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Liban - polémique

Le concert de Mashrou' Leila est annulé, la bataille pour la défense des libertés se corse

Les organisateurs du Festival de Byblos justifient leur décision par le souci de préserver la stabilité et d’éviter « l’effusion de sang ».

Mashrou’ Leila, en concert le 7 avril 2017, au Dubai International Marine Club. AFP / KARIM SAHIB

Une fois de plus, l’État par sa passivité a laissé la rue, relayée par certaines instances religieuses, dicter ses règles et imposer ses desiderata. Le couperet est tombé : le groupe libanais Machrou’ Leila ne se produira pas sur les planches de Byblos.

La décision, qui a été pratiquement imposée aux organisateurs du festival, placés devant le fait accompli après la recrudescence de menaces proférées contre le groupe, a été motivée par le souci d’éviter « l’effusion de sang » et de compromettre la stabilité. Un peu comme si le pays était en guerre et que, de surcroît, il ne disposait d’aucun service d’ordre pour mettre au pas une poignée de jeunes Libanais se disant offusqués dans leurs croyances, qui ont menacé de recourir à la violence pour empêcher le concert.

Au final, deux malheureuses phrases – probablement « de mauvais goût », comme l’ont relevé plusieurs mélomanes et commentateurs – glissées dans l’une des chansons composant le répertoire du groupe, une photo de Madonna placée sur une icône de la Vierge accolée à un article partagé, en 2015, par le chanteur du groupe, Hamed Sinno, et vraisemblablement l’homosexualité affichée de ce dernier ont constitué les ingrédients rêvés pour enflammer les esprits.



(Lire aussi : Mashrou' Leila : « Nous sommes fermement attachés au respect des croyances d’autrui »)



Saisie par un prêtre excommunié, connu sous le nom de père Théodore, puis par des activistes chrétiens d’extrême droite qui ont cru bon entamer une croisade contre les membres du groupe accusés entre autres de « dépravation », l’affaire a fini par prendre une dimension démesurée, entraînant dans ses sables mouvants l’Église aussi bien que les partis politiques concernés qui ont laissé faire avant de tenter une récupération de dernière minute.

En revenant sur les faits, l’on constate avec amertume que l’État, censé prendre en main cette affaire de bout en bout et canaliser la folie ambiante suscitée par cette polémique, s’est retranché une fois de plus, laissant la rue arbitrer à sa place.

Au final, et après un communiqué au ton ferme publié lundi par la commission épiscopale pour les médias au sein du Centre catholique d’information, qui a réclamé à cor et à cri l’annulation pure et simple de la représentation, les organisateurs du festival ont décidé en dernière minute de mettre un terme à cette bataille kafkaïenne, pour éviter les débordements.

« Dans une mesure sans précédent, et à la suite de développements successifs, le comité organisateur du festival a été contraint d’annuler le concert de Mashrou’ Leila afin d’éviter une effusion de sang et dans le but de préserver la sécurité et la stabilité, contrairement aux comportements de certains » (allusion à ceux qui ont proféré des menaces de mort), indique un communiqué publié par les responsables du festival. « Nous déplorons ce qui s’est passé et nous nous excusons auprès du public », conclut ce court texte.

Craignant que des éléments perturbateurs ne s’infiltrent dans la salle de concert et menacent la sécurité des lieux et des artistes, le comité directeur du festival a finalement décidé de déprogrammer le spectacle. Les organisateurs se sont engagés à rembourser, dès lundi 5 août, le prix des billets.

Avant de trancher, des membres du comité du festival organisateur avaient rencontré en matinée le président de la commission épiscopale pour les médias, Mgr Boulos Matar.

Selon les organisateurs, Mgr Matar « a fait montre de souplesse et de compréhension au cours de la rencontre et s’est dit disposé à revenir sur les termes de son premier communiqué, si le groupe s’acquittait de ses promesses en présentant des excuses ».

Mais le mal était déjà fait et le retour en arrière devenu quasiment impossible. « Dans un tel contexte, et à l’ombre des menaces de mort proférées contre les membres du groupe, des accusations infondées et des insultes qui continuent de pleuvoir, il était préférable d’annuler, d’autant que les artistes, ébranlés au plus profond d’eux-mêmes par ces développements ubuesques, auront du mal à offrir sur scène ce qu’ils ont de mieux », confie à L’OLJ un des organisateurs.


