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Idées - Commentaire

Le Liban face à son indéfinissable stratégie de défense nationale


Le Conseil supérieur de défense réuni mardi dernier à Beiteddine. Photo Dalati et Nohra

Au-delà des questions autour de leurs objectifs réels et de leur retombées géopolitiques et sécuritaires potentielles, les dernières attaques de drone menées ces derniers jours par Israël au Liban soulèvent également des interrogations relatives aux moyens institutionnels et stratégiques dont dispose le pays du Cèdre lorsqu’il est confronté à de telles menaces et violations de sa souveraineté. Car si, sur le terrain, l’armée libanaise a déjà eu l’occasion de tirer les conséquences de l’agression de dimanche en ouvrant le feu, mercredi dernier, sur deux drones de reconnaissance israéliens au Liban-Sud, les premiers éléments de réponse officiels sur les suites à donner à cette affaire semblent à nouveau souligner, en creux, qu’en sus de son handicap en termes de moyens opérationnels, la capacité de défense du pays continue de pâtir de l’absence d’objectifs stratégiques bien établis à moyen et long terme.


(Lire aussi : Raï appelle à la mise en place d’une stratégie de défense nationale)



Risques juridiques

À cet égard, les déclarations du président de la République, Michel Aoun, et du Conseil de défense supérieur (CDS) selon lesquels les « Libanais ont le droit de se défendre en utilisant tous les moyens étant donné que ce droit est protégé par la Charte des Nations Unies », soulèvent d’emblée des questions juridiques. Si le droit de légitime défense garanti par l’article 51 de la Charte onusienne consacre, en effet, le « droit naturel de légitime défense (…) dans le cas où un membre des Nations unies serait l’objet d’une agression armée », un acte de légitime défense ne peut être considéré comme tel que s’il est immédiatement consécutif à l’attaque pour arrêter son exécution. Or, en se tenant au silence sur la nature exacte de la riposte à venir, le CDS semble ouvrir la voie à des actions qui ne relèveraient pas tant de la légitime défense que des représailles armées. Ce type d’opérations à caractère punitif est majoritairement critiqué par la communauté internationale puisqu’il permet aux États de court-circuiter le Conseil de sécurité et est source d’instabilité internationale. Israël a d’ailleurs souvent été condamné par les Nations unies pour de telles opérations – comme en 1969 lors de l’attaque de l’aéroport de Beyrouth en réponse à une attaque palestinienne d’un avion israélien à Athènes –, et il est très probable que le Liban se fasse condamner dans le cas où de telles représailles armées surviendraient, en particulier du fait de leur acceptation tacite par le CDS.

Ces risques juridiques sont naturellement accentués par la couverture tacite que le CDS semble avoir donnée – notamment en choisissant de substituer le terme « les Libanais » à « l’État », pourtant seul acteur sur la scène internationale ayant le droit d’agir en légitime défense – à la riposte déjà annoncée dimanche dernier par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Une telle éventualité pourrait juridiquement transformer les combattants du parti de Dieu en « agents » de l’État libanais, engageant la responsabilité internationale de ce dernier. La Cour internationale de justice a, par exemple, décidé en 1980 que les militants iraniens ayant spontanément arrêté les agents diplomatiques étasuniens, avant de recevoir par la suite l’approbation de Téhéran, étaient devenus « des agents de l’État iranien dont les actes engagent sa responsabilité internationale. »

Au-delà des questions politiques et stratégiques qu’elle soulève, notamment en matière de monopole de la violence légitime, l’intégration du triptyque « Armée, peuple, résistance » dans la réponse institutionnelle à ces attaques – en particulier dans un contexte où la pression exercée par Washington contre l’Iran et ses alliés est à son zénith – risque donc d’exposer le Liban à un revers sur le terrain juridique, soit précisément celui sur lequel il a d’abord choisi de situer sa riposte.

Les récents évènements et les déclarations officielles illustrent en outre une certaine inefficacité organique du CDS en matière de définition stratégique. Créé en 1979 dans un contexte de guerre civile pour tenter d’améliorer le contrôle des pouvoirs politiques sur les institutions militaires, le CDS est composé du président de la République, du président du Conseil des ministres, des ministres de la Défense, des Affaires étrangères, des Finances, de l’Intérieur et de l’Économie, ainsi que de différents responsables militaires et des services de renseignements. Si cette composition est fidèle à ses objectifs initiaux et s’avère d’ailleurs semblable à celle de nombre de ses homologues étrangers, elle est aussi en partie un facteur de faiblesse dans le contexte politique libanais actuel. Le CDS se retrouve donc relégué à un rôle secondaire d’instance de règlement de crises conjoncturelles de nature parfois plus politique – comme le drame de Qabr Chmoun – ou purement sécuritaires – comme la lutte contre le trafic de drogue – que militaire. Il pâtit en outre des mêmes pratiques – de blocage et tractations permanentes notamment – qui affectent le bon fonctionnement de la plupart des institutions politiques du pays.


