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Culture - L’artiste de la semaine

Rania Stephan, si naît ma passion

L’originalité et le renouvellement continu de son travail attestent d’un engagement et d’un amour sans limites pour un métier qui l’a menée à questionner et à conquérir sans arrêt son médium, le cinéma.

Rania Stephan : Je porte en moi l’histoire du cinéma. Photo DR

Rania Stephan se souvient de son adolescence : de la lumière feutrée et apaisante, de l’odeur de renfermé et de pop-corn mêlés et de cette ambiance envoûtante et magique des salles de cinéma à Beyrouth qu’elle fréquentait, seule. « Il n’y avait pas beaucoup de jeunes filles de mon âge qui allaient sans compagnie pour voir un film. » C’était une époque où elle s’intéressait au cinéma d’une façon plus intuitive que constructive. Elle se souvient avoir mélangé les genres et les époques. Du cinéma ludique noir et blanc de Lubitsch, au cinéma existentialiste de Bergman, de l’énergie débordante de Bruce Lee au cinéma spectacle de Fellini, tout y passait. Rania Stephan raconte appartenir à une famille de classe moyenne, intellectuelle et très éclairée. « Mon père était avocat et ma mère institutrice. » Après avoir obtenu son bac, elle décroche une bourse et s’envole pour l’Australie. Loin de la surveillance parentale, la liberté s’offre à elle comme s’ouvre une fenêtre sur le monde. Elle se remémore son premier cours de cinéma à l’université, celui durant lequel s’opère un déclic. « Voilà le monde dans lequel je veux évoluer pour le restant de ma vie. » C’était un cours qui abordait différents volets de la pensée, de la philosophie à la linguistique, de l’économie au féminisme. « Nous étions, dit-elle, à l’avant-garde de la pensée critique de l’époque. » Elle obtient sa licence en études cinématographiques à la Trobe University de Melbourne et décide de rejoindre Paris VIII pour son master qui comprenait la théorie mais aussi la pratique.

Le cinéma se raconte

C’est à Paris au cours de ses années de master qu’elle décide, avec des amis, de fonder une sorte de coopérative pour réaliser des films expérimentaux. « On a tout essayé, dit-elle : le son, le montage, le cadrage et la réalisation. C’était une expérience enrichissante et formatrice où nous avions toute la liberté pour abonder dans la création à l’état pur. Le cinéma d’auteur radical et expérimental me fascinait. J’en porte encore les stigmates. » Plus tard elle s’essaye à toutes les branches du 7e art et se familiarise avec les rouages du métier. « Pour arriver à restituer un univers et le partager avec le monde, il faut d’abord se le constituer, voilà ce que j’ai toujours tenté de faire, construire mon propre univers. »

Rania Stephan se lance dans la réalisation de petits films qui oscillent entre documentaire et fiction. « La ligne est ténue, je travaille toujours entre les deux, des images de fiction qui documentent la vie réelle, et le spectateur s’y perd mais pour arriver à mieux établir sa propre interprétation. Mon approche est esthétique, éthique et artistique », explique-t-elle.

La renaissance de Souad Hosni

Pour avoir travaillé et s’être penchée sur le cinéma du monde entier, japonais, italien, coréen, européen ou américain, la réalisatrice arrive à un constat désolant : l’absence du cinéma populaire arabe, aux yeux du monde, en tant que corpus intéressant à étudier. Pour l’Occident, cette matière était inconnue, inexistante. Après avoir visionné, en Australie, quelques films égyptiens, elle décide de faire porter sa thèse sur le cinéma de cette partie du monde en général et sur Souad Hosni comme héroïne de ce cinéma, en particulier. « Une star adulée du public arabe dans les années 60 et 70 qui me fascinait », avoue Rania Stephan. Cette beauté aux grands yeux noirs pétillants surnommée la « Cendrillon du cinéma égyptien » a joué dans plus de 70 films. Quand elle décède, Rania Stephan décide de lui rendre hommage et de construire un film autour de sa vie, ce qui lui imposera 10 années de recherche et de travail. « Au départ, très peu de personnes ont cru en mon film, je n’avais pas les moyens nécessaires, alors j’ai pris mon temps et Souad Hosni m’a accompagnée pour une décennie durant laquelle j’ai mûri, et mon approche cinématographique aussi. Je digitalise et catalogue 78 films, mais, au final, c’est une œuvre que je réalise de bout en bout comme je l’avais imaginée. Il n’y a pas un seul plan que je voudrais changer. Je reconnais que mon film tient tellement dans un équilibre parfait, charmant et compliqué, complexe et divertissant, accessible et mystérieux, qui reste à mes yeux abouti et complet. »

La réalisatrice termine le montage le jour de la révolution égyptienne. « Il y avait, dit-elle, un élan porté par cette vague de changement. » Le film parcourt le monde et obtient la reconnaissance du public et des gens de la profession.

Le cinéma se réinvente

C’est l’expérience « Souad Hosni » qui pousse la réalisatrice à s’intéresser aux archives et au montage. Elle lui ouvre des portes et lui permet de pousser les limites encore plus loin, d’approfondir sa démarche, et de la rendre plus complexe. Elle se plaît à osciller entre la fiction et le documentaire dans un travail où la ligne entre les deux est illusoire, mais où une partie nourrit l’autre. « Pour moi le montage est un outil de résistance et de réflexion très puissant pour modifier la forme. C’est à travers le montage qu’on a la liberté de créer et de laisser au spectateur un espace pour monter sa propre fiction. C’est ce que j’ai mis à l’œuvre dans mon court métrage Threshold projeté dans le cadre des “Écrans du réel” le dimanche 5 mai, au Metropolis Empire Sofil. » Ainsi, à partir d’un long métrage de 140 minutes, elle a « évacué la fiction de la fiction » et n’a gardé que les scènes de transition pour réduire le film à 11 minutes au lieu de 1h40. Le spectateur, alors, n’est plus passif mais dynamique puisqu’à son tour, il réinvente l’histoire. À sa manière.

1944

Laura de Otto Preminger

1958

Vertigo d’Alfred Hitchcock

1962

La Jetée de Chris Marker

1974

Je, Tu, Il, Elle de Chantal Akerman

1979

Al-Mutawahishat de Samir Seif avec Souad Hosni

2001

Mulholland Drive de David Lynch

2018

Livre d’images de Jean-Luc Godard




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