(Lire aussi : Crise de foil'édito d'Emilie SUEUR)


Le droit à la différence
Aussitôt la décision d’annulation prise, les membres du groupe ont publié un long communiqué dans lequel ils reviennent sur les différentes étapes de la campagne de diabolisation orchestrée contre eux, dénonçant un scénario fabriqué de toutes pièces destiné à leur porter atteinte. Les artistes, qui ont présenté leurs « sincères excuses à tous ceux qui se sont sentis offensés dans leur foi », ont réassuré que « leur respect total pour toutes les croyances est tout autant ancré dans leurs valeurs que le respect au droit à la différence ».

Entre-temps, les partis chrétiens, le Courant patriotique libre et les Forces libanaises, se sont dépêchés de jouer la carte de la récupération en dernière minute. Dans un communiqué diffusé bien après que les organisateurs du festival aient annoncé l’annulation, les députés de Jbeil Ziad Hawat (FL), Simon Abi Ramia (CPL) et Moustapha Husseini (indépendant) ont réclamé de vive voix la suppression du concert.

« Sur la base de l’intérêt public, conformément aux dispositions de la Constitution et des lois libanaises, afin de préserver l’image de Jbeil et son rôle dans le respect du sacré, des valeurs et des principes, et à l’issue de plusieurs réunions loin des médias avec le comité d’organisation du Festival international de Byblos, ainsi qu’avec les autorités religieuses, judiciaires et sécuritaires concernant le concert de Mashrou’ Leila et ses répercussions, les députés de Jbeil ont exprimé au comité d’organisation le souhait d’annuler l’événement », indique ce texte.

Plus tôt dans la journée, le député Neemat Frem avait lui aussi appelé dans un communiqué à l’annulation du concert, affirmant que le groupe libanais tentait « d’insulter les valeurs et symboles religieux ».

« Si le concert avait été programmé à Tyr ou aux Cèdres, je me demande si on aurait osé le supprimer », commente une source proche des organisateurs qui souligne que les membres du comité, connus pour leur indépendance, ne pouvaient malheureusement se prévaloir d’aucun soutien politique, l’État ayant prouvé son incapacité totale à assurer la protection des artistes.

La représentation de Mashrou’ Leila a certes été sabotée, mais la bataille pour les libertés publiques se poursuit, plusieurs activistes se disant déterminés à ne pas lâcher prise.

(Lire aussi : Mashrou’ Leila, de vrais musiciens d’abord)



Les ONG se mobilisent
Après la dénonciation judiciaire soumise lundi dernier par l’avocat et activiste des droits de l’homme Khaled Merheb au parquet de Baabda à l’encontre de plusieurs personnes ainsi que du « Parti démocrate-chrétien », pour « menaces, appels au meurtre, exacerbation des sentiments sectaires et racistes, atteinte à l’ordre public et menaces à l’aide d’armes illégales en vue d’empêcher les Libanais d’exercer leurs droits civils », plusieurs ONG lui ont emboîté le pas hier, en initiant une procédure similaire devant la justice.

L’Agenda légal, Amnesty International, Kulluna Irada, la Fondation Samir Kassir, Smex, Beyrouth Madinati, l’Association pour la démocratie des élections (LADE), Maharat et plusieurs autres regroupements ont soumis à leur tour une dénonciation devant le parquet et réclamé qu’une enquête soit ouverte auprès des « personnes et des formations politiques qui ont incité à la violence contre le groupe Mashrou’ Leila ».

Lors d’une réunion qu’ils ont tenue avec le procureur général par intérim près la Cour de cassation, le juge Imad Kabalan, les représentants du collectif d’ONG ont mis l’accent sur le danger que représente le refus de la différence et le discours de haine qui se propage au sein de la société libanaise, insistant sur la nécessité pour les autorités, et plus particulièrement le parquet, d’y faire face.


Lire aussi
Ex-pressions, l'éditorial de Issa GORAIEB

Écraser l’infâme dans l’affaire Mashrou’ Leila

Pierre Issa : La réaction religieuse et politique populiste contre Mashrou’ Leila est du pur opportunisme

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Côtelettes et feuilles de vignel'Impression de Fifi ABOU DIB 

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Pour mémoire
Le verdict de la commission épiscopale tombe : le concert de Mashrou’ Leila doit être annulé

Mashrou’ Leila présentera-t-il des excuses à l’Église pour pouvoir chanter à Byblos ?





