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Idées - Budget 2019

L’austérité n’est pas la solution

Manifestation de quelque milliers de fonctionnaires mercredi 17 avril 2019 dans le centre-ville de Beyrouth. Mohamed Azakir/Reuters

Alors que le Liban est au bord d’une crise économique et financière majeure, le budget pour l’année 2019 adopté le 19 juillet par le Parlement contient de nombreuses mesures d’austérité destinées, notamment, à enrayer la spirale d’une dette publique record (environ 150 % du PIB en 2018). Le bien-fondé de telles mesures est cependant douteux dans un pays dont la situation économique est caractérisée par des infrastructures publiques en piteux état, une pauvreté croissante et l’un des taux d’inégalités les plus élevés au monde.

Pour s’attaquer à la crise de la dette, le gouvernement a annoncé un large éventail de mesures budgétaires, parmi lesquelles : la réduction des salaires et des pensions de retraite dans le secteur public; l’augmentation des taxes sur les importations et sur les billets d’avion ; des frais additionnels pour les plaques d’immatriculation, les vitres teintées et les permis de port d’arme ; la baisse des financements destinés aux ONG. Marginales et incohérentes, ces nouvelles mesures risquent très probablement de s’avérer également inefficaces. Les conclusions du rapport de juillet du FMI sur le Liban vont d’ailleurs dans ce sens : les réformes adoptées sont clairement insuffisantes pour collecter suffisamment de revenus. Pis, le fardeau de cette politique d’austérité devrait frapper de plein fouet les catégories les plus vulnérables de la population, tandis que réformes visant les classes les plus aisées – comme, par exemple, les taxes sur les vitres teintées –, s’avèrent davantage symboliques qu’à même de réduire significativement le déficit public. Autrement dit, les Libanais les plus riches, premiers responsables de l’endettement du pays, ne sont pas réellement impliqués dans l’effort collectif de réduction de la dette.


(Lire aussi : Fête de l'armée : Aoun appelle tous les Libanais à consentir des sacrifices)



Impôt général et progressif

Certes, il n’existe guère de modèle universel de politiques publiques pour réduire l’endettement souverain, ces dernières dépendant en grande partie des institutions, de l’histoire et de la situation économique de chaque pays. Cependant, et compte tenu des caractéristiques de l’économie libanaise – principalement une forte pauvreté, un niveau d’inégalités très élevé et une faible intervention étatique –, il existe des alternatives préférables aux mesures d’austérité contenues dans le budget.

Un premier pas notable vers une réduction significative de la dette publique pourrait être franchi avec l’instauration d’un système d’imposition progressive des revenus et du patrimoine. La substitution d’un impôt général sur le revenu – portant sur l’ensemble des sources et de revenus et de profits – à l’actuel impôt cédulaire sur le revenu (qui taxe séparément les salaires, rentes et revenus du capital) permettrait ainsi de simplifier le système, d’élargir significativement l’assiette d’imposition, de faciliter la collecte et de lutter plus efficacement contre l’évasion fiscale. Cela permettrait en outre de corriger le caractère régressif du système actuel : la taxation séparée de chaque source de revenu taxe dans une moindre mesure les revenus des plus riches (qui reçoivent des revenus de sources différentes) et rapporte moins que l’application d’un taux unique (et progressif) à l’ensemble des revenus perçus.

Cette réforme devrait naturellement être accompagnée d’une augmentation du taux d’imposition marginal supérieur, extrêmement faible par rapport aux standards internationaux (il se situe, par exemple, autour de 41 % en moyenne pour les pays de

l’OCDE). En cela, les mesures fiscales dans le nouveau budget, qui incluent l’ajout de nouvelles tranches imposant à hauteur de 25 % les salaires et bénéfices industriels et commerciaux supérieurs à 150 000 dollars, représentent un pas dans la bonne direction. Elles s’avèrent cependant insuffisantes. Par ailleurs, une augmentation de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur les intérêts (dont le taux, à 17 %, est l’un des plus faibles au monde) permettrait d’augmenter aisément les recettes publiques.



(Lire aussi : Les principales dispositions de la loi de finances de 2019)


Mieux taxer le patrimoine

S’agissant du patrimoine, l’introduction d’une taxe exceptionnelle sur les capitaux privés, et en particulier les biens immobiliers, pourrait constituer un autre levier significatif pour la baisse de l’endettement public. Dans les pays riches tels que les États-Unis, la France ou la Chine, les capitaux privés représentent en moyenne 600 % du revenu national total. Un impôt forfaitaire de 15 % sur les capitaux privés générerait l’équivalent de presque une année entière de recettes publiques (90 %, pour être exact). Il est certes difficile d’évaluer la valeur totale des capitaux privés au Liban. Cela étant, un simple coup d’œil aux données du classement annuel de la fortune des milliardaires établi par le magazine Forbes (qui, comme pour nombre de pays, constitue la seule source d’estimation disponible en la matière), suffit à confirmer que les milliardaires libanais semblent très bien se porter : entre 2005 et 2016, leur fortune représentait en moyenne 20 % du revenu national, contre 2 % en Chine, 5 % en France et 10 % aux États Unis.

