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Économie - Éclairage

Sanctions américaines : ce qui attend Jammal Trust Bank

L’Association des banques du Liban assure qu’aucun autre établissement bancaire n’est dans le collimateur des États-Unis.

Le siège de Jammal Trust Bank à Adliyé (Beyrouth). Photo P.H.B.

Jeudi soir, le Trésor américain a annoncé sa décision de sanctionner l’établissement libanais Jammal Trust Bank (JTB), auquel les États-Unis reprochent de faciliter « les activités bancaires du Hezbollah » et de représenter une « menace directe à l’intégrité du système financier libanais », selon les termes de la sous-secrétaire au Trésor en charge de la lutte contre le financement du terrorisme, Sigal Mandelker. Une mesure appuyée dans la foulée par le secrétaire adjoint américain au Trésor pour la lutte contre le financement du terrorisme, Marshall Billingslea, dans une tribune au vitriol transmise jeudi soir à des médias libanais, dont L’Orient-Le Jour, via l’ambassade américaine à Beyrouth (voir par ailleurs).

Concrètement, les autorités américaines reprochent à la petite banque commerciale établie au Liban depuis 1963 – ses actifs représentent 0,4 % du total cumulé des actifs du secteur bancaire, pour des dépôts inférieurs à un milliard de dollars – d’avoir fourni des services financiers au conseil exécutif du Hezbollah et à la Fondation des martyrs, basée en Iran. « La principale conséquence, c’est que la JTB est désormais assimilée à une organisation terroriste et ne peut plus effectuer de transactions en dollars et donc traiter avec des banques correspondantes. Ses actifs vont être bloqués et sa gestion va être directement pilotée par la Banque du Liban (BDL) », explique à L’Orient-Le Jour l’une des sources interrogées. Les trois filiales de JBT basées au Liban, dont deux compagnies d’assurances – Trust Insurance S.A.L., Trust Life Insurance S.A.L – et une de courtage – Trust Insurance Service S.A.L. –, vont être également impactées.

Dans un communiqué publié sur son site internet, la direction de la JTB, à la tête de laquelle se trouve le banquier Anwar Jammal, lequel n’est pas réputé pour être proche du Hezbollah, a affirmé être très « surprise » par la décision des autorités américaines et a expressément rejeté les accusations dont elle fait l’objet. Assurant avoir toujours respecté la réglementation bancaire en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, la direction de la JTB a affirmé qu’elle allait « faire appel de la décision de l’OFAC (organisme de contrôle financier, dépendant du département du Trésor des États-Unis, NDLR) » devant les instances appropriées.

Clients angoissés

La banque a enfin assuré qu’elle allait désormais travailler en « coordination avec la BDL, la Commission d’enquête spéciale (autorité indépendante qui dispose du pouvoir exclusif de lever le secret bancaire dans des enquêtes liées à des opérations de blanchiment d’argent, NDLR) et toute autre entité pour préserver les droits de ses clients ». Un engagement également formulé au cours de la journée par le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, dans une déclaration faite au site Arab Economic News. Ce dernier a précisé que les dépôts « légitimes » des clients étaient garantis jusqu’à leur terme et que la Banque centrale avait suffisamment de liquidités pour les couvrir dans leur intégralité.

Ces déclarations n’ont pas suffi à calmer l’angoisse des clients de la JTB qui sont allés s’enquérir de la situation auprès des 25 agences de la banque réparties sur tout le territoire libanais et des bureaux de représentation en Côte d’Ivoire, au Nigeria et au Royaume-Uni.

« Pour l’heure, toutes les opérations sont a priori suspendues et les actifs de la banque sont bloqués par la BDL. Les cartes bancaires émises par la JBT ne peuvent plus fonctionner dans quelque distributeur automatique de billets que ce soit, ni au Liban ni à l’étranger. Les retraits en espèces sont bloqués, y compris via les guichets, et les chèques ne peuvent pas être décaissés, mais la banque propose des solutions pour ceux dont les salaires ou les pensions sont domiciliés à la banque (un engagement réitéré par la banque dans un communiqué publié l’après-midi, NDLR) », a exposé à L’Orient-Le Jour une source proche de l’une des agences de JBT. « Toutes ces mesures s’appliqueront jusqu’à nouvel ordre, mais les choses devraient commencer à se décanter en début de semaine prochaine », a-t-elle conclu.


Rachat des filiales dans l’assurance

« Nous entrons désormais dans une période de transition pendant laquelle la BDL va devoir gérer et solder les transactions en cours de la JTB et garantir les droits de ses déposants. Cela ne se fera pas en un jour », rebondit une autre source bancaire, qui estime « heureux » que la nouvelle soit tombée en fin de semaine, à la veille d’un week-end de trois jours (le lundi est férié à l’occasion du Nouvel An de l’Hégire). La situation est légèrement différente en ce qui concerne les sociétés d’assurances, dont les contrats ne seront en principe pas interrompus.

