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Moyen Orient et Monde - Interview express

« En Afghanistan, le report des élections est vu comme une nécessité »

David Rigoulet-Roze, chercheur et enseignant rattaché à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) répond aux questions de « L’Orient-Le-Jour » sur la situation actuelle dans le pays.

Les forces de sécurité afghanes à Kaboul. Reuters/Omar Sobhani

Les élections présidentielles qui devaient se dérouler en Afghanistan en avril, puis en juillet, ont, le 16 mai courant, finalement été repoussées à l’automne, notamment en raison des pourparlers de paix engagés par les Américains avec les talibans pour mettre fin au conflit qui dure depuis 18 ans. Dans ce contexte, David Rigoulet-Roze, chercheur et enseignant rattaché à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et auteur de L’Afghanistan 2014 : retrait ou retraite ?, répond aux questions de L’Orient-Le-Jour, donnant ainsi un éclairage sur la situation générale dans le pays.


Pourquoi l’élection présidentielle a-t-elle été une nouvelle fois reportée en Afghanistan ?

La présidentielle a dû être reportée du fait du contexte dégradé qui prévaut dans le pays depuis les élections législatives d’octobre 2018 dont l’organisation avait pour le moins laissé à désirer et d’un bilan sécuritaire qui a rarement été aussi meurtrier depuis le début du conflit, mais aussi compte tenu du processus de négociations initié entre les États-Unis et les talibans depuis l’été 2018. Il s’agit de laisser une marge aux attendus de ces négociations complexes alors même que les talibans ont, pour accroître la pression, lancé comme à l’accoutumée leur fameuse « offensive de printemps » qui marque habituellement le début de ce qui est considéré comme la « saison des combats ». Le report de l’échéance électorale est vu à la fois comme une nécessité mais aussi comme une opportunité pour essayer de parvenir à un cessez-le-feu d’ici à la présidentielle qui pourrait alors se tenir dans des conditions moins défavorables.


Où en sont les négociations entre les États-Unis et les talibans ?

Les négociations entre les États-Unis et les talibans ont discrètement débuté durant l’été 2018 à Doha au Qatar où se trouve un bureau de représentation des talibans depuis juin 2013. Les rencontres se sont multipliées depuis, sous la houlette de Zalmay Khalilzad, un Afghano-Américain d’origine pachtoune, qui fut par le passé surnommé « l’Afghan de Bush » et même un temps ambassadeur à Kaboul entre 2003 et 2005, avant de devenir aujourd’hui l’envoyé spécial américain du président Donald Trump, missionné pour mettre un terme à un conflit de près de 18 ans. Après une première ébauche d’accord annoncée le 26 janvier 2019, prévoyant notamment le retrait des forces étrangères dans un délai de 18 mois en contrepartie de l’engagement formel des talibans selon lequel ni el-Qaëda ni le groupe État islamique ne pourront utiliser l’Afghanistan comme base arrière, il envisageait également la possibilité de l’instauration d’un cessez-le-feu dont le calendrier resterait à définir. Or, encore récemment, el-Qaëda a revendiqué ses liens historiques avec les talibans, le problème est donc que l’ambiguïté n’est pas levée. Un sixième cycle de pourparlers entre les États-Unis et les talibans était officiellement programmé pour mai 2019. Le gouvernement afghan n’a pas apprécié d’être marginalisé dans le processus, même si les États-Unis insistent désormais sur la nécessité de la mise en place d’un dialogue intra-afghan entre talibans et gouvernement auquel ils dénient toute légitimité car ils le considèrent comme un régime « fantoche ». Il y a l’idée qu’il y a les « bons talibans », ceux avec qui il peut y avoir négociation et qui refuseraient de s’allier avec el-Qaëda, mais au prix d’une remise en cause des libertés civiles, et les « mauvais talibans », les ultraradicaux, qui ne sont pas parmi les négociateurs.


Le président Ashraf Ghani a t-il des chances d’être réélu ?

Le président Ashraf Ghani, élu une première fois le 14 juin 2014, et dont le mandat qui était censé s’achever le 22 mai, a été finalement prorogé par la Cour suprême le 21 avril 2019 au vu du contexte qui prévaut, jusqu’à la prochaine élection présidentielle programmée pour le 28 septembre prochain, est aujourd’hui largement « démonétisé » sur le plan politique. Cela ne l’empêche pas de faire officiellement acte de candidature fin janvier 2019 pour un second mandat en comptant capitaliser sur le fait qu’il s’est « ré-afghanisé » en associant à son nom son appartenance tribale pachtoune Ahmadzaï, en se laissant pousser la barbe pour faire penser aux spingiri (« barbes blanches ») respectées des anciens, et en portant ostensiblement des vêtements traditionnels comme le kurta. Cela ne sera sans doute pas suffisant car il y a officiellement 14 candidats en lice, et certains sont des concurrents sérieux comme Abdullah Abdullah, le Premier ministre, qui se présente comme l’« héritier testamentaire » sur le plan politique de feu le commandant Massoud. Il s’était retrouvé au second tour lors de la dernière élection dont il avait contesté les résultats au profit d’Ashraf Ghani. Il y a également le Pachtoune Gulbuddin Hekmatyar qui revient sur le devant de la scène alors que c’est un ancien seigneur de guerre ayant rasé 40 % de Kaboul après la chute des communistes. L’Afghanistan, c’est aussi cela, pouvoir se présenter à une élection présidentielle même avec du sang sur les mains parce qu’il y a des allégeances, des soutiens et des calculs qui reflètent la complexité de la situation politique afghane. C’est donc extrêmement difficile de savoir ce qu’il va se passer le 28 septembre prochain car cela dépendra très largement des attendus du processus de négociation en cours entre les États-Unis et les talibans lequel processus, pour l’heure, est loin d’être finalisé.

Les élections présidentielles qui devaient se dérouler en Afghanistan en avril, puis en juillet, ont, le 16 mai courant, finalement été repoussées à l’automne, notamment en raison des pourparlers de paix engagés par les Américains avec les talibans pour mettre fin au conflit qui dure depuis 18 ans. Dans ce contexte, David Rigoulet-Roze, chercheur et enseignant rattaché à l’Institut...

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