La politique a parfois ses raisons que même l’économie ignore. Elle dépend en partie de facteurs qui ne relèvent pas strictement de l’ordre rationnel : la fierté, la rancœur, la croyance ou encore l’histoire pour ne citer qu’eux. Pourquoi enfoncer pareilles portes ouvertes ? Parce que l’homme le plus puissant du monde est un businessman qui pense que tout peut se négocier et tout peut s’acheter. Il a bâti son succès sur cette logique sur la scène domestique et essaye d’en faire de même sur la scène internationale. Avec peu de réussite, c’est le moins que l’on puisse dire.
Donald Trump utilise la puissance du dollar comme une arme de pression massive sur ses adversaires. C’est son marteau préféré, qui a le mérite de faire très mal à un coût quasi nul pour les États-Unis. Mais les clous sont pour l’instant plus solides qu’ils n’y paraissent, et ce marteau n’est peut-être pas le plus adapté pour en venir à bout. La méthode n’a pas fait plier la Chine de Xi Jinping dans un bras de fer que l’on présente pourtant comme une « guerre commerciale ». Comment peut-elle alors permettre de régler les deux problématiques les plus sensibles du Moyen-Orient : la question iranienne et la question palestinienne ?
À coups de sanctions, le président américain veut tordre le bras du régime iranien et le contraindre à négocier selon ses termes. Il ne demande pas un changement de régime et encore moins une démocratisation de l’Iran. C’est un deal commercial qu’il propose en réalité à la République islamique, que l’on pourrait traduire ainsi : « Acceptez mes conditions et nous pourrons faire affaire ensemble ; continuez de refuser et j’étouffe votre économie. » Donald Trump s’adresse aux intérêts du porte-monnaie. Et semble par là même ignorer complètement que la légitimité du pouvoir iranien dépend très largement de facteurs idéologiques et politiques. Accepter le deal américain, même si cela peut être dans l’intérêt économique de l’Iran, c’est renoncer à ce qui constitue l’essence même de la République islamique.
C’est la même logique qui anime l’administration Trump dans sa gestion du dossier israélo-palestinien. L’équation « l’État contre la paix » a été remplacée par une proposition de deal « l’argent contre la paix ». Les États-Unis veulent acheter la paix aux Palestiniens et faire payer la facture aux pays du Golfe. Le volet économique du plan Kushner, dévoilé hier et sobrement intitulé « De la paix à la prospérité », promet d’arroser la partie palestinienne avec pas moins de 50 milliards de dollars. Pourquoi les Palestiniens, qui vivent dans des conditions terribles, refuseraient cette main tendue ? Là encore, parce que la partie américaine passe à côté de l’essentiel : la dignité d’un peuple ne s’achète pas. Et l’argent ne peut remplacer la terre. Même si une partie de la jeune population palestinienne, dégoûtée des magouilles et de la corruption de ses dirigeants, pourrait se laisser tenter par cette voie alternative, aucun leader palestinien ne pourrait entériner un accord diplomatique qui n’inclurait pas la création d’un État. La dépolitisation a ses limites, au Proche et au Moyen-Orient encore plus qu’ailleurs. Durant la campagne américaine de 1992 remportée par Bill Clinton, son conseiller James Carville répétait inlassablement la même phrase, devenue célèbre, pour expliquer la stratégie de son candidat : « It’s the economy, stupid ! » L’un des conseilleurs actuels du président américain serait bien avisé de lui expliquer pourquoi sa stratégie diplomatique ne fonctionne pas : « It’s the politics, stupid ! »
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LA VERITE
18 h 26, le 24 juin 2019