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Culture - RENCONTRE

Waha al-Raheb : La folie n’est pas seulement dans l’asile psychiatrique...

Pasionaria de la liberté d’être, d’agir et d’écrire, auteure syrienne installée à Beyrouth, elle signe* son tout dernier roman « Al-Jounoun Talikan » (« La folie en liberté », Hachette-Antoine, 202 pages). Entretien avec une agitatrice de conscience pour parler écriture, sagesse d’être et difficulté de vivre en un Orient morcelé...

Waha al-Raheb, un parcours qui oscille entre théâtre, cinéma, télévision et littérature. Photo DR

Entre théâtre, cinéma, télévision et littérature, elle ne s’est guère perdue mais bien retrouvée. La casquette vissée sur ses cheveux noirs de jais qui cascadent sur son visage, lunettes noires de star (qu’elle n’enlève pas tout le long de l’entrevue !), peau blanche pour des traits fins avec un nez mutin, à soixante ans, Waha al-Raheb a toutes les allures élégantes d’une comédienne, d’une cinéaste et d’une femme de lettres.

Bon sang ne saurait mentir, proche parente de Hani al-Raheb, le virulent écrivain originaire de Lattaquié qui a fustigé sans ménagement le système décadent et corrompu du monde arabe, elle suit ses traces dans la contestation d’une société machiste et d’un système politique retors et porté vers la dictature.

Diplômée en beaux-arts à Damas où elle a vécu, elle effectue un séjour dans la Ville Lumière pour parfaire sa formation à l’Université Paris VIII avec un scénario qui retient l’attention, intitulé Manfa Ikhtiari (« Exil volontaire »). Aujourd’hui épouse du réalisateur Maamoun al-Bounni (qui a signé, entre autres, le film La vie d’un enfant), Waha al-Raheb a vite enchaîné avec le monde des planches dès son retour au pays natal, surtout avec le metteur en scène Walid Kawatli.

Elle fut une Lady Macbeth dans un remake de Hatem Ali, puis une figure féminine emblématique pour la cause du peuple palestinien devant l’œil de la caméra, elle a également campé le pittoresque personnage à la double personnalité de Zoueina sous la direction de Nadjat Ismail Anzour, réalisateur d’origine circassienne.

Puis c’est la fuite de la guerre en Syrie, non seulement à cause de l’insupportable violence, mais aussi à cause de ses démêlés avec les institutions officielles qui lui reprochaient son ton véhément et son (fra)cassant anticonformisme. Errance entre l’Égypte, Dubaï, et aujourd’hui la parenthèse libanaise. Entre-temps Waha al-Raheb a accumulé des prix (ceux de Tunis, Carthage et Alexandrie) pour ses prestations télévisuelles et cinématographiques. Mais sa réputation s’est encore élargie lorsqu’elle est passée en 2003 derrière la caméra pour signer Roaa Halema (« Visions rêveuses »), faisant d’elle la première femme en Syrie à manipuler avec maestria la machine cinématographique. Mais que l’on n’oublie pas que la jeune femme, issue d’un milieu d’intellectuels (son père était diplomate), entretenait depuis toujours une passion vive pour l’écriture.

Et la romancière s’est épanouie au bout des scénarios patiemment fignolés et qui ont trouvé bon écho auprès du public et de la presse. Plus de quatre romans déjà où les thèmes les plus sulfureux et les sujets tabous dans le monde arabe sont abordés frontalement et en toute audace. Aussi bien le colonialisme que l’identité sexuelle masculine levantine, trouble et troublante. Et elle ne porte pas de gants pour le dire et ne fait de cadeau à personne !


L’asile des politiques

Pour son tout dernier opus fictionnel, Al-Jounoun Talikan (« La folie en liberté »), largement inspiré de la délirante situation en Syrie, elle s’en prend, à travers une métaphore d’une visite de comédiens à un asile psychiatrique pour tourner une scène, au système politique et sécuritaire qui muselle, botte, déroute et malmène le citoyen.

Et Waha al-Raheb, jamais rêveuse mais toujours éveillée derrière les verres épais et noirs de ses lunettes, de confier : « Il s’agit, dans ce livre, de la folie dans tous ses états. Dans ces pages, l’héroïne est une comédienne qui s’appelle Dina. Tout bascule lorsqu’une équipe de cinéma veut tourner une scène de folie dans un hôpital psychiatrique à Damas. Dans une zone limitrophe où les batailles font rage sur les rives du Barada et où stationnent des blindés, toute l’équipe est cernée par les gens du gouvernement. » Et l’écrivaine de préciser : « Tout commence par un crime où réalité et fiction s’emmêlent. Mais la réalité dépasse la fiction. Il y a là aussi Majed, le comédien à l’ego démesuré et atteint de folie de grandeur. Avec cette situation de guerre, la folie, en plus du paradoxe des comédiens, est commune et c’est un fil bien ténu qui sépare les protagonistes, d’ailleurs chacun dans ses retranchements ! Différemment passionnels ! Et ainsi le crime individuel se confond avec celui de la masse. Les fous ne sont pas seulement dans l’enceinte de l’asile mais aussi à l’extérieur… Et je pense pour cela, en idée adventive, aux agissements de Daech et sa folie comportementale… »

Et pour ce livre, entre fiction, absurde, réflexion sociétale et dénonciation des travers humains à l’esprit tortionnaire, quel style Waha al-Raheb a-t-elle adopté ? « J’ai opté pour une écriture simple et simplifiée avec un style fluide et léger. Je voudrais toucher le lecteur à peu de mots. »

Des projets en tête ou sur sa table travail ? « Bien sûr, un nouveau roman, Hajez Lil Kafan (« Barrière pour un linceul »). Une jeune fille devant un barrage militaire dévoile un drame de vivre. Celui de la femme toujours angoissée, face à la violence, la maltraitance et la mort. La femme qui est la moitié effacée, persécutée, exploitée par une mentalité masculine manipulatrice…. »

Un nouveau coup de poing sur la table pour une écrivaine qui est loin d’avoir dit son dernier mot !


*Waha al-Raheb signera son roman le jeudi 20 juin, à la librairie Antoine ABC Verdun, de 18h à 20h.

Entre théâtre, cinéma, télévision et littérature, elle ne s’est guère perdue mais bien retrouvée. La casquette vissée sur ses cheveux noirs de jais qui cascadent sur son visage, lunettes noires de star (qu’elle n’enlève pas tout le long de l’entrevue !), peau blanche pour des traits fins avec un nez mutin, à soixante ans, Waha al-Raheb a toutes les allures élégantes d’une...

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