Ces divergences de ratios ne suggèrent pas seulement une très forte concentration de la richesse au Liban, mais aussi que le rapport entre la valeur totale des capitaux privés et les recettes publiques est similaire si ce n’est supérieur à celui de la France, des États Unis ou de la Chine, où il avoisine donc les 600 %. En d’autres termes, on peut déduire de ces données que la valeur totale des capitaux privés devrait se situer dans une fourchette comprise entre 400 % et 700 % des recettes publiques (sinon plus !). Cela n’est d’ailleurs guère étonnant, au vu du dynamisme des secteurs bancaire et immobilier. En se basant sur les hypothèses précitées et sur les données macroéconomiques du site du Laboratoire sur les inégalités mondiales (WID.world), l’établissement d’un impôt forfaitaire sur la fortune pourrait générer entre 60 % et 110 % de recettes publiques supplémentaires, ce qui représenterait environ 30 % à 60 % de la dette publique.

L’adoption de cette réforme fiscale majeure serait d’autant plus avantageuse que le système fiscal libanais peine actuellement à générer des revenus suffisants. Lors des années précédentes, les recettes fiscales représentaient en moyenne 15 % du PIB – contre une moyenne de 34 % dans les pays de l’OCDE – tandis que les impôts cumulés sur les revenus et le patrimoine culminaient à environ 6 % du PIB. La marge d’augmentation de ces derniers pour améliorer les recettes publiques est donc significative. Cette voie constitue le meilleur moyen d’assurer une participation égalitaire à l’effort de réduction de la dette publique tout en évitant une aggravation ultérieure de la pauvreté et des inégalités, et par conséquent une grave crise politique et sociale. Elle devrait donc être la priorité des pouvoirs publics.

Ce texte est aussi disponible en anglais et arabe sur le site de Diwan, le blog du Carnegie Middle East Center.

Lydia Assouad est doctorante à l’École d’économie de Paris et titulaire de la bourse el-Erian au Carnegie Middle East Center


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commentaires (4)

Mais est ce sage d’augmenter l’impôts sur le revenue d’intérêts ?! Je serai d’accords dans une certaine mesure, mais il faut comprendre une chose que la plupart des épargnant expatrier font envoyer leur argent dans les banques libanaises principalement à cause des impôts très lourds pour certain dans leur pays d’adoption et des Intérêts

Bery tus

06 h 28, le 12 août 2019

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Commentaires (4)

  • Mais est ce sage d’augmenter l’impôts sur le revenue d’intérêts ?! Je serai d’accords dans une certaine mesure, mais il faut comprendre une chose que la plupart des épargnant expatrier font envoyer leur argent dans les banques libanaises principalement à cause des impôts très lourds pour certain dans leur pays d’adoption et des Intérêts

    Bery tus

    06 h 28, le 12 août 2019

  • ÇA SERA LARGEMENT SUFFISANT SI NOS DÉPUTÉS ET NOS NOMBREUX MINISTRES ACCEPTENT UN TRAIN DE VIE PROCHE DE CEUX DU NORVÈGE PAR EXEMPLE. IL FAUT COMMENCER PAR LÀ DÉJÀ, ET LE RESTE FONCTIONNE TOUT SEUL.

    Gebran Eid

    12 h 07, le 10 août 2019

  • L,AUSTERITE EST NECESSAIRE MAIS ELLE N,EST PAS LA SEULE SOLUTION. ELLE DEVRAIT ETRE ACCOMPAGNEE DE PROJETS DE RELANCE ECONOMIQUE ET FINANCIERE. ET SURTOUT PAR L,ASSAINISSEMENT DU SECTEUR PUBLIC DANS TOUTES SES RAMIFICATIONS ET A COMMENCER PAR DEGAGER LES ABRUTIS INCOMPETENTS RESPONSABLES DES DEBOIRES DU PAYS, RECUPERER LES MONTANTS VOLES ET LES PUNIR.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 44, le 10 août 2019

  • Avant de chercher désespérément des sources supplémentaires de revenus fiscaux, il serait beaucoup plus judicieux, facile, et efficace de traiter les causes du déficit, à commencer par le gaspillage. Les plus gros des dépenses publiques passent dans l’EDL, les salaires des fonctionnaires, et la santé publique. En admettant qu’on ne touche pas à la santé publique, il reste l’EDL et les salaires des fonctionnaires. Privatiser EDL. Augmenter les salaires des fonctionnaires. Oui, augmenter! Mais avant, se débarrasser de tous les inutiles (80%?)...

    Gros Gnon

    10 h 05, le 10 août 2019

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