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Liban - Sanctions

Les États-Unis tablent sur un renforcement du ressentiment des Libanais contre le Hezbollah

Le secrétaire adjoint au Trésor, Marshall Billingslea, fait assumer au parti chiite la responsabilité de la déstabilisation du Liban.

Une branche de la Jammal Trust Bank à Beyrouth. Anwar Amro/AFP

Dans une initiative inédite, le secrétaire adjoint américain au Trésor pour la lutte contre le financement du terrorisme, Marshall Billingslea, a envoyé hier à plusieurs médias libanais une tribune expliquant les raisons qui ont poussé Washington à sanctionner la banque libanaise Jammal Trust Bank, cherchant ainsi à s’adresser directement à l’ensemble des Libanais. Le responsable américain a frontalement attaqué le Hezbollah qu’il a pointé du doigt comme étant l’élément déstabilisateur principal au Liban sur les deux plans politique et économique, prenant soin tout le long de son message de clairement distinguer entre le parti chiite et le reste de la population et des institutions libanaises, présentées comme des victimes collatérales des activités du Hezbollah et de son mentor iranien.

« Durant des décennies, le Hezbollah a menacé la stabilité et la sécurité du Liban et de la région en recourant au terrorisme contre des civils innocents, exposant de manière inutile le Liban à des risques économiques et financiers, et portant atteinte à la souveraineté du pays et à ses institutions démocratiques », écrit M. Billingslea dans sa tribune dont L’OLJ a choisi de publier de larges extraits. « Il ne faut plus permettre au Hezbollah de priver la population libanaise d’un avenir démocratique dénué de la corruption et des interférences étrangères. C’est pour cela que le 29 août, le département du Trésor a sanctionné la Jammal Trust Bank qui est basée au Liban, la classifiant comme une entité spécialement désignée terroriste globale pour les services financiers qu’elle accorde au Hezbollah », poursuit le responsable américain.

Jammal Trust, qui opère au Liban depuis plusieurs décennies, est officiellement qualifiée par Washington d’organisation « terroriste » pour avoir fourni des services financiers au conseil exécutif du Hezbollah et à la Fondation des martyrs, basée en Iran.

Dans sa tribune, M. Billingslea dénonce également la complicité du député issu du bloc du Hezbollah, Amine Cherri, qui avait été frappé, ainsi que le chef de son bloc, Mohammad Raad, en juillet dernier de sanctions similaires.

« En travaillant ainsi avec Amine Cherri, les banquiers de Jammal Trust Bank et d’autres terroristes du Hezbollah constituent une tache sur la réputation financière du Liban et devraient être exclus de tous les cercles bancaires », poursuit le responsable américain.

Contacté par L’OLJ, M. Cherri a refusé de commenter « par souci, dit-il, de préserver le secteur bancaire et sa stabilité, d’autant que ce dossier est extrêmement sensible ».

Stratégie US

Les propos du secrétaire adjoint au Trésor s’inscrivent dans la stratégie suivie par l’administration américaine depuis que le bras de fer entre les États-Unis et l’Iran s’est corsé et que les sanctions visant l’Iran, le Hezbollah et leurs alliés dans la région se sont amplifiées.

Lors de son passage à Beyrouth en mars dernier, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo avait déjà annoncé la couleur en invitant les Libanais à couper le cordon ombilical avec le parti chiite qui, avait-il dit, « met le Liban et son peuple en danger ».

C’est dans des termes similaires que le président américain, Donald Trump, s’était adressé en mars dernier au peuple iranien, à l’occasion de la fête de Norouz (le nouvel an du calendrier persan), l’invitant à se dissocier du « régime dictatorial » en place, opérant ainsi une nette distinction entre « ceux qui aspirent à la liberté et à la prospérité », et le régime théocratique iranien.

Expert financier et président de la fondation « In Defense of Christians », Toufic Baaklini, un Libano-Américain proche des milieux de l’administration américaine, estime que les propos de M. Billingslea « reflètent parfaitement » la nouvelle stratégie américaine à l’égard de l’Iran et de ses acolytes dans la région. « Le message aux Libanais est le suivant : réveillez-vous et prenez enfin conscience que c’est l’ensemble du pays, toutes communautés confondues, qui est en train de payer le prix du comportement du Hezbollah », dit-il.

