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Diaspora - Histoire et diaspora

Michael Shadid, le socialiste de Marjeyoun qui a dédié sa vie aux pauvres

Ce médecin a soigné les nécessiteux et combattu les préjugés contre les Libanais, laissant une trace indéniable dans l’histoire de l’émigration libanaise aux États-Unis.

Michael Shadid.

Ce n’est un secret pour personne : les États-Unis sont la destination numéro un des étudiants libanais en médecine depuis plus d’un siècle. Si la majorité d’entre eux choisissent de s’y s’installer en espérant une future aisance financière, cela n’a pas été le cas de Michael Shadid. Il a quitté son Liban natal en 1898 pour devenir médecin, mais c’était pour tendre la main aux pauvres dans les zones rurales plutôt que pour penser à sa fortune personnelle.

Né en 1882 au sein d’une famille pauvre et nombreuse, il a perdu neuf de ses frères et sœurs à cause d’une maladie causée par la contamination des aliments et d’une hygiène médiocre. Cette catastrophe qui aurait pu être évitée l’a bouleversé à vie. Après s’être installé à Beyrouth avec son frère, sa sœur et sa mère, le jeune Michael reçoit une bourse qui lui permet de poursuivre des études au sein du Collège syrien protestant (qui deviendra plus tard l’Université américaine de Beyrouth). C’est là qu’il se rend compte que ce n’est qu’aux États-Unis qu’il pourrait étudier la médecine. En 1898, il s’y rend avec sa famille. Dans un premier temps, il travaille comme colporteur. Il n’abandonne pas son rêve de devenir médecin, mais le reporte quelque peu, obligé de pourvoir aux besoins de sa famille. En 1903, le jeune homme ambitieux parvient à économiser suffisamment d’argent pour s’inscrire à l’Université de Washington à Saint-Louis, dans le Missouri. Sur les bancs, avec ses amis, il découvre les idées socialistes et se sensibilise aux injustices raciales et sociales qui vont influencer son parcours.

En 1908, son diplôme de médecine en poche, il devient membre actif du Parti socialiste. Il démarre alors une tournée dans l’Amérique rurale où il prononce des discours dans les écoles. Il subit parfois les menaces de ceux qui le considèrent comme un « agitateur socialiste ». Malgré cela, il exerce en tant que médecin à Carter, dans l’Oklahoma, durant vingt ans.


Hôpital coopératif
La réalité qu’il découvre dans les zones rurales américaines le bouleverse. Il faut savoir que les fermiers n’avaient pas accès à des soins de santé abordables et de qualité. Certains sacrifiaient leurs récoltes ou leurs maisons pour se faire traiter. Puis Michael Shadid se rend compte de l’ampleur de la corruption et de l’ignorance des médecins eux-mêmes, constatant que ses collègues prescrivent souvent des opérations inutiles, simplement pour toucher de l’argent ou parce qu’ils n’ont pas les connaissances nécessaires pour soigner leurs patients.

En 1929, le médecin philanthrope propose la construction d’un hôpital coopératif à Elk City, qui appartiendrait aux agriculteurs eux-mêmes. Son objectif à long terme est d’en faire un hôpital gratuit. En 1930, les travaux de construction débutent. Shadid tente d’impliquer ses confrères de la région dans son projet, mais il rencontre une résistance farouche. Au lieu de s’associer à lui, beaucoup lui mènent une guerre acharnée. Il doit attendre 1931 pour que son hôpital communautaire voie le jour.

Le succès de cette entreprise humanitaire est rapporté par les journaux de l’époque. Dans la foulée, il prend la parole partout aux États-Unis et au Canada afin de relater son expérience et d’apporter ses conseils pour la création d’un tel hôpital coopératif. Il publie également son autobiographie intitulée Un docteur pour le peuple, prônant la médecine coopérative. Une œuvre qui doit toujours avoir une résonance de nos jours, alors que la couverture médicale continue de faire couler beaucoup d’encre aux États-Unis…


Carrière politique avortée
En 1940, Shadid décide de se présenter au Congrès dans les rangs du Parti démocrate. Victime de diffamation et de rumeurs racistes, il est battu aux élections. Mais cela ne freine aucunement sa détermination. En 1946, il crée la Fédération de la santé coopérative d’Amérique dont il est élu président. Son fils Fred lui succède à la direction médicale de l’hôpital communautaire.

Au-delà de l’Amérique, c’est au Liban aussi qu’il dédie son talent et son savoir-faire en fondant un hôpital dans sa ville natale de Marjeyoun. Remplacé par la Croix-Rouge, l’hôpital a cessé de fonctionner dans les années 1950.

La chercheuse Caroline Muglia et Akram Khater, directeur du centre Moise Khayrallah*, soulignent qu’il y a tant à apprendre de l’ensemble de l’histoire de Michael Shadid. « Elle est souvent racontée du point de vue de la profession de la santé. Mais son passé d’immigrant est peu mis en relief. » « La plupart des conférences libanaises sur la diaspora sont dédiées, à de rares exceptions près, aux hommes et femmes d’affaires prospères, explique Akram Khater à L’Orient-Le Jour. Et les sujets abordés ne sont liés qu’à l’argent. Bien que les réalisations de ces personnes soient certainement louables, elles ne devraient pas être le seul critère pour parler du succès d’un migrant. Nous devons montrer plus clairement les productions culturelles des écrivains, artistes, cinéastes, qui enrichissent notre vie au Liban et au sein de la diaspora. Nous devons surtout mettre en valeur ceux qui, en toute modestie, travaillent dur pour gagner leur vie et fonder une famille et une communauté. Nous devons apprendre davantage sur les défis auxquels font face les émigrés (physiques, émotionnels, etc.) et sur leurs petites contributions. C’est alors que nous pourrons comprendre pleinement l’émigration libanaise. »

Et le médecin socialiste originaire de Marjeyoun en est un exemple éclatant. « Michael Shadid a passé sa vie à se battre pour la justice sociale, poursuit le chercheur. Nous faisons bien de suivre son exemple, notamment au Liban, où 37 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Nous ne pouvons pas vivre comme si de rien n’était, quand d’autres ont faim, quand ils manquent des soins médicaux les plus élémentaires. »

*La rubrique Histoire et diaspora est proposée en collaboration avec le Moise A. Khayrallah Center for Lebanese Diaspora Studies. Pour plus d’informations sur ce centre, consulter le site : https://lebanesestudies.ncsu.edu

Cette page est réalisée en collaboration avec l’Association RJLiban.

E-mail : monde@rjliban.com – www.rjliban.com


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