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Diaspora - Portrait

Joze Piranian ou la revanche du bègue

Le jeune Libanais a choisi de faire de sa peur de parler une force. Il est aujourd’hui conférencier et comédien.


Joze Piranian, 29 ans, comédien. Photo Chucri Béchir, fournie par Joze Piranian

À 29 ans, Joze (Joseph) Piranian maîtrise six langues. L’arabe, l’anglais, le français, l’espagnol, le portugais et l’arménien. Une foule de mots qui, pourtant, ont eu tant de mal pendant longtemps à sortir de sa bouche que le jeune Libanais avait développé une peur panique de toute prise de parole, surtout en public. Aujourd’hui, c’est pourtant en parlant qu’il gagne sa vie. Comme en mai dernier, quand il a fait l’ouverture devant un millier de personnes du spectacle du comédien libano-américain Nemr Abou Nassar, à Toronto. Une réussite, puisque Abou Nassar le qualifiera de « bête de scène » !

C’est à l’école, à l’International College à Beyrouth, que le jeune Libanais comprend qu’il est « différent » parce qu’il bégaie. « Je n’étais pas capable de parler ou de lire à haute voix sans bloquer sur un mot, surtout ceux qui commençaient par un M ou un W », confie-t-il à L’Orient-Le Jour. Il choisit alors malgré lui de rester silencieux, en retrait. « En ne parlant pas, je me protégeais du monde entier parce que j’avais peur d’être jugé », se souvient le jeune homme.

La peur de parler est telle qu’il va jusqu’à se faire porter malade un 31 décembre pour échapper à un dîner de famille. Et une dizaine d’années plus tard, alors qu’il suit des études en psychologie et commerce à l’université McGill de Montréal, il demande à ses professeurs de l’exempter de toute participation orale durant les cours.


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Parler à une centaine d’inconnus chaque semaine
Aujourd’hui, le jeune Libanais, basé au Canada depuis 2007, donne des conférences et fait de la stand-up comedy. Son combat pour vaincre la peur qui a fait de sa vie « un enfer » fut long et n’aurait pas abouti sans sa détermination. « Tout cela est encore un peu irréel pour moi », confie-t-il en revenant sur son parcours.

Durant son enfance au Liban, Joze Piranian suit des thérapies qui « s’avèrent inutiles ». À l’âge de 17 ans, il décide alors de se rendre en Angleterre où il apprend une technique de respiration qui lui permet aujourd’hui de s’exprimer. « Pour la première fois de ma vie, je sentais que je contrôlais ma peur. » Malgré cet énorme progrès, le jeune homme reste « incapable de parler dans la majorité des situations, parce que cela signifiait être différent ». Il comprend alors que « la magie n’opérera » que lorsqu’il se mettra dans des situations « très inconfortables ».

C’est ainsi qu’à sa troisième année d’études, Joze Piranian se lance : il prend des cours de prise de parole en public, rejoint un club de débat au sein de son université et, à l’automne 2016, décide de suivre pendant deux mois des cours de comédie à Toronto. Il comprend aussi que pour pouvoir s’exprimer, il doit le faire sans cesse. Il se lance donc le défi, chrono en main, de parler à une centaine d’inconnus chaque semaine. « Quand je ne me force pas à affronter ma peur de manière régulière, elle refait surface », explique-t-il.


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« Notre peur, notre force »
En décembre de la même année, Joze Piranian monte sur scène pour la première fois. « J’ai caché ce spectacle à mes proches », raconte-t-il. Il s’en souvient comme d’un moment « extrêmement libérateur ». « Je bégaie, alors si vous avez des plans pour les prochaines 48 ou 72 heures, annulez-les », lance-t-il en guise d’introduction. Le public rit aux éclats.Six mois plus tard, le jeune Libanais participe à la compétition « Speaker Slam ». Cette fois, son propos a pour objectif d’inspirer plutôt que de faire rire. « Mon nom était la chose la plus difficile à dire », dit-il au public, avant de raconter une soirée de son adolescence au cours de laquelle il rencontre une fille. « Elle m’a pris la main et m’a demandé comment je m’appelais. Face à mon incapacité à dire mon nom, elle m’a lâché la main puis est partie. » Il remportera la compétition. Deux ans plus tard, Goalcast publie la vidéo de ce discours sur sa page Facebook : elle devient virale, engrangeant plus de deux millions de vues.




Après avoir remporté le Speaker Slam, les opportunités s’enchaînent pour Joze Piranian. Il intervient devant 500 personnes lors d’un TEDx. Le thème de son intervention : « Pourquoi notre plus grande peur est notre plus grande force. » En septembre 2018, il est invité à parler devant 2 500 personnes, des leaders et entrepreneurs, dans le cadre du sommet Archangel. Organisations et écoles se mettent à le contacter pour évoquer dans des conférences son expérience, sa peur et les moyens de la surmonter. En parallèle, il continue le stand-up : à Toronto, à Montréal, à New York, à Chicago, à Édimbourg et à Londres. En décembre 2018, il se produit à Beyrouth, dans le cadre d’awk.word.

« Ce n’était pas facile de grandir au Liban, donc s’y produire était très symbolique pour moi. » C’est la première fois que sa famille et ses amis le voient sur scène. Le même mois, il quitte son job de chef de projet au sein d’un bureau d’études pour se consacrer à sa nouvelle passion. Son parcours n’est pas dépourvu d’obstacles. « Ta manière de parler me donne mal à la tête, arrête ! » lui lance un jour un spectateur. Mais Joze Piranian ne se laisse pas intimider. « C’est ma revanche sur le destin. Je croyais que j’étais destiné à une vie de regrets, que je penserais toujours à ces conversations que je n’ai pas eues. Ce n’est pas le cas. Quand quelqu’un vient me dire après un discours que je lui ai donné le courage d’affronter sa propre peur, c’est mon carburant », confie-t-il.


Joze Piranian sur Instagram : @yeswayjoze



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Cette page est réalisée en collaboration avec l’Association RJLiban. E-mail : monde@rjliban.com – www.rjliban.com

À 29 ans, Joze (Joseph) Piranian maîtrise six langues. L’arabe, l’anglais, le français, l’espagnol, le portugais et l’arménien. Une foule de mots qui, pourtant, ont eu tant de mal pendant longtemps à sortir de sa bouche que le jeune Libanais avait développé une peur panique de toute prise de parole, surtout en public. Aujourd’hui, c’est pourtant en parlant qu’il gagne sa vie....