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Portraits de collectionneurs

Antoine et Janine Maamari : Le plus beau des hasards 

Depuis le milieu des années 1970, les époux Maamari collectionnent les œuvres d’art. Des céramiques islamiques aux toiles contemporaines, ils cultivent un éclectisme toujours renouvelé dans l’intimité de leurs différents lieux de résidence.

Antoine et Janine Maamari. Photo Léa Polverini

Leur premier tableau, ils l’ont acheté à crédit à Paul Guiragossian, qu’ils avaient l’habitude de retrouver au milieu de ses crayons et de ses feuilles à dessin au Horseshoe Café, à Hamra, à la fin des années 1960. Janine et Antoine Maamari venaient de se marier ; elle exerçait alors en tant que psychologue et lui était architecte, souvent à Abou Dhabi pour des chantiers. Installés à Londres dans les années 1975, ils ont baigné dans l’effervescence culturelle de la capitale britannique entre les expositions, les conférences et les ventes aux enchères, acquérant une culture artistique de terrain, au contact d’amis artistes ou antiquaires, comme Soustiel, grand spécialiste des arts islamiques, lui installé à Paris.

La suite est une succession de coups de cœur, qui passent souvent « du coq à l’âne » comme ils le disent : « On achète parce qu’on aime, ensuite on se rend compte qu’on a une collection ; on devient collectionneur par hasard », affirme Antoine Maamari, aussitôt appuyé par son épouse Janine : « On n’est pas obsédé par la collection en soi, elle fait partie de notre vie, mais pas de notre équilibre. Rien n’est abouti, nous n’avons pas de collection complète. »

Si elle n’est pas aussi rigoureuse que celle d’un Fouad Debbas parcourant le monde à la recherche de cartes postales précises, leur collection a l’avantage d’un éclectisme mélodieux. Les tableaux d’artistes libanais contemporains (Zad Moultaka, Michel Harmouche, Huguette Caland, Zena Assi…), particulièrement affectionnés par Janine Maamari, côtoient ceux d’artistes modernes ou naïfs (Yvette Achkar, Saliba Douaihy, Khalil Zgheib…), et voisinent avec des poteries islamiques perses, phéniciennes ou ottomanes, et une collection monumentale de livres anciens, dénichés par Antoine Maamari. « Ça occupe, on devient chercheur, c’est venu par occasions », glisse-t-il, avant de s’expliquer : au milieu des années 1970, il travaillait sur des mosquées, or il n’y avait à l’époque que très peu de livres sur la décoration et les arts islamiques. C’est à peu près au même moment que les grands musées de la péninsule Arabique – notamment au Koweït – ont commencé à émerger et à constituer leurs collections, et que Londres a en conséquence organisé ses premières ventes d’art islamique.

Une œuvre, une rencontre

Outils de travail d’abord, les pièces collectées font maintenant partie de l’intimité des Maamari, ornant une longue étagère dans leur salon beyrouthin : ici une céramique d’Iznik, dont le Metropolitan Museum de New York possède une jumelle, là des verroteries phéniciennes semblables à celles que le grand-père du collectionneur, antiquaire, lui donnait pour s’amuser enfant, et puis là encore un petit tableau, repéré par hasard à Mykonos et étrangement familier, qui s’avéra être du même artiste qu’une autre toile aperçue dans un chantier en Égypte, un Gilles Ballini. Chaque œuvre a son histoire et semble avoir été une rencontre, souvent favorisée par les nombreux voyages des deux époux tantôt à Londres, tantôt à Paris, à Montréal, à Dubaï, à Pékin… et à Beyrouth bien sûr.

Quelque part, cela rejoint la pratique de curatrice de Janine Maamari qui a monté des expositions pendant une dizaine d’années. Être commissaire, c’est « choisir des artistes et être choisie par des artistes », estime-t-elle. Ses expositions, elle les a élaborées en dialogue avec les jeunes générations. La première, en 2004, s’est tenue dans l’Œuf de la place des Martyrs, un lieu chargé d’histoire, investi l’espace de trois jours par vingt toiles – la foire d’art de Dubaï commençait à la même période et de nombreux curateurs étaient de passage à Beyrouth. Parmi les artistes présents, il y avait Zena el-Khalil, qui accompagnera les projets de Janine Maamari pendant longtemps. Elle comptait parmi les quarante-neuf artistes de « Rebirth », au BIEL, qui, en 2011, ont accepté d’imaginer ce que pourrait être un renouveau de la peinture au Liban, renouveau surtout intérieur, qui passait également par une redécouverte et une appropriation de l’art moderne libanais trop mal connu, oublié pendant la guerre. Elle fit surtout partie de l’aventure de « Sacred Catastrophe : Healing Lebanon », en 2017, un événement de quarante jours qui marqua notamment la première ouverture de Beit Beirut, avant qu’elle ne devienne le lieu d’exposition permanent que l’on connaît aujourd’hui. Conférences, cours de méditation, séances de derviches tourneurs, la dernière exposition de Maamari et Khalil proposait des espaces espaces immersifs pour questionner l’héritage libanais, façon d’effectuer par l’art un travail de mémoire que la classe politique n’a pas su faire.

Des expériences très personnelles

« L’art permet de prendre le problème de la guerre par des biais indirects : chacun d’entre nous a eu une expérience différente de la guerre et n’est peut-être pas prêt à la communiquer directement, considère Janine Maamari. On observe des traces de choc, mais c’est resté des expériences très personnelles. Je ne sais pas si nous avons encore fait le chemin de l’assimilation de toutes ces expériences. Nous sommes un peuple qui est pris par le présent, un présent qui se répète, qui continue, nous ne sommes pas un peuple méditatif. » L’interrogation de ce phénomène de résilience traverse finalement tout le parcours de collectionneurs des Maamari : déjà en 1989, en pleine guerre, ils faisaient venir à l’Institut du monde arabe à Paris l’exposition « Liban, le regard des peintres : 200 ans de peinture libanaise ». Une façon de « faire autre chose que de parler des bombes », raconte Antoine Maamari, avant de se retourner en riant vers une toile de Guiragossian pour en admirer les couleurs.

Leur premier tableau, ils l’ont acheté à crédit à Paul Guiragossian, qu’ils avaient l’habitude de retrouver au milieu de ses crayons et de ses feuilles à dessin au Horseshoe Café, à Hamra, à la fin des années 1960. Janine et Antoine Maamari venaient de se marier ; elle exerçait alors en tant que psychologue et lui était architecte, souvent à Abou Dhabi pour des chantiers....

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