(Lire aussi : Sleiman à « L’OLJ » : Nasrallah ne veut pas d’une stratégie de défense)


Livre blanc

Ces lacunes soulignent, par conséquent, la nécessité de doter cet outil d’une véritable stratégie de défense nationale définissant de manière précise le rôle des différents acteurs de la sécurité extérieure et les principes devant guider les réponses apportées aux différents enjeux qui se posent en la matière. Si, pendant longtemps, une certaine conception de la neutralité diplomatique et stratégique du pays, ainsi que des facteurs historiques – tels que l’importance des milices armées dans la vie politique libanaise ou la tutelle syrienne – ont empêché l’élaboration d’un tel outil, cette incapacité s’est prolongée depuis. En 2012, le président de la République Michel Sleiman avait ainsi proposé la discussion et l’élaboration interpartisane d’une stratégie de défense nationale. Basée sur trois volets (les menaces externes et internes ; les réponses à ces menaces et les principes de la stratégie de défense), elle devait notamment permettre aux différents acteurs de s’entendre « sur le mécanisme convenable (...) qui mette les armes de la résistance à la disposition de l’armée » Mais en raison de l’extrême sensibilité et de l’importance politique de ce dernier point, cette discussion n’a jamais eu lieu. Sans nier le caractère central de cette question des armes de la résistance dans la définition d’une stratégie globale, la discussion et l’élaboration, par un collège plus large d’acteurs issus des cercles militaires et universitaires notamment, d’un Livre blanc de la défense nationale au début de chaque législature pourrait néanmoins faciliter la sortie d’une logique de réaction « au coup par coup » dans des domaines où ce nœud gordien ne devrait pas constituer un obstacle insurmontable. Si elle ne saurait bien sûr permettre, à elle seule, au pays de surmonter ses handicaps structurels en matière de défense, une telle initiative constituerait un premier pas pour répondre au besoin de rationalisation des décisions sur biens d’autres sujets stratégiques tels que : l’intégration des outils de défense cybernétiques aux moyens conventionnels ; la diversification des équipement militaires et de leurs pourvoyeurs ; ou le recentrage du rôle de l’armée sur les problématiques de contre-espionnage et de protection des frontières. Et, à plus long terme, de concevoir les outils qui permettraient au Liban de se donner les moyens stratégiques d’une neutralité « opposable » plutôt qu’imposée.

Par Philippe BOU NADER
Doctorant en droit international des conflits armés et consultant en intelligence économique.


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commentaires (6)

ZETES DROLES , vous parlez de strategie NATIONALE ? serieusement ?

Gaby SIOUFI

11 h 04, le 06 septembre 2019

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Commentaires (6)

  • ZETES DROLES , vous parlez de strategie NATIONALE ? serieusement ?

    Gaby SIOUFI

    11 h 04, le 06 septembre 2019

  • Arrêtez de tourner en rond comme des derviches tourneurs. Revenez à la Déclaration de Baabda votée à l'unanimité des participants à la table du dialogue national de Baabda le 11 juin 2012 qui stipule dans son article 12 : Garder le Liban à l'écart des conflits et des axes régionaux et internationaux..." Nul ne peut renier le vote à l'unanimité de ladite Déclaration.

    Un Libanais

    16 h 46, le 02 septembre 2019

  • Bravo d'avoir mis les points sur les i. Une difficulté supplémentaire; est qu’Israël n'a pas revendiqué l'envoi des drones, donc Il n'est pas établi que notre ennemi est derrière cette action. En tout cas si un jour le Hezb remet ses armes à l'Etat libanais ça sera la panic en Israël car leurs frontières seront moins sûres. L'occupation de Chebaa n'a qu'un seul sens à mon avis qui est de garder la légitimité de la résistance libanaise, car ils ont peur des moudjahidin suicidaires incontrôlables. Au moins le Hezb et le régime syriens tiennent paroles et ne permettent pas des actions individuelles contre Israël sans décisions politiques, et cela semble avoir était un élément décisif pour empêcher effondrement de l'Etat syrien.

    Shou fi

    20 h 42, le 31 août 2019

  • Excellente analyse de la situation qui prévaut . Mais définissons d'abord l'enjeu de cette avalanche d'hostilités entre le Pays du Cèdre et le voisin du Sud . Le mot Palestine a malheureusement disparu de tous les vocabulaires et des discours officiels des pays avoisinants . Personne n'en a plus cure . Que reste-t-il ? Une seule chose : Une confrontation entre deux expansionismes terribles et déterminés , qui n'ont presque plus laissé de place à un troisième plus au Sud et qui perd de plus en plus sa contenance . Israel, Iran, Arabie Séoudite . Notre stratégie de défense , si elle veut rester nationale ( entreprise bien difficile et presque impossible , hélas ! ) devra se baser d'abord et avant tout sur le danger de voir notre pays succomber à son triste destin d'État-Tampon , en essayant malgré tous les avatars , les contextes délicats et la fragilité de sa balance , de s'orienter enfin vers une vraie neutralité juridique qui , en le sauvant , péparerait toutes les conditions pour faire du Liban ce creuset , cette plauqe tournante et incontournable , ce siège international du dialogue et des institutions spécialisées qui postule sa vocation première . Ce rêve est encore possible , mais il faut d'abord calmer les ardeurs et les impulsivités néfastes de nos chefs et de nos leaders , tous confondus .

    Chucri Abboud

    09 h 14, le 31 août 2019

  • STRATEGIE DE DEFENSE NATIONALE AVEC LA MILICE IRANIENNE C,EST TOUT MAIS PAS NATIONAL ! C,EST DE LA RIGOLADE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 35, le 31 août 2019

  • Etant donné que le Liban officiel s'est complètement désisté de son rôle de preneur de décisions il proclame que «les Libanais ont le droit de se défendre en utilisant tous les moyens »... La bonne blague!! Et voilà que les libanais le prennent au serieux et s'amoncellent devant l'ambassade canadienne pour se défendre en fuyant cette comédie tragique. Mina el massaibou ma youdhikou...

    Wlek Sanferlou

    22 h 59, le 30 août 2019

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