M. Billingslea a cherché sciemment à lancer un message conciliant aux épargnants de la Jammal Trust Bank, signe de la politique de dissociation, sur laquelle mise l’administration américaine, au sein de la communauté chiite.

« Nous sommes confiants dans le fait que la Banque du Liban va prendre les mesures nécessaires pour geler, fermer et liquider Jammal Trust Bank, tout en réglant sa large dette envers ses titulaires de comptes innocents, dont nombreux sont ceux que le Hezbollah prétend représenter. Le Hezbollah veut pousser le peuple libanais à croire que le parti est le protecteur du pays. Mais nous avons vu plutôt le contraire », a encore dit le secrétaire adjoint au Trésor dans une allusion notamment aux chiites indépendants.

Pour M. Baaklini, la pression se poursuivra implacablement. « Les États-Unis ne font pas et ne feront pas de distinction communautaire en matière de sanctions. Celles-ci ciblent et continueront de cibler tout individu ou société qui aide ou soutient, logistiquement et financièrement », le parti chiite. « Toutefois, dit-il, l’éventail pourra s’élargir pour englober à l’avenir des alliés politiques, quelle que soit leur appartenance communautaire. »

Selon Hanine Ghaddar, chercheuse au Washington Institute, la Jammal Trust Bank était « en tête de liste des banques visées et avait reçu plusieurs mises en garde auparavant ». « Cette nouvelle mesure à son encontre, dit-elle, est un message fort adressé à d’autres institutions bancaires qui risquent de subir le même sort si elles ne se plient pas aux règlements édictés. »


(Pour mémoire : Action collective lancée aux États-Unis contre des banques libanaises : l’ABL relativise)


Créer un schisme

Du côté du Hezbollah, on opte pour le mutisme. Contacté, le porte-parole du parti, Mohammad Afif, a refusé de commenter les propos de M. Billingslea. Un journaliste proche du parti, Fayçal Abdel Sater, a toutefois réagi en estimant que les propos du responsable américain « visent clairement à créer un schisme entre les Libanais qu’il cherche à monter les uns contre les autres, et entre le Hezbollah et sa base populaire. Ce qu’il ignore, c’est que le public du Hezbollah ne sera aucunement affecté par ce climat », dit-il.

Dans les milieux du mouvement Amal, la prudence est de mise. Un député du bloc parlementaire de Nabih Berry, Yassine Jaber, pèse ses mots et cherche à rassurer sans trop de conviction. « Il s’agit d’une guerre de sanctions déclarée qui n’a rien de surprenant après les propos tenus par M. Pompeo à Beyrouth, dit-il. Il faut toutefois relever que les sanctions ne sont pas prises de manière arbitraire et que l’impact ne sera pas direct sur le secteur bancaire libanais. » Cependant, selon lui, « il pourrait y avoir un impact indirect auprès du système bancaire international, qui pourrait développer une méfiance à l’égard des banques libanaises ».

Pour Farès Souhaid, ancien député et virulent critique du Hezbollah, « la frontière que l’administration américaine tente de tracer entre, d’une part, le secteur bancaire, les institutions et les intérêts du peuple libanais, et, d’autre part, le Hezbollah est virtuelle depuis le compromis présidentiel et l’intégration (du parti chiite) à un gouvernement qui, lui, n’a pas réussi à établir cette distance entre les deux camps ».

Selon M. Souhaid, cette dissociation n’est pas véritablement souhaitée par les États-Unis, même si ces derniers répètent à l’envi qu’ils ne veulent pas que le reste des Libanais ressente l’impact des sanctions. « Au contraire, l’administration US veut créer un choc et susciter un éveil forcé chez les citoyens dans leur ensemble afin qu’ils prennent conscience des effets pervers provoqués par les activités du Hezbollah sur les plans financier, économique et même social », conclut M. Souhaid.



