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Diaspora - Histoire

Les journalistes libanais, ambassadeurs des lettres arabes au Chili

Ils sont plusieurs auteurs à avoir fait revivre la langue arabe et la culture libanaise auprès d’une communauté tournée principalement vers le commerce et l’industrie.


« L’histoire du Chili » traduite en arabe par Mary Yanni, un ouvrage qui lui a valu le prix Bernardo O’Higgins du mérite.

Au cours de la première moitié du XXe siècle, plus d’une vingtaine de journaux arabes ont été publiés au Chili. D’après le chercheur Philippe de Tarrazi, ils ont été créés par une pléiade d’intellectuels qui ont apporté avec eux une partie de la civilisation orientale et leur amour de la langue, celle qu’ils honoraient partout où ils allaient. Dans ces publications, ils ont aussi exprimé leur gratitude pour le pays où ils sont venus s’installer.

« Le Chili est ma deuxième patrie, j’y ai toujours trouvé l’esprit le plus large et un sens de l’hospitalité et de la compassion. » Avec ces mots, l’auteur Mary Yanni remercia le gouvernement chilien de l’avoir distinguée en lui décernant le prix Bernardo O’Higgins du mérite pour sa traduction en arabe de L’histoire du Chili de Valdés Vergara, publiée en 1956, lors de son bref retour à Beyrouth. Elle y est distribuée par différentes écoles comme un geste d’affection envers le pays qui l’avait accueillie plus de trois décennies auparavant, ainsi qu’un exemple d’émancipation étrangère et de renaissance dans son pays d’origine.

L’auteure était déjà connue dans la sphère publique nationale chilienne pour la construction d’une aile de littérature arabe à la Bibliothèque publique de Santiago et un club culturel dans le style de ceux déjà existants à São Paulo ou Buenos Aires, le Cercle littéraire (1955). Cette initiative lui a également valu les plus grands honneurs. Comme le dit le poète George Sidah, cette « ambassadrice de la littérature arabe » avait réussi à faire revivre la langue dans un environnement où sa littérature n’était pas prédominante, puisque presque tous ces immigrés étaient des marchands ou des industriels sans grande ambition culturelle.

Mary Yanni a fortement encouragé la participation active des femmes à ce développement culturel. Elle l’avait démontré dans les pages de Minerva, un magazine connu jusqu’à Beyrouth comme l’un des pionniers de la Nahda féminine, tout comme il était connu au Chili grâce aux abonnements annuels fournis par la même auteure. Après l’arrêt de la publication du magazine, l’auteure a lancé une chronique hebdomadaire dans le journal al-Ihtidal (La Modération, 1934-1935), consacrée « à toutes les femmes arabes de la diaspora ».

Le journal avait été fondé par le poète Tawfiq Daun pendant son bref séjour à Santiago. L’objectif de son directeur était que les descendants des immigrés s’identifient à leurs racines et apprécient les efforts et le dévouement de leurs parents. À cette fin, il a maintenu une ligne éditoriale totalement « arabisante », avec de nombreux articles sur la littérature et l’histoire.

Un écrivain rebelle exilé

Outre Mary Yanni, une autre journaliste libanaise célèbre avait émigré au Chili, Labiba Hashim. Elle a été rédactrice en chef de la revue Fatatat al-Sharq, et a passé trois ans à Santiago où elle a fondé al-Sharq wal Gharb (1923). Elle est ensuite retournée au Caire pour reprendre son ancienne tribune.

À cette époque-là, un autre journal connu sous le nom d’al-Minbar (1915) paraissait déjà à Santiago : il était dirigé par Joseph Massaad, un éminent spécialiste de la littérature et des sciences politiques, originaire de Achkout. Un peu plus tard, il fonda al-Munir (1916) dans la ville de Concepción, qui suivait de près la présence d’immigrés dans la même commune.

Toutefois, l’une des publications sans doute les plus célèbres parmi les immigrés fut l’hebdomadaire al-Watan (1920), sous la direction de l’auteur dramatique et écrivain nationaliste David Mujaes. Il aurait fui le Liban en 1909, suite à son discours incendiaire anti-ottoman. Son verbe éloquent lui valut le surnom d’« orateur de la liberté ». Ceux qui l’accompagnaient furent appréhendés et pendus par les autorités. Il s’exila d’abord à Buenos Aires (Argentine), où il fut reçu par l’émir Amin Arslane, puis au Chili, où il fonda le Centre culturel Maarri (1917) et le journal al-Arsh (1920). Des années plus tard, il prendra la direction des presses « al-Watan ».

Un moyen de démontrer son amour pour la patrie

Le poète Jean Zalaquett dirigeait un autre journal du même nom dans les années 1940. Il était arrivé au Chili dix ans auparavant, après avoir fait ses études primaires dans sa ville natale de Zahlé. Il s’installa dans la cité d’Antofagasta avec ses frères, dont Simon Zalaquett, futur consul honoraire du Liban au Chili. Jean Zalaquett avait promu cet hebdomadaire avec l’intention « d’intensifier la promotion et la diffusion culturelle de la communauté arabe résidant au Chili, avec le désir d’élargir le spectre de son activité journalistique, littéraire et informative, en plus de relier étroitement les membres de la diaspora aux événements de leur pays d’origine ».

Il ne fait aucun doute que le journalisme n’était pas le seul moyen par lequel les immigrés ont démontré leur amour de la langue et la nostalgie de leur patrie. Cependant, selon Mary Yanni, ce fut la preuve de la contribution de cette collectivité au progrès de leur patrie et à sa renaissance culturelle.

Au Liban, ce patrimoine inestimable de l’émigration libanaise en Amérique latine est aujourd’hui en train d’être rassemblé par le Centre des études et cultures de l’Amérique latine et la Bibliothèque de l’Université Saint-Esprit de Kaslik (CECAL-USEK), ouverts aux chercheurs et à toutes les personnes intéressées.

*Université de Grenade, Espagne.

Cette page est réalisée en collaboration avec l’Association RJLiban. E-mail : monde@rjliban.com – www.rjliban.com


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