« Leur sort va dépendre des mesures que prendra la BDL pour régler la situation de la JTB. Le scénario le plus probable est que les contrats souscrits ou gérés par les trois filiales concernées soient rachetés par un autre acteur », suggère un assureur sous couvert d’anonymat. « Il est également possible que les deux compagnies d’assurances, Trust Insurance et Trust Life, changent de main. Des acheteurs potentiels se sont d’ailleurs manifestés au printemps et des discussions avec les dirigeants de la JTB ont eu lieu depuis », ajoute-t-elle, sans communiquer plus de détails. Hier après-midi, la commission de contrôle des assurances (ICC), rattachée au ministère de l’Économie et du Commerce, a indiqué qu’elle prendrait toutes les mesures nécessaires pour protéger les droits des titulaires des contrats.


(Pour mémoire : Action collective lancée aux États-Unis contre des banques libanaises : l’ABL relativise)


Parallèle avec la LCB

En attendant que la situation se précise, toutes les sources interrogées estiment que l’inscription de la JTB sur la liste de l’OFAC condamne la banque à suivre la même trajectoire que celle empruntée en 2011 par la Lebanese Canadian Bank (LCB), accusée à l’époque par les autorités américaines d’avoir blanchi de l’argent pour un groupe de trafiquants liés au parti chiite. Quelques mois plus tard, la LCB était absorbée par un des membres du top 10 libanais, la SGBL, avec la bénédiction de la BDL, qui avait facilité le financement de la transaction – estimée aux environs d’un demi-milliard de dollars.

« Si les accusations qui pèsent sur la JTB, à savoir le fait d’avoir assuré des services bancaires à des personnes et entités classées comme terroristes, ne sont pas identiques à celles qui avaient visé la LCB, les conséquences pour l’avenir de la JTB risquent malheureusement d’être les mêmes », explique une autre source bancaire à L’Orient-Le Jour. « Il est difficile de se prononcer sur un calendrier précis pour la suite des événements, mais les choses peuvent aller vite : pour la LCB, l’acquisition avait été finalisée moins de neuf mois après l’annonce des sanctions », ajoute-t-elle. Selon plusieurs sources concordantes, le candidat au rachat devrait être une des banques alpha du pays (les 16 établissements libanais dont les dépôts dépassent les 2 milliards de dollars, selon la classification du cabinet Bankdata). Certaines d’entre elles ont toutefois écarté la probabilité que l’un des membres du top 4 en termes d’actifs et de dépôts (Audi, BLOM, SGBL et Byblos) entre en jeu.


Rumeurs rejetées

Toujours est-il que la priorité pour les représentants du secteur bancaire libanais est désormais d’éteindre ce nouvel incendie, qui survient une semaine après la dégradation de la notation souveraine du pays par l’agence de notation américaine Fitch. Le soir de l’annonce de la décision américaine, l’Association des banques du Liban avait été l’une des premières à réagir en assurant que les sanctions imposées à JBT n’auront « aucun impact sur le secteur bancaire libanais, de quelque manière que ce soit ». L’association est revenue à la charge hier après-midi en publiant un deuxième communiqué dans lequel elle a rejeté les rumeurs selon lesquelles d’autres banques libanaises pourraient être à leur tour frappées par les sanctions américaines. Son président, Salim Sfeir, a déclaré, suite à une réunion à Baabda avec le président Michel Aoun, avoir eu l’assurance « côté américain » qu’il n’y avait pas de menaces pesant sur d’autres établissements libanais.

Le Liban n’est généralement pas considéré comme un mauvais élève en ce qui concerne le respect de la réglementation bancaire internationale en matière de transparence fiscale ainsi que dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. La BDL a d’ailleurs publié, au début du mois, une circulaire (n° 523 du 7 août 2019) dans laquelle elle a renforcé les règles régissant les relations entre les banques libanaises et les « banques écrans » dans ce cadre. Au milieu du mois, le Forum mondial sur la transparence fiscale (FM) – une organisation intergouvernementale ayant pour but d’assurer l’application des normes internationales d’échange d’informations fiscales – a jugé le Liban « largement conforme » en matière de mise en œuvre des normes internationales de transparence et d’échange d’informations fiscales sur demande.



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commentaires (3)

Excellent papier qui fait le tour de la question en évoquant l'historique, les conséquences prévisibles et en rassurant largement les épargnants. Reste à dire que l'interventionnisme ravageur des Etats-Unis - et pas qu'au Liban. - la BNP a payé cher - pave la voie aux devises alternatives comme Bitcoin. Lire l'analyse prémonitoire d'un Libanais, qui fait désormais autorité dans le monde entier, Saifeddean Ammous (livre existant en anglais, français et elle arabe je crois).

Marionet

09 h 14, le 31 août 2019

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Commentaires (3)

  • Excellent papier qui fait le tour de la question en évoquant l'historique, les conséquences prévisibles et en rassurant largement les épargnants. Reste à dire que l'interventionnisme ravageur des Etats-Unis - et pas qu'au Liban. - la BNP a payé cher - pave la voie aux devises alternatives comme Bitcoin. Lire l'analyse prémonitoire d'un Libanais, qui fait désormais autorité dans le monde entier, Saifeddean Ammous (livre existant en anglais, français et elle arabe je crois).

    Marionet

    09 h 14, le 31 août 2019

  • C,EST REGRETTABLE ET MALHEUREUX MAIS PROPRIETAIRES ET DIRECTION DE LA BANQUE SAVAIENT LE DANGER.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 30, le 31 août 2019

  • Silence assourdissant de H N....

    HABIBI FRANCAIS

    06 h 34, le 31 août 2019

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