« Notre droit au retour fera échec au marché du siècle. » Ce message de bienvenue trône en rouge sang sur une large banderole déployée à l’entrée du camp palestinien de Bourj Brajneh, aux côtés de drapeaux palestiniens. Elle avoisine les portraits de l’ancien président défunt de l’autorité palestinienne Yasser Arafat, du président palestinien Mahmoud Abbas et d’une poignée de « martyrs ».
Quelques mètres plus loin, une nouvelle mise en garde interpelle. « Non au chantier de Bahreïn. Le marché du siècle est une trahison portée à la nation musulmane. Il ne verra pas le jour. » D’emblée le ton est donné. La conférence de Manama commence aujourd’hui et s’étendra sur deux jours. Et le plan de paix américain pour le Proche-Orient y sera présenté. Quoi que décident les dirigeants américains et arabes, les habitants de ce camp de réfugiés situé dans la banlieue sud de Beyrouth s’accrochent à leur cause. Principalement originaires de la Galilée, ils continuent de réclamer « leur droit au retour » et « la création d’un État palestinien indépendant avec Jérusalem-Est pour capitale », tout en assurant que la nationalité libanaise ne les intéresse point. Mais dans ces dédales de misère et de promiscuité envahis par les câbles électriques, les détritus et les deux-roues pétaradantes, quelques voix dissonantes s’élèvent.
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Jérusalem n’est pas à vendre
« Qu’ils se le tiennent pour dit. Nous n’abandonnerons jamais notre cause ». Deux femmes au foyer balaient du revers de la main les promesses américaines de lever 50 milliards de dollars pour les Palestiniens. Elles ne peuvent concevoir de voir disparaître « la cause pour laquelle le peuple palestinien lutte depuis 70 ans déjà ». « Ce n’est pas la première fois qu’on nous fait ce genre de propositions, affirment-elles. Et malgré les difficultés de la vie dans un camp palestinien, nous tenons le coup, grâce à Dieu. »
La rue commerçante ne manque pas d’animation, en cette chaude après-midi de la fin juin. Si les commerçants palestiniens ou syriens attendent le client, les quelques médecins travaillent à plein rendement. Les enfants et adolescents s’adonnent, eux, à leur passe-temps favori : sillonner le camp à bord de leurs mobylettes, quitte à se faire insulter par des passants excédés. Dans ce camp surpeuplé aux ruelles boueuses et cabossées, les Syriens (40 000) sont désormais plus nombreux que les Palestiniens (25 000). Ces derniers ont émigré au fil des ans, en Allemagne et en Suède, principalement. Des constructions en dur se dotent d’étages supplémentaires, construits à la va-vite.
À la porte d’une permanence du Fateh, un groupe de militants conversent. « Ce deal du siècle est un complot pour définitivement anéantir la cause palestinienne », martèle l’un d’eux. Nous le rejetons. De même que nous refusons toute initiative américaine pro-israélienne, et donc à nos yeux suspecte. » « Jérusalem n’est pas à vendre. Et toutes les richesses du monde ne nous feront pas abandonner la terre de Palestine ! » martèle à son tour une responsable du club de la Galilée, qualifiant la conférence de Manama de « trahison de la part des dirigeants arabes et surtout du régime bahreïni ».
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Un bon deal vaut mieux qu’une vie de misère
Qu’ils soient jeunes ou vieux, les habitants du camp s’enferment dans un même refus. Au nom de leur cause, de leur histoire, de leurs victimes, de leurs guerres. « Cette conférence est une conspiration contre le peuple palestinien », dit cet émigré en Suède, de retour pour rendre visite à ses proches. « Nous y ferons échec tant qu’il restera un Palestinien vivant », lance de son côté Abou Amer, rescapé de Tell Zaatar. « Nous sommes prêts à avoir faim, mais il n’est pas question d’abandonner notre patrie, fait remarquer un père de famille qui vient juste de perdre son emploi de menuisier. Et si nous obtenons une autre nationalité, nous resterons toujours Palestiniens. »
Même les plus jeunes sont intraitables. « Que personne ne touche à notre terre qui est celle de nos ancêtres », répondent en chœur deux adolescentes, Janane et Nadia. Plus pragmatique, le cardiologue du camp est certain d’un refus généralisé, mais ne peut s’empêcher de demander : « Et que va-t-il se passer lorsque l’argent aura disparu, avalé par la corruption ? Je ne veux ni argent ni nationalité libanaise. Accordez-moi juste des droits. »
Au fil des conversations et des slogans répétitifs, un jeune coiffeur lance excédé : « Moi ? Donnez-moi l’argent et je vendrai la Palestine entière ! » Un silence gêné s’installe. Son entourage enjolive ses propos. « J’ai été impulsif », regrette-t-il finalement, expliquant que son travail lui permet à peine de manger et de payer le loyer du fauteuil, son seul outil de travail. L’un de ses proches intervient : « Ses propos ont dépassé sa pensée. Peut-on dire à nos familles restées en Palestine que nous avons abandonné la cause ? De toute façon, la décision ne nous revient pas. »
Cet « incident » est loin d’être un cas isolé. Quelques commerces plus loin, un jeune homme qui tient un café évoque certes ce « deal du siècle », comme chacun appelle ici la conférence de Manama. Mais il assure qu’un « bon deal » et « une vie meilleure pour le peuple palestinien » valent mieux que « cette existence de misère sans droits, sans couverture sociale ni médicale ». « Observez notre quotidien, cette promiscuité, cette saleté, ces câbles qui ont déjà tué plusieurs habitants, ces maisons étriquées qui risquent de s’écrouler sur nos têtes, souligne-t-il, montrant les ruelles insalubres du camp. Est-ce bien cela que nous voulons ? » Dans ses rêves, le cafetier est déjà loin, en Suède ou en Allemagne, ces pays où il fait bon vivre, que nombre de ses compatriotes ont rejoint par des filières illégales. « Je tente de rejoindre l’Europe, par tous les moyens », avoue-t-il.
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commentaires (5)
Mais c'est un vrais business mafieux! L'UNRWA touche US$440 par mois et par "refugie" inscrit sur ses listes! Vpus imaginez un peu ce que cela veut dire? Une vrais foutaise maintenue depuis 71 ans...
IMB a SPO
17 h 01, le 25 juin 2019