Une fois de plus, l’État par sa passivité a laissé la rue, relayée par certaines instances religieuses, dicter ses règles et imposer ses desiderata. Le couperet est tombé : le groupe libanais Machrou’ Leila ne se produira pas sur les planches de Byblos. La décision, qui a été pratiquement imposée aux organisateurs du festival, placés devant le fait accompli après la...

commentaires (15)

encore un article ???à chaque clic de l'OLJ on les retrouve !!! ca devient lourd...svp...

LE FRANCOPHONE

23 h 20, le 31 juillet 2019

Tous les commentaires

Commentaires (15)

  • encore un article ???à chaque clic de l'OLJ on les retrouve !!! ca devient lourd...svp...

    LE FRANCOPHONE

    23 h 20, le 31 juillet 2019

  • COLLER LA TETE DE L,ACTRICE MADONA SUR L,IMAGE DE LA VIERGE VENEREE PAR DEUX MILLIARDS DE CHRETIENS C,EST INSULTER DEUX MILLIARDS DE GENS ET LEURS SYMBOLES. AU NOM DE QUELLE LIBERTE D,EXPRESSION OSE-T-ON UN TEL BLASPHEME CAR DE TEL IL EN EST QUESTION ? CEUX QUI LEUR DONNENT RAISON NE SONT PAS MEILLEURS ET AVEC REGRET J,AI NOTE DES NOMS DONT JE NE M,ATTENDAIS PAS DU TOUT ET QUI SE CROIENT MODERNES ET LIBRE DE PENSEE EN INSULTANT LES AUTRES. LA LIBERTE D,EXPRESSION N,EST PAS UN CHAMP SANS BORNES. RESPECTEZ POUR ETRE RESPECTES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 31, le 31 juillet 2019

  • Si tous ces Révérends, Dignitaires, Religieux, Excellences, tous confondus pouvaient, au lieu de combattre "Mashrouh Leila", construire un "Mashrouh Dawlé" sur des fondations de pierre et non de sable!!! Seigneur Dieu quel beau rêve!!

    Zaarour Beatriz

    16 h 00, le 31 juillet 2019

  • VOUS TOUS QUI CRITIQUER LES MUSICIENS QUI PEUT VRAIMENT ME DONNER LA ( OU LES ) PHRASES ( OU MOTS )SI CHOQUANTES POUR ARRIVER AU POINT DE MENACER DE VIOLENCE LES MUSICIENS ET LES GENS QUI ASSISTERONT A CE SPECTACLE ( avant qu'il ne soit annule pour cause de violences proferees ) ET SI VRAIMENT CES MORTS SONT UN BLASPHEME CETTE TROUPA DEJA JOUE PLUSIEURS FOIS AU LIBAN ET DANS LE MONDE ENTIER SANS PROBLEMES JE ME JOINS AUX DEMANDES DE PLUSIEURS PERSONNES ET INSTITUTION POUR PORTE PLAINTE CONTRE LES GENS QUI ONT MENACE DE VIOLENCE LE CONCERT ET JE DEMANDE AU MINISTRE DE LA JUSTICE DE FAIRE SON TRAVAIL ET PAS SEULEMENT QUAND UN JEUNE BLOGUEUR DIT DES MOTS DERANGEANTES A UN QUELCONQUE DIRIGEANT POU L'ENVOYER EN JUSTICE ENVOYEZ PLUTOT CES MISERABLES QUI OSENT PROFERE IMPUNEMENTS DES MENACES DE VIOLENCES SANS ETRE INQUIETES JE DEMANDE A LA MINISTRE DE L'INTERIEUR DE LA RAISON POUR LAQUELLE ELLE S'EST TU ET N'A PAS OFFICIELELMENT PROCLAME QUE LA POLICE FERA SON DEVOIR ET PROTEGERA COUTE QUE COUTE LE CONCERT QUAND ON ABDIQUE UNE FOIS , ON ABDIQUE TOUJOURS (DEMANDER LE A M HARRIRI QUI N'ARRIVE MEME PLUS A REUNIR SON CONSEIL DE MINISTRES)

    LA VERITE

    14 h 58, le 31 juillet 2019

  • IL N,Y A PAS DE LIBERTE POUR INSULTER ET BLASPHEMER CONTRE LES AUTRES. TOUTE LIBERTE D,EXPRESSION FINIT LA OU COMMENCENT LES DROITS DES AUTRES. SINON ON PARLE D,ANARCHIE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 03, le 31 juillet 2019

  • Il faut interdire les messes, elles offensent les athées !! Matthieu 5:44: Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent.

    yves choueifaty

    13 h 54, le 31 juillet 2019

  • En marge de la polémique causée par Mashrou3 Leila, insulter autrui et ensuite présenter ses plates excuses sans en penser un mot est devenu un sport national tout récemment. Eh ben non ça ne marche pas toujours comme ça !

