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Crise de foi

À travers le Liban, patchwork unique de communautés dans un Moyen-Orient qui n’en a pas l’habitude, et dans un monde où le réflexe de repli communautaire n’en finit plus d’effrayer, il existe une multitude de personnes qui, à l’échelle individuelle ou au sein d’organisations non gouvernementales et associations, s’appuient sur leur foi pour aider l’autre, faire avancer la société, pallier les absences et multiples déficiences de l’État.

À travers le Liban, aujourd’hui et par le passé, il existe des citoyens, religieux ou laïcs, qui mettent ou ont mis en œuvre, consciemment ou pas, les valeurs sociales de leur religion, chrétienne, musulmane ou autre. À commencer par le père Grégoire Haddad, « évêque des pauvres » relevé de ses fonctions pour avoir voulu révolutionner l’Église. En fait de révolution, l’homme cherchait avant tout à revenir aux enseignements du Christ, notamment dans leur dimension sociale.

Au Liban, il existe une foule de personnes comme le père Fadi Daou, directeur de la fondation Adyan, qui dénonçait, il y a quelques jours dans nos colonnes, la « crise d’hystérie » autour de l’affaire Mashrou’ Leila. « La valeur ajoutée du Liban est qu’il est le berceau des libertés, avec à leur tête la liberté de croyance et la liberté d’expression. Ce sont les chrétiens en premier qui doivent les sauvegarder et les défendre », disait-il, fort à propos.

Pour tous ces Libanais, et ils sont nombreux, l’annulation du concert de Mashrou’ Leila prévu le 9 août, par un Festival de Byblos sous pression d’une entreprise de diabolisation, est un terrible désaveu.

Aujourd’hui, ces Libanais sont tristes. Effarés et tristes de lire que dans leur pays, exception au sein d’une région qui a le bâillonnement facile, l’on annule le concert d’un groupe qui s’est déjà produit à de multiples reprises au Liban, mais aussi à New York ou encore à l’Olympia, « pour éviter une effusion de sang et préserver la sécurité et la stabilité ».

Ces Libanais sont outrés de voir une nouvelle digue tomber face à la défense de la liberté d’expression, de la liberté artistique, de la liberté de pensée.

Ces Libanais sont tristes de voir que certains de leurs concitoyens étaient prêts à proférer les pires menaces pour arriver à leurs fins : l’annulation du concert. Effarés de voir que ces personnes sont celles-là mêmes qui ont oublié, bafoué, profané les valeurs essentielles de la chrétienté qu’ils prétendent pourtant défendre en s’attaquant à Mashrou’ Leila.

Choqués de voir que la justice libanaise, qui n’avait rien trouvé à redire au groupe et à son concert, ne pèse finalement pas grand-chose face aux injonctions d’une instance religieuse, en l’occurrence la commission épiscopale au sein du Centre catholique d’information, appuyée par des partis qui auraient, étant donné la situation économique, environnementale et sociale du pays, tellement mieux à faire. Une justice qui n’a pas jugé utile, en outre, de s’attaquer à ceux qui, vraiment, menaçaient le Liban, à savoir quelques excités prêts à coiffer le heaume et à sortir l’épée pour empêcher quatre artistes de chanter. Le tout avec un lexique qui ne fut pas sans rappeler les sinistres éructations des pires groupes jihadistes du moment.

« Si tu as peur pour ta foi à cause d’une chanson, reconsidère ta foi, pas la chanson », pouvait-on lire, lundi soir, sur une pancarte brandie par une jeune femme lors d’un rassemblement de soutien à Mashrou’ Leila sur la place Samir Kassir, à Beyrouth.

Cette peur, de pseudo-responsables, au lieu de la contenir, de l’apaiser, de la raisonner, l’ont instrumentalisée, alimentée. Délétères agitations qui menacent, réellement cette fois-ci, le Liban message, le Liban ouvert, le Liban phare.

Aujourd’hui, toute personne ayant un minimum de responsabilités politiques ou religieuses serait bien avisée, pour le Liban lui-même, de revenir à la racine de la religion : religare, c’est-à-dire relier. Relier les gens entre eux, les relier au sein d’une communauté, les relier avec les autres, au lieu de s’employer à creuser de nauséabondes tranchées.

En jouant avec le feu des plus bas instincts communautaires, les responsables impliqués dans ce dossier n’ont réussi qu’à pousser plus de Libanais encore à perdre la foi… dans leur pays.

