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Culture - En librairie

Résistance poétique pour Gaza, réserve de chasse

« Ces témoignages rappellent la responsabilité de la création artistique et intellectuelle à l’égard du sens de l’homme, de la vérité, de la justice et du monde », souligne Adonis.


Photo de la couverture : visuel de Nicole Benkemoun.

Entre nos mains, un livre que l’on ne verra exposé dans aucun « bookshop » d’aéroport : Requiem pour Gaza (*). L’ouvrage rassemble les textes et poèmes d’une trentaine d’auteurs, de différentes nationalités, indignés de l’existence d’un territoire, Gaza, où deux millions de Palestiniens vivent dans des conditions matérielles et psychologiques hallucinatoires.

Préfacé par Adonis, le livre est coordonné par un poète tunisien, Aymen Hacem. Tous ses textes pourraient se réclamer de ces deux vers de Mahmoud Darwich, utilisés en exergue par l’un des auteurs : « Et nous, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens/Nous dansons entre deux martyrs. »

Signé par le poète Bernard Noël (grand prix de poésie de l’Académie française 2016), l’un des textes les plus mordants du livre décrit Gaza comme une « réserve de chasse » dont l’État hébreu « contrôle absolument les clôtures et qui, en connivence avec son grand allié, lui sert à sélectionner les diverses variétés de gibier humain, de la forte tête dont on fait des cibles au pauvre indic qu’on achète pas cher ».

« Où trouver un meilleur endroit pour entraîner les troupes, au mépris de l’adversaire et des droits de l’homme ? » s’interroge l’écrivain.

(…) Et puis, qu’on le sache une fois pour toutes, un mort est responsable de sa mort (…) Il faudra bien qu’un jour ce peuple, qui parasite son propre territoire, comprenne qu’il est de trop chez lui et que l’esclavage est plus désirable que la résistance », ironise-t-il encore.


Un martyrologe

Le livre s’ouvre sur un martyrologe : les noms des 185 victimes tombées sous les balles israéliennes entre le 30 mars et le 20 août 2018, après le déclenchement de la « grande marche du retour ». Cette déferlante populaire défendant le droit de retour des Palestiniens fera une soixantaine de morts pour la seule journée du 14 mai 2018, alors qu’au même moment, à Jérusalem, Ivanka Trump et Jared Kushner, gendre du président américain, inaugurent les travaux de construction de la nouvelle ambassade américaine. L’idée d’un Gaza « camp d’entraînement » développée par Bernard Noël n’est pas qu’une image, assurent les correspondants de presse. Beaucoup de médecins sont témoins qu’à Gaza, l’armée israélienne tire sur les jambes avec des balles dont les munitions sont étudiées pour estropier leurs cibles humaines.


Un retour à la préhistoire

Dans sa préface, Adonis écrit : « Qu’est-ce que cela signifie, humainement et culturellement, que la principale préoccupation de l’homme ne consiste pas à s’éduquer ou à travailler, mais à se maintenir en vie ? C’est la situation des Palestiniens aujourd’hui, au XXIe siècle, à l’ombre de la civilisation occidentale. »

«(…) Ces témoignages ne sont pas une déclaration de guerre contre ceux qui ont pris exemple sur Néron, lui qui jouait de la harpe pendant que le feu dévorait Rome. En revanche, ces témoignages leur rappellent la responsabilité de la création artistique et intellectuelle à l’égard du sens : le sens de l’homme, de la vérité, de la justice et du monde. Ces témoignages leur rappellent également que l’exagération dans l’indifférence à l’égard des événements historiques n’est rien d’autre qu’une sortie de l’histoire. » En somme, un retour à la préhistoire.

« Le poète, écrit-il encore, est naturellement et nécessairement toujours aux côtés de la conscience, quelle que soit l’identité de l’opprimé et en dépit de ses opinions et appartenances. »

Et le poète de conclure qu’il ne voit pas, dans ce qui se passe à Gaza « ce qui indique la dégradation de la civilisation européenne, mais (je vois) surtout ce qui indique la mort de cette civilisation ».


Un livre pour insomniaques

Requiem pour Gaza est un livre à lire les nuits d’insomnie, quand toute notre capacité d’écoute est tournée vers l’intérieur. C’est un livre pour tirer de son sommeil la France, avec un réveil impossible à taire. Réveil qui retentit encore plus fort avec la légitimation par Trump de l’annexion du Golan syrien.

La véhémence, la haine et la colère ne font pas de la bonne poésie. Il y faut la distance de l’image, le renvoi à l’universel, l’humour. On pêchera dans ce recueil autant de cris que de poèmes. J’y ai entendu le lamento de Marianne Catzaras, une Gréco-Tunisienne :

« (…) Il est 4 heures du matin/ Dans le ventre de ma mère/ Une pluie de pétales/ Annonce les autres phrases/

C’est vendredi saint/ Dans l’histoire des arbres/ C’est un jour de deuil annoncé/ C’est un livre sans histoire/ Qui écrit l’histoire/

C’est un enfant qui apprend à marcher/ Que l’on jette dans la fosse commune/ Cet homme épuisé/ Qui danse sous les rafales/ Agonise dans l’escalier.

Est-ce le vent ensanglanté/ Est-ce la botte étrangère/ Ou les corps qui désespèrent/ Est-ce la fleur incendiée/ Sur le parvis de fer ?

Sur l’icône du soir/ Le visage de la madone/a été effacé/Une icône insomniaque/ Parcourt les terres. »

Mais je ne voudrais pas être injuste pour les autres voix du livre, dont le visuel de couverture rouge, une encre de Nicole Benkemoun, tient réveillée ma lampe de chevet, je veux dire ma conscience.

« Réveille-toi, Vieux Continent/ C’est l’heure des halles de la civilisation/ De la culture fraîche est sur les étals des boucheries et chez les poissonniers/ Droit venue de la Méditerranée/ Aux ouïes rouges du poisson, tu sais qu’il vient d’être pêché/ Toi dont les oreilles sont remplies du chahut des restaurants. »

Dans une postface en forme de dialogue, Aymen Hacem et l’un des auteurs, Vincent Calvet, expliquent le sens de leur démarche. « La cause palestinienne est une cause juste, écrit Hacem. La soutenir fait de nous, poètes, non seulement de simples bon Samaritains, mais avant tout « les mauvaises consciences de notre temps », selon la superbe expression de Saint-John Perse. Faire ce livre avec des poètes des quatre coins de la Méditerranée, c’est œuvrer pour la paix en privilégiant la poésie, la parole vive et libre ».

« De son côté, la question israélo-palestinienne est devenue une question brûlante et taboue en France, écrit Vincent Calvet. La France de 2018 (et plus encore celle de 2019), c’est celle qui fait de tout défenseur de la Palestine un antisémite supposé. » Car c’est bien l’erreur d’interprétation dans laquelle des ignorants aveuglés par des idéologues cherchent à fourvoyer la pensée politique en France. Vraiment, comme dit l’expression latine : « Malheur aux vaincus. » « Les opprimés sont coupables de l’être. » (Bernard Noël).


(*) « Requiem pour Gaza », préface d’Adonis. Collection Urgences/Color Gang. Témoignages poétiques réunis par Aymen Hacem.


Entre nos mains, un livre que l’on ne verra exposé dans aucun « bookshop » d’aéroport : Requiem pour Gaza (*). L’ouvrage rassemble les textes et poèmes d’une trentaine d’auteurs, de différentes nationalités, indignés de l’existence d’un territoire, Gaza, où deux millions de Palestiniens vivent dans des conditions matérielles et psychologiques...

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