La polémique concernant l’interdiction de territoire israélien à deux élues démocrates américaines continue d’enfler. Jeudi, l’État hébreu a refusé l’entrée à Ilhan Omar et à Rachida Tlaib en raison de leur soutien au mouvement de boycottage. Cette interdiction faisait suite à l’appel à Israël, lancé par le président américain Donald Trump, dont les deux femmes sont des adversaires politiques, de leur fermer les portes. « Elles haïssent Israël et tout le peuple juif et il n’y a rien qui puisse être dit ou fait pour leur faire changer d’avis », a soutenu dans un tweet le milliardaire républicain qui les accuse d’antisémitisme. L’Aipac (American Israel Public Affairs Committee), le principal lobby pro-israélien aux États-Unis, a critiqué la décision israélienne tout en désapprouvant le soutien des deux élues de la Chambre des représentants « au mouvement anti-Israël et antipaix BDS ». Rachida Tlaib, qui a finalement été autorisée hier à se rendre en Israël pour « une visite humanitaire à sa grand-mère », a renoncé à son entreprise. Aaron David Miller, vice-président au centre Wilson à Washington et ancien conseiller auprès de six secrétaires d’État américains, répond aux questions de L’Orient-Le Jour.
Comment expliquez-vous la décision israélienne d’interdire l’entrée aux deux élues démocrates américaines ?
Il y a deux versions. Le Premier ministre israélien, qui s’apprêtait initialement à accueillir les deux élues, prétend qu’il y aurait eu subitement un changement d’itinéraire qui, du point de vue israélien, n’était pas acceptable, d’où la décision de leur interdire l’entrée. La version alternative est que les Israéliens n’étaient pas contents de cette visite mais qu’ils étaient prêts à laisser faire. Sauf que la campagne officieuse et officielle du président Trump contre ses opposantes les a fait changer d’avis. Je ne suis pas sûr qu’on puisse totalement comprendre le micmac derrière cet épisode mais il en résulte que, aux yeux du monde entier, Benjamin Netanyahu a obéi à Donald Trump. Le résultat qui en découle ne peut être que mauvais pour les États-Unis comme pour Israël.
(Lire aussi : Israël interdit l'entrée sur son territoire à deux élues américaines)
Pourquoi l’Aipac s’est-il détaché de cette prise de position ?
L’un des objectifs fondamentaux de cette organisation est de cultiver les relations avec tous les membres du Congrès afin de pouvoir promouvoir un agenda pro-israélien. L’Aipac devait défendre le droit qu’un parti puisse envoyer sur le terrain sa propre délégation.
Quelles peuvent être les conséquences de cette décision sur les relations entre Israël et le Parti démocrate ?
Cela dépend du poids réel qu’ont ces deux élues au sein du parti. Ilhan Omar et Rachida Tlaib représentent-elles une nouvelle génération de démocrates qui espère modifier la politique américaine au Moyen-Orient, notamment sur le conflit israélo-palestinien, et ont une certaine influence pour pouvoir le faire ?
Ou bien, malgré ce que Trump espère faire, c’est-à-dire entacher l’image du Parti démocrate, l’attachement à Israël reste-t-il très fort au sein du Parti démocrate ? Je ne crois pas que les deux élues démocrates puissent être en mesure de changer la donne, quand bien même le parti se montrerait de plus en plus critique envers Israël et la politique américaine pro-israélienne.
Pensez-vous que cet épisode va creuser le fossé entre les juifs américains et le gouvernement israélien ?
Oui, en effet. Sur les cinq millions et demi de juifs aux États-Unis, moins d’un tiers se rend à la synagogue ou adhère à une organisation juive. Parmi les activistes juifs, il y a beaucoup de critiques, notamment parmi les jeunes démocrates, envers la politique de Netanyahu et la colonisation. La plupart des juifs votent démocrate et cela pourrait être de nouveau le cas lors de l’élection présidentielle de 2020. Mais en termes de relations entre Israël et les États-Unis, je ne vois pas venir de sitôt une nouvelle administration qui évoquerait la possibilité de couper les aides, dénoncerait la colonisation, ou tiendrait tête à l’État hébreu devant l’ONU. Je ne vois pas d’altération fondamentale de ces liens.
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commentaires (5)
En politique très pudiquement on appelle ça, renvoyer l'ascenseur.... Puisque le premier doit au deuxième. Mais dans le cas de Trump, le président du pays géant... On constate qu'il joue le rôle du petit garçon de l'ascenseur depuis son élection. Pouvait-il faire autrement ?
Sarkis Serge Tateossian
11 h 50, le 17 août 2019