À travers le Liban, patchwork unique de communautés dans un Moyen-Orient qui n’en a pas l’habitude, et dans un monde où le réflexe de repli communautaire n’en finit plus d’effrayer, il existe une multitude de personnes qui, à l’échelle individuelle ou au sein d’organisations non gouvernementales et associations, s’appuient sur leur foi pour aider l’autre, faire avancer la...

commentaires (8)

la liberté est-elle une valeur absolue? oui sans hésitation.les libertés vraies des un et des autres ne s'arrêtent pas l'une en face de l'autre... n’interagissent "librement" mais il faut climat pour cela:tolérance ,bienveillance,etc... les balises qu'une société libre peut s'imposer (encore une fois librement) sont souvent inspirés des "valeurs" sociales uniformément admise... et encore.

Abbas Mroue

10 h 53, le 13 août 2019

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Commentaires (8)

  • la liberté est-elle une valeur absolue? oui sans hésitation.les libertés vraies des un et des autres ne s'arrêtent pas l'une en face de l'autre... n’interagissent "librement" mais il faut climat pour cela:tolérance ,bienveillance,etc... les balises qu'une société libre peut s'imposer (encore une fois librement) sont souvent inspirés des "valeurs" sociales uniformément admise... et encore.

    Abbas Mroue

    10 h 53, le 13 août 2019

  • Il y a 50 ans..... le chef incontesté de la nation arabe: https://www.france24.com/fr/20121002-video-nasser-moquait-freres-musulmans-voile-islamique-egypte-laicite Quelle régression depuis!

    Bachir Karim

    15 h 28, le 02 août 2019

  • Pour ce qui me concerne personnellement, Jésus est le sens même de ma vie. Ce que je constate : si le Christ, le fils de Dieu, voulait absolument que l’on extermine ceux qui le touchent, il ne se serait pas laissé crucifier au premier chef. Pour moi, petit homme chrétien, il y a donc matière à tirer un enseignement de cette attitude... Personnellement, je n’ai pas envie d’aller voir Machrou’Leila, et si tout le monde était Chrétien, dans les mêmes proportions, ce groupe n’aurait pas de spectateur... Sauf que la réalité de notre société est autre. Ce n’est pas une raison de cesser d’être Chrétien le temps de détester, et de condamner, ceux qui n’ont pas le même avis. Car à ce moment-là, en voulant défendre la chrétienté, j’irai contre l’enseignement du Christ. C’est comme cela que je suis Chrétien: je désapprouve, je m’explique, mais je ne condamne pas. Malheureusement, au Liban, ce n’est pas l’éthique religieuse qui inspire l’exemplarité de la classe politique, c’est la politique véreuse qui dénature le message des instances religieuses...

    ABINADER Mario

    23 h 38, le 31 juillet 2019

  • La liberté d'expression comprend la liberté d'offenser. Elles vont de pair. Si je ne suis libre d'exprimer que ce qui n'offense personne, je n'ai pas de liberté d'expression.

    Yeomans Roger

    19 h 17, le 31 juillet 2019

  • A quoi sert la liberté si elle est entachée de blasphèmes venant d'un artiste d'une autre religion que celle qu'il ironise à travers les paroles de sa chanson ? Quoiqu'il en soit si j'étais proche dudit groupe j'aurais préconisé que l''as des as Hamed Senno ironise sa communauté afin que je sois certaine que nos compatriotes musulmans conçoivent avec plus de tolérance et d'indulgence que nous autres la liberté d'expression .

    Hitti arlette

    18 h 31, le 31 juillet 2019

  • Attention. Ne criez pas trop "Haro sur le baudet". Ouvrez bien les yeux, c'est sur un lion vaillant que vous criez. Il est chez lui dans sa tanière. Les Libanais sont chez eux au Liban. Les Libanais ne se mêlent jamais des affaires des autres et demandent la réciprocité.

    Un Libanais

    17 h 55, le 31 juillet 2019

  • Vérité en deça des pyrénées.....erreur au delà! Le Liban dans le Tiers Monde? Déplorable, incroyable!!! Combien c'est triste! Et le Message, le berceau des civilisations?

    Zaarour Beatriz

    16 h 50, le 31 juillet 2019

  • Où sont la liberté d'expression et la liberté artistique dans l'oeuvre du groupe "Mashrou' Leila" ? Je ne permets à personne de se moquer et de ridiculiser ma croyance religieuse. La liberté des uns s'arrête là où commence la liberté des autres. Je ne me moque de personne et j'exige la réciprocité. Dans un autre pays dit arabe que le Liban, le groupe serait déjà dans les abysses des geôles ou jeté du haut d'un immeuble de 10 étages.

    Un Libanais

    16 h 12, le 31 juillet 2019

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