs citoyens », explique à L’OLJ Eman Alhussein, chercheuse invitée au European Council on Foreign Relations. « Étant donné que le système politique dans le Golfe autorise une participation politique limitée et sélective, ces “visions” se substituent au processus de décision car elles fournissent déjà aux citoyens des plans ambitieux pour les 10 ou 20 prochaines années », observe-t-elle.

Le soulèvement provoqué par le printemps arabe en 2011 et le ras-le-bol de la jeunesse restent un souvenir prégnant pour les États autoritaires du Golfe, qui ont violemment battu le fer pour empêcher toute propagation dans la péninsule Arabique. Ces aspirations au changement d’une jeunesse plus éduquée, plus interconnectée et plus sensibilisée aux revendications des populations voisines ne peuvent toutefois être ignorées.

Le rêve, la prospérité, mais également la stabilité : les visions visent à conforter les pouvoirs en place et à concrétiser les changements de modèle politique dans ces pays qui, tout en se modernisant et en se libéralisant, deviennent plus autoritaires et plus nationalistes. « Toutes ces “visions” soulignent l’importance de “l’identité nationale” qui va de pair avec la stabilité du système politique, puisque l’identité nationale souligne souvent l’importance des familles dirigeantes », note Eman Alhussein. « En conséquence, les “visions” ne sont pas seulement importantes pour les citoyens, elles constituent également une mesure de sécurité pour le pouvoir politique », poursuit-elle. À l’instar de l’Arabie saoudite, où 70 % de la population a moins de 30 ans et demeure frappée par le chômage et la baisse des revenus du pétrole, nourrir les espoirs pour l’avenir est une nécessité pour les autocrates du Golfe. Riyad a récemment levé certaines restrictions imposées aux femmes, leur accordant en juin 2018 le droit de conduire, ou encore d’obtenir depuis le début du mois dernier un passeport et de voyager à l’étranger sans l’accord d’un « tuteur » de sexe masculin, par exemple.

Les EAU ont donné l’exemple, avec Dubaï en tête de file. Les autres s’inspirent ouvertement de ce modèle, déclenchant entre eux une compétition pour savoir qui ira le plus loin, qui sera le plus futuriste. « Nous sommes l’un des pays les plus préparés pour l’avenir et nous sommes la nation la plus compétitive dans la région », écrivait récemment le Premier ministre des EAU, le cheikh Mohammad ben Rachid al-Maktoum, dans une lettre ouverte adressée aux Émiratis. Tout miser sur l’avenir est aussi un moyen de compenser la jeunesse de ces nations et de démontrer que leur existence n’est pas liée à la fin du pétrole. La démesure n’est finalement qu’une question de point de vue : qui était capable de placer Dubaï, considérée aujourd’hui comme l’une des villes les plus modernes du monde, sur une carte il y a cinquante ans ?


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commentaires (2)

A quoi sert de parler d'avenir pour une jeunesse quand les confettis des bouts de terre qu'ils occupent n'ont aucun avenir. Ça a vocation à disparaître dans les sables du désert.

FRIK-A-FRAK

13 h 45, le 05 septembre 2019

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Commentaires (2)

  • A quoi sert de parler d'avenir pour une jeunesse quand les confettis des bouts de terre qu'ils occupent n'ont aucun avenir. Ça a vocation à disparaître dans les sables du désert.

    FRIK-A-FRAK

    13 h 45, le 05 septembre 2019

  • y a t il jamais eu une etude Serieuse adressant le cas UNIQUE des petits pays du Golf , s'agissant justement de leur petitesse geographique ainsi que demographique vs l'ampleur de leurs espoirs d'avenir ? serait ce possible de voir leurs reves se realiser tenant compte des 2 1ers elements qui leur sont particuliers ? C'est comme s'il etait demande a un haltérophile de reussir un sprint de 40 metres ! ( pas trouve mieux comme exemple, mais l'idee est la quand meme )

    Gaby SIOUFI

    09 h 56, le 05 septembre 2019

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