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commentaires (11)

On ne prêche pas des convaincus. Les américains n'ont pas besoin de se donner autant de peine pour que le peuple libanais ait des ressentiments envers les foutteurs de trouble dans leur pays. Mais les ressentiments ne suffisent pas à détrôner ces gens là et Trump et Macron le savent très bien. Ce sont les Francais et les Américains qui ont donné des ailes à ces gens là le jour où ils ont plié bagages après les attentats qui ont coûté la vie à plus de 500 membres de leurs soldats. Ils nous demandent maintenant de nous en débarrasser, de couper le cordon? Comment ? Par une baguette magique?

Sissi zayyat

13 h 41, le 12 septembre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (11)

  • On ne prêche pas des convaincus. Les américains n'ont pas besoin de se donner autant de peine pour que le peuple libanais ait des ressentiments envers les foutteurs de trouble dans leur pays. Mais les ressentiments ne suffisent pas à détrôner ces gens là et Trump et Macron le savent très bien. Ce sont les Francais et les Américains qui ont donné des ailes à ces gens là le jour où ils ont plié bagages après les attentats qui ont coûté la vie à plus de 500 membres de leurs soldats. Ils nous demandent maintenant de nous en débarrasser, de couper le cordon? Comment ? Par une baguette magique?

    Sissi zayyat

    13 h 41, le 12 septembre 2019

  • C'est aux Libanais de régler le problème du Hezbollah . Cent ans après la création du Grand Liban , les Français n'ont plus envie d'envoyer des militaires risquer leur peau parce que le pouvoir libanais n'est pas capable de faire respecter la loi sur la totalité du territoire libanais !!!

    yves gautron

    17 h 24, le 02 septembre 2019

  • Je connais des chrétiens qui sont malheureusement avec le Hezbollah , j'ai été prise par surprise

    Eleni Caridopoulou

    08 h 56, le 01 septembre 2019

  • Le titre me fait un peu rire "les américains....tablent" Ils ne tablent sur rien du tout, ils s’en foutent totalement des libanais et de leurs sentiments. Tout ce qui nous arrivent depuis toujours est de leurs faute. Nous ne sommes qu'une petite conséquence insignifiante de leur politique qui consiste tout simplement à maintenir la tension au Moyen-Orient pour déposséder les arabes en leur vendant des armes.

    Shou fi

    19 h 32, le 31 août 2019

  • Tout ce que les américains seront capable de faire au Liban , c'est de provoquer sciemment une nouvelle guerre civile dévastatrice , et ils savent le faire !

    Chucri Abboud

    16 h 41, le 31 août 2019

  • N'ont ils pas fait la même chose du Vietnam à l'Afghanistan en passant par l'Irak , la Lybie et le Yémen ? Résultat de leurs calculs c'est finir par détaler après avoir tout détruit au passage. On ne le dit pas dans ce journal, mais en ce moment au Qatar ces amer-loques préparent une déroute contre les Talibans qu'ils avaient, encore une fois, rendu responsable de tous les maux de l'Amazonie... lol....

    FRIK-A-FRAK

    11 h 03, le 31 août 2019

  • c'est toujours la vision erronée des américains, eu Vietnam, en Afghanistan, en Irak, etc Ils ne se rendent pas compte qu'au Liban des libanais fanatiques de l'Hezbollah sont farouches pourfendeurs des ennemis de leur cause

    FAKHOURI

    09 h 50, le 31 août 2019

  • LE RESSENTIMENT EXISTE. L,ETAT N,EXISTE PAS POUR DEFENDRE LES CITOYENS CONTRE LES ABUS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 28, le 31 août 2019

  • Que le Hezbollah soit " l’élément déstabilisateur principal au Liban" est une évidence, mais il ne sera pas facile de "susciter un éveil forcé chez les citoyens dans leur ensemble". En effet, une partie des libanais collabore ouvertement avec la milice iranienne, et le reste tremble devant ses possibles réactions.

    Yves Prevost

    07 h 22, le 31 août 2019

  • Ces américains ne comprendront jamais la complexité de l'exception libanaise ....Tout leur travail est toujours erroné !

    Chucri Abboud

    00 h 29, le 31 août 2019

  • Gros soupir....

    LE FRANCOPHONE

    00 h 16, le 31 août 2019

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