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Culture - Exposition

Taysir Batniji, puissant et poignant témoignage d’une identité non identifiée

À l’occasion de son exposition solo « Sand Comes Through The Window »* qu’accueille en ce moment le Mina Image Center à Beyrouth, l’artiste palestinien revient sur trois volets qui sous-tendent cet événement, et plus globalement son œuvre depuis sa genèse...

Une vue de l’exposition « Sand Comes Through The Window », de Taysir Batniji. Photo Taysir Batniji

L’autobiographie

« Sans que je ne m’en rende compte, au fil du temps, mon œuvre a pris une dimension autobiographique. Je crois que les choses qu’il m’a été donné de vivre se sont instinctivement répercutées sur mon travail, que ce soit le décès de mon frère – tué par un sniper israélien en 1985 – que j’ai traité 25 ans plus tard avec ma série de gravures To my Brother présentée dans le cadre de cette exposition (au Mina Image Center), ou l’impossibilité de mon retour à Gaza que je détaille à travers mon installation Disruptions de captures sur écran de conversations WhatsApp avec ma famille en Palestine. Ces choses se font naturellement, et j’ai souvent l’impression que ma mémoire se met à creuser en moi pour faire resurgir des images d’enfance qui influencent ma pratique invariablement. Toutefois, j’ai besoin d’établir une certaine distance avec les choses, afin de les traiter avec plus de poésie, et surtout pour ne pas que ma colère dicte ce que je crée. Mais par-delà cet aspect intime, ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir tisser des liens entre le personnel et le public. Pour revenir à To my Brother, l’illusion optique qui se produit avec ces gravures – de loin elles ressemblent à des pages blanches, et en s’y approchant, on y décerne les images de mariage de mon frère – permet de placer un deuil intime dans un contexte régional et un récit plus universel, car je ne veux pas être uniquement regardé par le prisme d’un art palestinien stricto sensu. »


L’exil

« Le terme exil me dérange un peu, car il signifie un non-retour, une impossibilité, une amputation, or je refuse d’admettre que je ne rentrerai jamais à Gaza et je continue à garder un espoir, même infime. Cela dit, mon éloignement du bercail est indéniablement l’une des pierres angulaires de mon travail. J’ai commencé à en prendre conscience lors de mon premier départ pour l’Italie en 1993. Sur mon laissez-passer délivré par les autorités israéliennes j’avais découvert qu’il était écrit : identité non identifiée. Bien que cela m’avait profondément perturbé à l’époque, en Europe où je débarquais pour la première fois, personne ne semblait surpris de lire ça. J’ai donc voulu soulever cette question, notamment avec Disruptions qui, d’une certaine manière, racontent un retour par la pensée à Gaza, bien que cela soit rendu presque impossible, comme l’indiquent les images brouillées. Elles deviennent à la fois les témoins d’une séparation, et le pont qui continue à me rapprocher des miens, exprimant l’entre-deux dans lequel je me retrouve depuis que je suis installé à Paris. C’est d’ailleurs un cas similaire qui se présente sur Watchtowers où, suivant la technique photographique des Becher qui avaient documenté l’architecture des bâtiments industriels des XIXe et XXe siècles en Europe et en Amérique du Nord, j’ai voulu faire une série d’images sur les miradors israéliens. Sauf que, ne pouvant pas me rendre sur place pour capturer ces images, c’est un artiste palestinien qui s’en est chargé. Ma manière de faire face à ce non-retour imposé… »


L’absence

« C’est le noyau de mon exposition beyrouthine du moment. Mais plutôt que d’aborder l’absence comme un oubli, j’ai toujours préféré matérialiser ce vide et représenter la disparition. J’ai toujours été fasciné, et profondément troublé par les lieux où j’ai vécu et que je redécouvre sans les gens qui y étaient présents, estimant que leur absence pèse tout autant que leur présence d’avant. De fait, j’ai longtemps scruté les murs de Gaza au début des années 2000 sur lesquels les portraits des martyrs se déchiraient et disparaissaient avec le temps. Seuls les résidus de ces photos collées restaient et, en même temps qu’elles ne sont plus là, elles existent encore à travers leurs souvenirs. À partir de cette constatation, j’ai réalisé ma série Traces, soit des aquarelles où j’ai reproduit des traces, des restes d’images qui se seraient décollées et par le biais desquelles j’ai voulu interroger les séquelles d’une disparition. Dans cette optique aussi, il y a Fathers, ces photos de pères qui trônent dans des établissements publics de Gaza. Disparus ou à la retraite, la mise en scène de leur absence les rend d’autant plus présents. C’est que j’appelle la présence de l’absence. D’ailleurs, c’est étrange, je me souviens que je n’ai réellement ingéré l’idée du décès de mon frère qu’au moment où l’on avait affiché son portrait de martyr dans le quartier… »

* « Sand Comes Through The Window », de Taysir Batniji jusqu’au 11 août 2019 au Mina Image Center, immeuble Stone Gardens, rue Darwich Haddad, quartier du port, Beyrouth.

L’autobiographie« Sans que je ne m’en rende compte, au fil du temps, mon œuvre a pris une dimension autobiographique. Je crois que les choses qu’il m’a été donné de vivre se sont instinctivement répercutées sur mon travail, que ce soit le décès de mon frère – tué par un sniper israélien en 1985 – que j’ai traité 25 ans plus tard avec ma série de gravures To my...

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