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Les collections institutionnalisées - Collections

Ces 1 300 œuvres qui auraient pu disparaître…

La collection de peinture de l’État libanais a été sauvée grâce à l’initiative de l’ancien ministre Rony Araïji et à la restauration d’une équipe d’Apeal.

L’atelier vaste et lumineux est situé dans une salle du palais de l’Unesco.

Dans une grande salle lumineuse située au dernier étage du palais de l’Unesco, Kerstin Khalifé, experte allemande en restauration, œuvre avec son équipe à faire revivre des toiles de peintres libanais. Kerstin Khalifé travaille pour le compte d’Apeal (Association for the Promotion and Exhibition of the Arts in Lebanon) qui ouvrira en 2023 le musée d’art moderne BEMA (Beirut Museum of Art) à la rue de Damas, à proximité de l’Université Saint-Joseph.

Les toiles que l’experte allemande est en train de restaurer font partie des 1 300 tableaux appartenant à l’État, spécifiquement au ministère de la Culture. Un contrat pour la restauration et l’emprunt de toiles de maîtres libanais avait été signé entre le ministère et Apeal, lors du mandat du ministre de la Culture Rony Araïji, de février 2014 à décembre 2016.

Durant plus de trente ans, ces tableaux ont été mal stockés dans un dépôt humide de l’Unesco qui les mettait en danger. Déplacées par les milices d’un lieu à l’autre, ces nombreuses œuvres en ont souffert, leur peinture s’est décrépie, leur toile a été déchirée lors de divers transports ou déformée à cause de l’humidité.

Dans cet atelier, toutes les techniques sont utilisées pour donner une nouvelle vie à ces œuvres : nettoyage, certes, mais aussi pontage fil à fil, rentoilage et refixage.

Dans son bureau d’avocat à Sinn el-Fil, Rony Araïji parle de son projet à L’Orient-Le Jour.

« L’État possède une grande collection de peintures et de sculptures d’artistes libanais. Aujourd’hui, le nombre de toiles frise les 2 300, mais elles n’ont pas toutes la même valeur artistique », souligne-t-il.

Certaines de ces toiles sont exposées au ministère de la Culture, à la présidence de la République, au Parlement, au ministère de l’Intérieur et à la Bibliothèque nationale, le reste ayant été stocké au dépôt de l’Unesco. La collection du Grand Sérail ne relève pas du ministère de la Culture. Elle avait été acquise par l’ancien Premier ministre Rafic Hariri.

« La plus grande partie de ces toiles a été acquise durant les années soixante, ce fameux âge d’or du Liban », explique Rony Araïji qui avait, dès son arrivée au ministère, des idées pour la collection nationale libanaise. « Je n’ai pas eu le temps de tout faire. J’aurais voulu savoir par exemple quels sont les points faibles de cette collection pour la consolider. Il y a certes des époques et des thèmes qui manquent. J’en avais même parlé avec le galeriste Saleh Barakat à ce sujet. Si j’avais eu le temps, j’aurais lancé une campagne nationale pour collecter ces toiles », dit-il, confiant dans le fait que beaucoup d’artistes ou de collectionneurs auraient fait don de tableaux. « Il fallait juste un projet qui les mobilise et dans lequel ils ont confiance. »

Exposition à venir

Rony Araïji se souvient de « l’état catastrophique du dépôt » de l’Unesco au début de son mandat. « J’ai tiré la sonnette d’alarme, je me suis entretenu avec le Premier ministre de l’époque, Tammam Salam, qui a tout de suite réagi en débloquant 500 mille dollars. Le CDR (Conseil du développement et de la reconstruction) a aussi rapidement défini une adjudication, et le dépôt a été retapé. Aujourd’hui, il obéit aux normes internationales », dit-il.

Également à cette époque, Apeal est entrée en contact avec le ministre de la Culture qui a tout de suite eu l’idée d’une coopération à long terme avec l’institution artistique.

