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Culture - Semaine du Son

Qui a dit qu’on ne peut pas apprécier les bruits de Beyrouth ?

Depuis quelques jours, des artistes et chercheurs abordent la thématique des sons dans la ville, et les propositions se déclinent, entre dénonciation et initiation...

La « Silent Room » de l’artiste Nathalie Harb installée rue Bliss dans le cadre de la Semaine du Son. Photo DR

« Le soir, j’écoute les sons de Beyrouth depuis mon balcon : c’est comme une symphonie », lance Budhaditya Chattopadhyay, chercheur et artiste en études sonores. Au même moment, un véhicule tout-terrain bruyant passe dans la rue à côté de lui, étouffant sa voix. Budhaditya Chattopadhyay est le curateur de la Semaine du Son, qui réunit à Beyrouth artistes et chercheurs autour de la problématique du bruit et des sons urbains. Du 8 au 15 mai, l’Université américaine de Beyrouth (AUB) accueille cet événement dont l’objectif est de sensibiliser le public et les responsables politiques à l’importance de la qualité de l’environnement sonore et d’initier à une meilleure connaissance des sons, comme l’indique le site de l’association

La Semaine du Son. Au programme : un concert de musique électronique Ode à la mer pour imaginer la mer à travers le son, un atelier pour apprendre à écouter les sons de la ville, ou encore une Silent Room (« chambre silencieuse ») pour s’éloigner de la cacophonie ambiante.

Ce n’est pas la première fois que la thématique fait du bruit à Beyrouth. Deux semaines auparavant, le musée Sursock accueillait le projet « Acoustic Cities: London-Beirut ». Un concert et une discussion étaient organisés le 25 avril par des organisations de recherche et des artistes libanais et britanniques. Le but : « Apprendre à écouter les choses réduites au silence, dans une ville où le bruit est parfois omniprésent », d’après Gascia Ouzounian, professeure de musicologie à Oxford et co-organisatrice de l’événement.

Parmi les projets artistiques présentés, certains sont communs au projet « Acoustic Cities » et à la Semaine du Son. Comme la Silent Room de Nathalie Harb : l’artiste libano-italienne a construit une pièce insonorisée à la rue Bliss, accessible jusqu’au 17 mai. Le bruit y est réduit au minimum. Est seulement diffusé un enregistrement de la ville entre 3 et 6 heures du matin, conçu par le compositeur Khaled Yassine.

Nathalie Harb propose ainsi un refuge contre la surcharge auditive et sensorielle de la capitale. Sans supprimer complètement le bruit pour autant : « Je voulais créer un espace où l’on n’ait pas besoin d’échapper à la ville : trouver un équilibre sensoriel, tout en restant dans la ville », nuance l’artiste.

Un équilibre sensoriel à Beyrouth, le projet est aussi ambitieux que nécessaire. Face au vacarme des embouteillages, chantiers et autres générateurs, l’Organisation mondiale de la santé multiplie ses avertissements. Selon l’organisme des Nations unies, outre le risque de déficience auditive, l’exposition au bruit provoque l’augmentation du risque de maladies cardiaques, la perturbation du sommeil ou encore des troubles cognitifs chez les enfants. Au quotidien, nul besoin d’être ouvrier dans le bâtiment pour subir le bruit. Rani, 32 ans et propriétaire d’un restaurant à Gemmayzé, déplore les nuisances sonores permanentes : « Je ne peux pas discuter avec un client si la porte est ouverte. »


Klaxons en allegretto
Glissando de générateurs, klaxons en allegretto et andante de marteau-piqueur ? Budhaditya Chattopadhyay, chercheur et artiste en études sonores, propose une « esthétisation des sons de la ville ». « Il faut harmoniser les sons de la ville et comprendre leurs harmonies internes », explique-t-il. Les artistes modifient alors la perception du son, plutôt que le son lui-même. Gascia Ouzounian, d’Acoustic Cities, remarque que le problème des sons dans la ville ne correspond pas juste à un nombre de décibels trop élevé. « Cela ne dit pas de quel type de bruit il s’agit : les gens voudront peut-être aller à un endroit bruyant s’il s’agit de voix humaines et joyeuses, plutôt qu’une autoroute tonitruante. » Nathalie Harb s’interroge d’ailleurs sur la source des bruits : « Qui décide que le bruit d’un oiseau est plus agréable que celui d’un générateur ? »

Ces chercheurs et artistes s’inspirent d’une tradition désormais ancienne. Le jeu esthétique sur les sons de la ville existe depuis les débuts de l’urbanisation. Dès 1913, le compositeur italien Luigi Russolo écrit le morceau Réveil d’une ville, imitant les bruits urbains. Russolo préfigure ainsi la musique électronique. En parallèle, les sons urbains ou sound studies deviennent un domaine de recherche. Des équipes de recherche se forment, comme le Centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement créé en 1979 à Grenoble.

