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Culture - Evénement

Il est temps de faire (re)vivre le cinéma de Jocelyne Saab

Ce soir, l’Association des amis de Jocelyne Saab projettera pour la première fois au sein de l’Institut français de Beyrouth* le dernier film de la réalisatrice libanaise. Une exclusivité mondiale qui marque le début de la résurrection de son œuvre.

Jocelyne Saab. Photo d’archives

En 2013, Mathilde Rouxel, jeune Française doctorante en cinéma, s’installe au Liban pour rédiger sa thèse. Intéressée par l’approche sensible et engagée du travail de Jocelyne Saab, l’étudiante contacte la réalisatrice dans le but de voir ses nombreux films rarement connus du public. À l’époque, elle ne savait pas qu’elle allait l’assister dans l’ensemble de ses projets et l’accompagner dans sa maladie pendant les six dernières années de sa vie. Le 7 janvier 2019, Jocelyne Saab est décédée en laissant derrière elle une filmographie impressionnante tant par sa quantité que par sa proposition formelle. Naît alors l’Association des amis de Jocelyne Saab, menée par Nessim Ricardou, son fils, Michèle Tyan et Mathilde Rouxel, qui entreprend de restaurer l’intégralité de son œuvre qui dessine le portrait méconnu et remarquable de la situation historique et géopolitique de la région arabe.

Le cinéma de Jocelyne Saab est une œuvre menacée de disparition. Sur ses quarante-quatre films, moins d’une dizaine sont aujourd’hui en état d’être vus. « Jocelyne voulait toujours aller de l’avant, coûte que coûte, quitte à peu s’occuper de ce qu’elle avait déjà construit », indique Mathilde Rouxel. Dès ses 25 ans, Saab a su convertir le machisme ambiant en un espace de liberté : on ne prêtait guère attention à cette jeune femme et, à son avis, et dès lors elle pouvait faufiler sa caméra là où d’autres n’auraient même songé pouvoir aller. Seule journaliste femme admise sur le bateau de Arafat après son départ du Liban en 1983, invitée par Kadhafi à goûter le couscous de sa mère, aux côtés d’un chef de guerre marocain lors de la guerre du Sahara occidental, bannie du Maroc et d’Égypte, « elle a toujours pu capter l’intime parce qu’elle avait le désir de le faire ». Indifférente aux conséquences, en prise permanente de risques, Joceylne Saab était déterminée à dire la vérité. « C’est sa volonté de dire la vérité plutôt que de montrer la réalité qui l’a menée à la fiction. Elle n’a jamais documenté l’exceptionnel : elle a fait des choses exceptionnelles, elle a rendu exceptionnel ce qui semblait ordinaire », note encore Mathilde Rouxel.


Faire revivre son œuvre
Aujourd’hui, il s’agit pour l’Association des amis de Jocelyne Saab de faire revivre une œuvre qui constitue non seulement une archive historique considérable pour le patrimoine libanais, mais également une œuvre cinématographique onirique, poétique, qui fait « le bilan des espoirs déçus et de la vie qui, malgré tout, continue ». Restaurer les nombreuses bobines de la réalisatrice est une entreprise d’autant plus onéreuse que les capacités d’archivage au Liban sont limitées. « La meilleure illustration de l’absurdité de la situation, c’est que, faute de mieux, nous n’avons pour l’instant trouvé d’autre endroit que Tanger pour conserver ses pellicules, tandis que le reste de ses travaux appartient à l’Institut national des archives français”, explique Rouxel.

Ce projet associatif a donc avant tout pour objectif de rassembler une communauté d’intéressés, de réunir les individus et équipes techniques qui, bien que présents en abondance au Liban, manquent d’une structure et de moyens pour faire exister les films de Saab. « Nous voulons travailler avec tout le monde car c’est ce que Jocelyne a toujours cherché à faire : travailler en dépit et contre les divisions. » Il faut, pour ressusciter le cinéma de Saab, créer un cercle vertueux d’information sur ses films et de travaux de restauration. De nombreuses initiatives privées existent déjà, mais peinent à communiquer entre elles, et c’est en ce sens que l’association, conçue comme une plateforme d’échange entre les intéressés, est en train d’enclencher le processus.

Ce soir, mardi 30 avril (jour de l’anniversaire de la réalisatrice) à 19h, à l’Institut français du Liban, l’association se présentera officiellement au public libanais et aux professionnels du cinéma du pays. Cette soirée aura également pour but le lancement d’une vaste campagne de dons nécessaires au bon fonctionnement de cette association qui œuvrera à la restauration, la préservation, la valorisation et la diffusion de l’œuvre de Jocelyne Saab en partenariat avec Contre-Courant, la Cinémathèque française et Cinémathèque Beyrouth.En plus de la diffusion exceptionnelle de son ultime court-métrage, My Name Is Mei Shigenobu, que Saab acheva dix jours avant son décès, l’association projettera également son dernier long-métrage sorti en 2009, What’s Going On. « À sa sortie, ce film avait été totalement incompris. Mais aujourd’hui, estime Mathilde Rouxel, le public comprendra ce film. Jocelyne avait toujours été en avance sur son temps, et l’appréciation de son travail mérite le temps du recul. » Invitant tous les publics à devenir porteurs de l’œuvre de Jocelyne Saab afin de lutter contre l’oubli, l’association incarne un effort générationnel et pressant : celui de reconstituer une image du Liban proche non pas du traitement médiatique traditionnel, mais de ce que Saab appelait « la vérité du cœur ».

*L’entrée est à 15 dollars, prix minimum de soutien, l’intégralité des bénéfices étant reversés à l’association pour le démarrage de ses projets.


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