Tous les Libanais le savent : la paix repose sur un équilibre relativement précaire qui peut se rompre à tout moment. Outre les autres dossiers inflammables, la présence même du Hezbollah sur le territoire libanais fait peser le risque de l’irruption d’une nouvelle guerre avec Israël. Si le front est relativement stable et calme depuis la dernière confrontation de 2006, l’escalade en cours entre l’Iran et les États-Unis ranime les craintes que le Liban soit impliqué dans une guerre régionale. La question est dans toutes les têtes, et prend de l’ampleur à mesure que la tension monte entre Washington et Téhéran : le Liban peut-il être épargné par cette tempête ?
En sera-t-il, malgré lui, un acteur de premier plan ou une victime collatérale ?
Le Hezbollah a largement évolué au cours de ces dernières décennies et ne peut être présenté comme une simple marionnette aux mains de l’Iran. Il n’empêche que le parti reconnaît lui-même avoir prêté allégeance au vilayet el-faqih et suivre en cela, au moins sur les dossiers stratégiques, l’autorité du guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei. Avec ses 150 000 roquettes et missiles, ses 30 000 combattants (tous les chiffres sont des estimations), ses interventions en Syrie et, dans une moindre mesure, en Irak et au Yémen, la milice chiite a acquis une véritable dimension régionale qui en fait incontestablement la carte maîtresse de Téhéran au Proche-Orient.
Étouffé par les sanctions américaines qui pèsent fortement sur son économie – Téhéran exporte 6 fois moins de barils de pétrole par jour qu’il y a un an –, l’Iran ne peut se contenter de courber l’échine. Il a besoin de montrer aux Américains que leur politique a un coût important, notamment celui de faire peser le risque d’une déstabilisation de la région. Les attaques, ces dernières semaines, contre les tankers dans le Golfe, imputées au gardien de la révolution iranienne, ce que Téhéran a démenti, participent probablement de cette volonté de faire monter l’escalade pour inciter les Américains à infléchir leur politique. Le régime iranien semble miser sur le fait que le président américain Donald Trump n’est pas prêt à entrer en guerre et que l’escalade le met ainsi en position de faiblesse.
Téhéran a néanmoins, et pour l’instant, fait le choix de ne pas utiliser la carte du Hezbollah dans son bras de fer avec Washington. Des attaques ont été imputées à des milices proches de l’Iran en Arabie saoudite, dans la mer d’Oman ou encore en Irak, mais pas en Israël, malgré l’hostilité que voue la République islamique à l’État hébreu.
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« Le front libanais ne bougera pas »
Dans un article publié le 20 juin dernier et intitulé « L’Iran pourrait bientôt tenter de provoquer Israël pour avoir le dessus dans son conflit avec les États-Unis (Iran May Soon Try to Provoke Israel to Gain the Upper Hand in Its Conflict With the U.S.), le Haaretz, citant des sources issues des services de renseignements israéliens et occidentaux, rapporte que Téhéran pourrait utiliser le Hezbollah pour faire monter encore l’escalade. Le régime iranien considérerait que sa stratégie actuelle ne suffit pas à contraindre les Américains à changer de cap, et qu’une attaque contre Israël serait susceptible de changer la donne.
Le scénario est-il plausible ? Toutes les sources interrogées par L’Orient-Le Jour sont sur la même longueur d’onde : il est peu probable que le Hezbollah soit à l’initiative d’un nouveau conflit avec Israël, mais en cas de guerre régionale, le Liban court de grands risques d’y être impliqué.
Sollicité par L’OLJ, le Hezbollah a refusé de commenter. Mais plusieurs sources proches du parti indiquent que les risques qu’un nouveau conflit éclate prochainement avec l’État hébreu sont faibles.
« La frontière libanaise restera intacte. La résistance n’initiera aucune action depuis le Liban à moins que l’Iran ne soit agressé », confie Fayçal Abdel Sater, analyste politique proche du Hezbollah. « Le front libanais ne bougera pas », assure également Kassem Kassir, un journaliste également proche du parti. « Des médiateurs libanais sont allés chez les Américains pour leur dire que le Hezbollah ne va pas participer à l’escalade », confirme une troisième source proche du parti ayant requis l’anonymat.
Signe de la volonté du Hezbollah de ne pas être en première ligne dans l’escalade actuelle, son secrétaire général Hassan Nasrallah ne s’est pas exprimé depuis le 1er juin. Il avait alors implicitement présenté les contours de la stratégie iranienne tout en affirmant qu’en cas de guerre, « toute la région s’embrasera, et les Israéliens et les Saoudiens seront les premiers à en payer le prix ». Les sources proches du Hezbollah, tout comme les médias affiliés au parti, déploient les mêmes éléments de langage : ce sont les États-Unis qui ont déclaré la guerre à l’Iran, et non le contraire, mais l’Iran a le droit de réagir.