Budhaditya Chattopadhyay ne nie pas le problème du bruit pour autant : « Il faut trouver un équilibre, certains sons doivent être réduits, bien sûr », concède-t-il. Il se dit lui-même particulièrement irrité par les klaxons beyrouthins.

Les solutions au bruit peuvent-elles venir de l’art ? Pour Nathalie Harb, sa Silent Room « n’est pas forcément une solution à long terme. Si la municipalité de Beyrouth installe trois Silent Rooms dans la ville, mais qu’elle ne régule pas le bruit, à quoi ça sert ? Je ne veux pas justifier le bruit environnant par des poches de silence. C’est un projet expérimental, pour commencer une réflexion ».

Quitte à être naïf, on demande si les pouvoirs publics font quelque chose sur le sujet. Constat à l’unisson : « Les pouvoirs publics ne s’impliquent pas vraiment sur ces questions », s’accordent Nathalie Harb et Budhaditya Chattopadhyay. Quant à Saïd Bitar, architecte fondateur du cabinet 4b Architects et professeur à l’Université Saint-Joseph, il sourit : « Je ne pense pas que l’État libanais va s’en occuper. » Il compare avec Paris où les bâtiments autour du métro ont des fondations en néoprène, qui insonorisent : « À Beyrouth, on n’est pas du genre à être à 100 décibels près. Ça n’existe pas. » Nathalie Harb complète avec lucidité : « Je crois que les pouvoirs publics ont des choses plus urgentes à gérer. » Difficile d’en savoir davantage sur la position de la municipalité de Beyrouth : les divers appels émis n’ont pas reçu de réponse. Face au bruit, silence radio ?

Pas complètement, car une réflexion a déjà été amorcée par un groupe de chercheurs de l’AUB. Dans un rapport datant de 2016, intitulé « Urban Noise Mitigation » (« Atténuer le bruit urbain »), les chercheurs proposaient notamment des solutions face aux nuisances sonores. Par exemple, aménager les horaires de travaux pour que tous n’aient pas lieu en même temps, choisir des matériaux et des équipements plus adaptés pour mieux isoler les sons, ou encore effectuer un suivi des sources de bruit.

Pour le moment, les solutions restent individuelles. La scénographe Nathalie Harb remarque que « désormais, le silence s’achète : on achète des bouchons d’oreille, une voiture plus chère équipée d’un système d’insonorisation, ou une place plus chère dans un train pour que le compartiment soit calme ». Pour l’architecte Saïd Bitar aussi, il revient à celui qui fait construire sa maison d’investir pour isoler. Les matériaux et techniques utilisés, comme les fondations en néoprène ou le double vitrage, coûtent cher. « 7 000 dollars pour 20m² de vitre antibruit, 2 500 à 3 000 dollars de plus que sans antibruit », évalue l’architecte. Sinon, la symphonie de Beyrouth reprend, da capo.



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commentaires (2)

LE SILENCE ABSOLU EST LE BRUIT LE PLUS ENERVANT !

JE SUIS PARTOUT CENSURE POUR AVOIR BLAMER GEAGEA

16 h 16, le 15 mai 2019

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Commentaires (2)

  • LE SILENCE ABSOLU EST LE BRUIT LE PLUS ENERVANT !

    JE SUIS PARTOUT CENSURE POUR AVOIR BLAMER GEAGEA

    16 h 16, le 15 mai 2019

  • Moi j’adore le bruit de ma rue ,et quand je pars en voyage il me manque..... J’ai refusé les double vitrages et comme je vis seule, le bruit de ma rue me garde connectee a la vie. Parce que j’ai tendance a le comparer au temps ou il n’y avait de bruit dans ma rue que celui des obus...je m’inquiete quand par hasard et pour un court moment tout devient silencieux.....

    Marie-Hélène

    09 h 17, le 15 mai 2019

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