Les forces armées syriennes sont engagées depuis fin avril dans une bataille contre la région d’Idleb et le nord de Hama, qui échappent au contrôle de Damas. Cette offensive, appuyée par Moscou, a provoqué la mort de plus de 790 civils et fait plus de 400 000 déplacés, en trois mois. L’Iran, qui est intervenu à la rescousse de Bachar el-Assad en s’engageant militairement dès le début du conflit en 2011, est le grand absent de la bataille qui oppose le camp loyaliste au camp rebelle et jihadiste. Thomas Pierret, chargé de recherche au CNRS (Paris) et à l’Iremam (Aix-en-Provence), explique les raisons de cette absence pour L’Orient-Le Jour.
Pourquoi les forces iraniennes ne sont-elles pas engagées dans la bataille d’Idleb ?
Il y a plusieurs hypothèses possibles. L’Iran essaie de faire profil bas sur le plan militaire en Syrie depuis 2018 essentiellement en raison des frappes israéliennes, et étant donné l’accord tacite entre l’État hébreu et la Russie, on peut imaginer que les Iraniens veulent éviter de mettre à mal leurs relations avec Moscou. Il y a une certaine logique dans le fait que l’Iran n’a pas envie d’envoyer de nouveau de la chair à canon dans une opération, parce qu’il n’y est pas obligé et de toute manière les Russes lui demandent de rester discret. L’Iran n’interviendrait de manière significative dans cette bataille, en envoyant des effectifs qui permettraient de faire la différence au sol, que s’il obtient quelque chose en retour comme un changement dans la politique russe et un regain d’influence. L’Iran n’a pas de raison d’aider les Russes ou le régime, notamment en sachant qu’il y a eu une tentative russe récente de diminuer l’influence iranienne sur l’appareil sécuritaire syrien.
Par ailleurs, sur le plan militaire, intervenir à Idleb ne coûte pas grand-chose aux Russes si ce n’est le prix des munitions et des heures de vol. En revanche, les Iraniens interviennent au niveau de l’infanterie, ce qui constitue d’importantes dépenses, comme par exemple indemniser les familles de soldats tués. L’intervention en Syrie est décriée sur le plan intérieur. L’Iran n’est pas au mieux financièrement et on évoque les difficultés financières du Hezbollah, donc cela fait qu’il n’est pas prêt aujourd’hui à se lancer dans de grandes aventures militaires en Syrie.
Il y a une autre hypothèse également qui concerne la relation Iran-Turquie. On parle beaucoup du rapprochement russo-turc, mais il ne faut pas oublier qu’Ankara et Téhéran ont au moins un intérêt commun qui est la question kurde. Il est certain que les Iraniens ont une politique de duplicité avec le PYD (Parti de l’union démocratique), mais ils ont quand même intérêt à ce que le projet indépendantiste kurde ne se concrétise pas. Donc s’engager dans une campagne de grande envergure à Idleb, c’est quelque chose qui est susceptible de créer des tensions avec la Turquie. Enfin, il y a une dernière explication possible à la non-participation de l’Iran dans la bataille d’Idleb. Maintenant qu’ils ont sauvé Assad, ce qui était l’objectif principal, les Iraniens ont une approche extrêmement localisée de leurs intérêts en Syrie et ils identifient certaines zones, comme la frontière libanaise et le Sud pour la proximité avec Israël, la frontière avec l’Irak et la région au sud d’Alep. Idleb n’est pas pour eux une région pour laquelle ils sont prêts à perdre des pasdaran et des miliciens.
(Lire aussi : Le partenariat russo-turc à l’épreuve de la bataille d’Idleb)
La non-participation au sol des Iraniens sur les fronts de Hama et d’Idleb est-elle une des raisons qui fait que l’armée syrienne peine à gagner du territoire sur les rebelles ?
En effet. On voit bien que, là où le bât blesse, c’est au niveau de l’infanterie et que pour que l’armée syrienne réalise la moindre avancée, elle doit envoyer la meilleure troupe, soit les Forces des tigres, dirigée par Souhail el-Hassan. Il n’y a très peu, voire peut-être pas, de moments dans la guerre en Syrie où le régime a fait la différence au sol sans l’appui des Iraniens.
Est-ce que les Iraniens peuvent être amenés à changer d’avis et s’engager aux côtés de leurs alliés à Idleb ?
Je ne suis pas certain que la Russie veuille vraiment reprendre tout Idleb, et qu’elle soit favorable à ce que l’armée syrienne arrive à Bab al-Hawa. Parce que cela signifierait la fin du partenariat entre la Russie et la Turquie. En sachant également que la question des réfugiés est devenue absolument centrale pour les Turcs, ils ne peuvent pas se retrouver avec un afflux de millions de Syriens, et ont donc besoin de garder une zone. L’Iran de son côté ne va pas risquer sa relation avec la Turquie. Je penche plutôt vers l’idée que Moscou souhaite une reprise partielle, avec éventuellement une ouverture de l’autoroute Damas-Alep.
Lire aussi
Trois mois d’horreur dans la province d’Idleb
De Berlin à Idleb, un rebelle syrien décide de reprendre les armes
A Idleb, le régime syrien engagé dans une "guerre d'usure"
À Idleb, le quotidien d’une « prison pour hommes libres »
A Idleb, les jihadistes contrôlent les rouages de la vie publique
commentaires (5)
Je pense que c'est l'amérique du clown , l'europe des poltrons et israel des pleutres qui évitent d'envoyer des "hommes" , s'il leur en reste , au combat . C'est donc bien eux qui utilisent des arabes contres d'autres arabes ! L'Iran est dans l'ère du balistique , visez un peu le Yémen , les amis . Et si vous regardez bien les choses , visez le Liban aussi .
FRIK-A-FRAK
11 h 44, le 03 août 2019