    Tina Chamoun

    13 h 26, le 31 juillet 2019

  • Le cote positif de cette histoire ,c est que ce groupe Mashrou Leila est maintenant connu dans le monde entier europe ,amerique du nord,amerique latine ,et ce grace aux extremistes religieux libanais ...merci a eux ...! .on decouvre la voix de hamed sinno ,vraiment puissante ,extraordinaire....le grand talent du violoniste...de plus en plus de succes et de concerts (hors du Liban ) en perspective pour ces jeunes tres talentueux....!

    HABIBI FRANCAIS

    13 h 23, le 31 juillet 2019

  • Une fois encore, l'Etat de droit est agressé et ses libertés citoyennes bafouées par des hordes excitées à fond, auxquelles se mêlent des politiques légers et irresponsables, des religieux cherchant à exploiter des erreurs indubitables du groupe objet de toutes ses attaques. Ces maladresses quoique graves, auraient pu être gérables différemment et sans avoir à aller jusqu'à exiger des décisions aussi extrêmes, qui malheureusement ressemblent à ce qui se passait du temps de "l'Inquisition". Entre deux "Daechs", le "Liban Message" risque de disparaitre, et sa "démocratie" profondément violée !!!

    Salim Dahdah

    12 h 51, le 31 juillet 2019

  • NE PAS OUBLIER que depuis le 11 sept 2001 le monde a change du tout au tout. que le terrorisme a pris le dessus, que les sensibilites d'ordre religieux sont devenues le credo du 21e siecle. Insultes pour insultes , ca ne m'empechera pas de dire ma pensee honnete, sans hypocrisie, libre de toute contrainte ou alienation : on veut bien admettre que les libertes, toutes les libertes sont sacro saintes, celle de l'expression surtout. on veut bien accepter que l'on s'attaque -facon de parler- aux religions, a leurs symboles meme . MAIS ALORS aller a la guerre, il faut s'attendre et admettre etre attaques en retour, diabolises meme. une armee qui va en guerre ne peut pas critiquer l'autre armee de tirer et tuer ses soldats n'est ce pas.

    Gaby SIOUFI

    12 h 50, le 31 juillet 2019

  • JE N'AIME PAS CETTE MUSIQUE !

    Chucri Abboud

    10 h 25, le 31 juillet 2019

  • 1 CORINTHIENS 13:1-13: l'Amour...il ne se met pas en colère... Donc de quel amour nous parle ces gens chrétiens? qui se sont mit en colère et ont obligé d'annuler un concert. Je ne vois pas dans l'Evangile une chose qui justifie leur propos. Matthieu 5:44: Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent. Je laisse les Paroles de Jésus vous parler si vous le voulez bien car rien n'est pas la force.

    Eddy

    10 h 15, le 31 juillet 2019

  • L'Église Catholique a eu raison de résister. La cabale ne doit pas atteindre notre société libanaise, soucieuse du respect des valeurs que l'occident décadent a abandonné. Le mal est dans l'abandon de ces valeurs, pas dans le fait que ce groupe ait été empêché de se produire. Désolé.

    FRIK-A-FRAK

    09 h 35, le 31 juillet 2019

  • Boycottons le festival de Byblos!

    Gros Gnon

    08 h 55, le 31 juillet 2019

  • Ce papier souligne à juste titre l'éclipse totale des pouvoirs publics depuis le début de l'affaire ML.Il serait intéressant d'analyser aussi les prises de position des FL et du CPL qui ont dénoncé le "blasphème" d'une même voix alors qu'ils ne sont jamais d'accord sur rien. Notons d'ailleurs que dans cette affaire, les seconds couteaux sont montés au créneau alors que les chefs, Samir Geagea, le patriarche Raï et Gebran Bassil se sont mis aux abonnés absents. Ce dernier n'a même pas lâché une de ses petites phrases qu'il affectionne tant. Ils sont tous dépassés et tentent de se raccrocher aux wagons.

    Marionet

    01 h 10, le 31 juillet 2019

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