Rechercher
Rechercher

Panier percé

Telle une malédiction poursuivant parfois les fortunes jalousées, le phénomène affecte plus d’une dynastie de milliardaires : une première génération œuvre, à la force du poignet, à jeter les bases de ce qui deviendra un véritable empire ; la deuxième se démène, avec plus ou moins de bonheur, pour faire fructifier l’affaire familiale ; et c’est souvent la troisième génération qui, de désastreuse gestion en dilapidations effrénées, fiche en l’air la belle entreprise familiale. N’est-ce pas une telle banqueroute qui nous guette, à la veille du centenaire de la proclamation de l’État du Grand Liban ?


Plus d’une fois, certes, dans l’histoire contemporaine de notre pays, des coups de canif – et même parfois de hachoir – ont été portés au contrat, pourtant non écrit, par lequel les diverses familles spirituelles se promettaient de vivre ensemble en paix et en harmonie. Il faut cependant davantage que du papier collant pour recoller les morceaux d’un engagement politico-moral régulièrement soumis à toutes sortes de sévices. Mais serait-il même énoncé noir sur blanc, ce pacte national, qu’on ne serait pas plus avancé, à l’heure où la pratique politique, ouvertement articulée désormais sur les revendications sectaires, se moque des astreintes et contraintes fixées par les lois, et à leur tête la plus fondamentale de celles-ci, la Constitution qui se retrouve soudain, du moins dans les faits, au centre du débat.


C’est vrai qu’il n’est guère parfait, ce texte issu de l’accord de Taëf de 1989 qui mettait fin à une calamiteuse guerre de quinze ans en procédant à un rééquilibrage des prérogatives et pouvoirs entre les trois pôles, maronite, chiite et sunnite, du pouvoir. Ainsi, plus d’une provision en est sujette à interprétation, le chef de l’État allant même jusqu’à inviter tout dernièrement le Parlement à se prononcer sur l’article relatif au recrutement des fonctionnaires.


Ardent avocat d’une présidence forte, Michel Aoun n’a jamais fait secret de son aversion pour Taëf qui était, pour lui, le prélude à une déconfiture militaire suivie d’un long exil en France. Dans son discours pour la fête de l’Armée, jeudi, il faisait pourtant sensation, en proclamant son attachement à cet accord. Deuxième surprise, cette vibrante profession de foi était accompagnée, en prime, d’un appel à l’abandon du langage et des pratiques du passé qui portent atteinte, a-t-il souligné, aux impératifs de la coexistence. Était-ce là un simple partage des rôles ou un authentique rappel à l’ordre à son gendre et dauphin quasiment déclaré dont les récentes outrances verbales ont été souvent perçues comme d’intolérables provocations et, de surcroît, ont passablement plombé le régime ?


Nulle Constitution n’est définitive et intouchable ; fort légitime dès lors, aux yeux de nombreux chrétiens, est la quête de certains amendements, ne serait-ce qu’au vu des blocages récurrents dont souffre le système, et qui portent invariablement la griffe du Hezbollah. Dernier en date de ces grippages : l’impuissance du gouvernement (vieille déjà d’un mois) à se réunir pour débattre des incidents interdruzes de Qabr Chmoun, question qui donnait lieu hier à un échange acerbe de piques entre le palais de Baabda et la présidence du Conseil.


Pour défendable cependant que puisse être la cause d’une Constitution revisitée, ce sont ses propres défenseurs qui posent problème. Pour commencer, on aurait beau jeu de rappeler que s’il y a eu Taëf, c’était bien là le résultat d’une déconfiture militaire des régions chrétiennes, dans laquelle le général Aoun porte une grande part de responsabilité. Sans remonter au déluge (car c’en était bien un, de fer et de feu!), la frénésie revendicatrice du chef du parti présidentiel ne fait qu’apporter des torrents de salive au moulin du durcissement que connaissent en ce moment les diverses communautés, les prétentions de l’une portant les autres à l’intransigeance. Cette radicalisation ambiante, les instances chrétiennes n’y échappent pas elles-mêmes, comme le montre la triste affaire de l’anathème lancé contre un groupe de rock local.


Tout se passe en définitive comme si le pays, dans sa composition absolument unique, était désormais livré à ces héritiers indignes dont il était question plus haut : véritables naufrageurs d’entreprises s’évertuant, à qui mieux mieux, à dilapider le trésor national.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Telle une malédiction poursuivant parfois les fortunes jalousées, le phénomène affecte plus d’une dynastie de milliardaires : une première génération œuvre, à la force du poignet, à jeter les bases de ce qui deviendra un véritable empire ; la deuxième se démène, avec plus ou moins de bonheur, pour faire fructifier l’affaire familiale ; et c’est souvent la troisième...