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Le coût de la guerre en Syrie
Agiter le front libano-syrien est beaucoup plus risqué que de mener des opérations dans le Golfe. En Syrie, les Iraniens et le Hezbollah sont déjà la cible des raids réguliers de l’armée israélienne qui visent tant les infrastructures que les combattants. Au Liban, les règles implicites ne sont pas les mêmes : Israël ne frappe pas les installations du Hezbollah, mais en cas d’attaques du parti de Dieu, il ne fera aucune distinction entre la milice chiite et l’État libanais. « Il est possible que l’Iran joue la carte du Hezbollah, mais sur le front syrien plutôt que libanais, et dans une moindre mesure à mon avis. Le but de l’Iran pour l’instant est de faire monter la pression au niveau international, et à ce niveau, les attaques contre les routes où réserves pétrolières de la région sont bien plus fondamentales que contre Israël – d’autant que si les États-Unis font preuve de prudence, il n’est pas sûr qu’Israël fasse de même », analyse Michael Horowitz, spécialiste du Moyen-Orient à LeBeck International, un think tank basé à Bahreïn.
Le Hezbollah n’a ni intérêt ni les moyens de se lancer dans une nouvelle confrontation contre Israël. Le parti chiite a certes largement renforcé ses capacités militaires depuis 2006, mais il se remet à peine du coût de la guerre en Syrie (près de 2 000 combattants tués selon les estimations) et il est directement touché par l’impact des sanctions américaines contre l’Iran. Téhéran aurait drastiquement réduit les ressources du groupe qui étaient, par le passé, estimées à 700 millions de dollars par an.
Ce manque à gagner, ajouté au fait que beaucoup de familles sont endeuillées par la perte d’un fils en Syrie, rend la possibilité d’une nouvelle guerre assez impopulaire auprès de la base du parti. Le contexte régional ne lui est pas non plus favorable : le parti chiite bénéficiait d’une aura dans le monde arabe sunnite en 2006, qu’il a en grande partie perdue en raison de son intervention en Syrie.
Si les Américains ou les Israéliens passent les premiers à l’action, le Hezbollah sera-t-il alors obligé de s’inviter dans la danse ? Les sources proches du parti affirment toutes qu’en cas de guerre régionale, le Hezbollah répondra présent. « En cas de conflit généralisé, l’Iran utilisera toutes ses cartes. Israël pourrait alors être parmi les premières cibles », confie une source diplomatique occidentale ayant souhaité gardé l’anonymat.
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Climat de détente
« L’arsenal du Hezbollah est avant tout vu par les Iraniens comme faisant parti de leur capacité de » frappe de riposte « et ce faisant, il y a des possibilités qu’il soit utilisé contre Israël, particulièrement dans le cas d’un engagement de longue durée, afin de forcer l’État hébreu et probablement les États-Unis à utiliser leurs ressources militaires ailleurs qu’en Iran », décrypte Michael Horowitz.
Alors que les derniers mois ont été marqués par plusieurs moments de tension sur le front libano-israélien – affaire des tunnels, affaire des missiles près de l’aéroport de Beyrouth – le climat est paradoxalement désormais à la détente en raison notamment de l’évolution des négociations pour la délimitation des frontières. Le fait même que l’envoyé spécial américain David Satterfield initie ces négociations au moment où les Américains se livrent à un bras de fer avec les Iraniens est plutôt un signe de la volonté commune des acteurs de ne pas impliquer le Liban dans la tempête régionale. « Il y a une nouvelle géopolitique de l’énergie dans la région qui fait que tout le monde a intérêt à avoir des cartes claires », explique une source diplomatique occidentale.
Le Hezbollah entrerait-il en guerre – en cas de conflit irano-américain – contre ses propres intérêts ? Le parti chiite pourrait-il, aussi, aller à l’encontre de la volonté de son parrain ? « Cela relèvera d’une décision commune entre le Hezbollah et l’Iran », confie Kassem Kassir. « Le degré d’injonction du Hezbollah à l’Iran n’est pas absolu. Mais si l’Iran passe à l’assaut, je ne pense pas que le Hezbollah puisse lui dire non », conclut la source diplomatique occidentale.
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commentaires (11)
Si le peuple libanais est patriote et uni, nul ne peut l'impliquer dans un conflit avec qui que ce soit. Le Liban n'est pas un pays guerrier et n'a pas vocation à asservir qui que ce soit. S'il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre et non la guerre des autres. Je souhaite, avant qu'il ne soit trop tard, qu'une délégation formée de 6 membres des principales communautés du Liban aille au Conseil de Sécurité de l'ONU afin de réclamer le respect de la neutralité de notre pays envers tous les axes régionaux et internationaux.
Un Libanais
11 h 14, le 30 juin 2019