« Apeal a certes besoin d’une collection permanente et elle lève actuellement des fonds pour son musée. Au fil des ans, comme tous les musées, elle va probablement acquérir des pièces et des donations. Le ministère de la Culture a convenu avec Apeal de l’accord suivant : l’État lui prête pour une durée déterminée une partie de la collection nationale et, en retour, l’institution restaure les tableaux sous sa propre responsabilité et à ses propres frais, selon des critères admis internationalement. C’est ainsi que l’atelier de restauration de l’Unesco a été établi grâce à une donation allemande », explique Rony Araïji.

« L’accord passé en Conseil des ministres est très équilibré, il favorise même l’État de sorte que si le projet de musée n’aboutit pas, la restauration est faite et Apeal ne peut pas demander à être dédommagée. La restauration est donc indépendante du prêt », explique-t-il.

L’équipe de professionnels d’Apeal a dressé également, avant d’entamer le travail, un nouvel inventaire des œuvres obéissant aux critères modernes et aux normes internationales. Un livre a même été publié dans ce cadre.

Dans un autre projet, également initié sous le mandat de M. Araïji, un musée virtuel présentant la collection nationale a été créé avec l’Académie libanaise des beaux-arts. Accessible à tous les internautes, ce musée devait mettre en relief tous les six mois un peintre libanais. Quand il a été lancé, c’est l’artiste Georges Corm qui a été mis à l’honneur. Après le départ de Rony Araïji du ministère de la Culture, les expositions suivantes ont tardé à être mises en place. Elles devraient reprendre dans les mois à venir.

Aujourd’hui, les toiles de la collection nationale ne sont pas accessibles au public. Avant l’ouverture du BEMA, prévue en 2023, une exposition devrait voir le jour.

Lynn Téhini Kassatly, conseillère au ministère de la Culture et qui faisait partie de l’équipe de M. Araïji, promet dans ce cadre qu’une « exposition des toiles restaurées et dépoussiérées de la collection nationale se tiendra au palais de l’Unesco une fois la restauration du bâtiment achevée ». Aujourd’hui, cette œuvre a trouvé refuge dans une collection qui lui assurera sa pérennité.

Prêt à enchérir...

Investissement temporel et humain

Tout le monde pense à tort que l’achat de tableaux est chose aisée. Or, constituer une collection nécessite un investissement non seulement financier, mais également temporel et humain. « Il y a un gros travail en amont à fournir pour savoir déjà quels sont les artistes que je devrais inclure dans ma collection. Faire une recherche approfondie sur leur œuvre et leur travail. Mais cette partie “académique“ est facile. Il faut ensuite recueillir les informations pour savoir où se trouve la pièce recherchée ; il faut que la personne soit prête à la céder ; il faut aussi que le prix au marché soit réaliste. Car ceux qui ont un Saliba Douaihy, par exemple, ce sont des gens qui avaient de l’argent à l’époque et qui en ont encore et ne veulent pas nécessairement le vendre et encore moins le brader. Heureusement qu’on trouve parfois certaines de ces œuvres dans les galeries et les maisons de ventes aux enchère où leur acquisition se réduit à une transaction rapide. »

Il convient d’ajouter que Farouk Abillama a aujourd’hui une maison de ventes aux enchères, et donc il n’achète plus de tableaux directement de chez les particuliers, « pour ne pas être en conflit d’intérêt », selon ses propres termes, et « assurer au plus grand nombre d’amateurs un accès à l’achat de l’œuvre. Si celle-ci m’intéresse, j’enchéris au cours de la vente, et si je gagne, je l’aurais achetée au plus offrant. Ni le vendeur ni les acheteurs potentiels ne se sentiront lésés. Et tout le monde sera satisfait ».


Dans une grande salle lumineuse située au dernier étage du palais de l’Unesco, Kerstin Khalifé, experte allemande en restauration, œuvre avec son équipe à faire revivre des toiles de peintres libanais. Kerstin Khalifé travaille pour le compte d’Apeal (Association for the Promotion and Exhibition of the Arts in Lebanon) qui ouvrira en 2023 le musée d’art moderne BEMA (Beirut Museum...

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