C’est l’autre grande ligne de fracture qui divise depuis des années le monde arabe : celle qui oppose les forces révolutionnaires aux forces contre-révolutionnaires. Moins mise en avant que la lutte pour l’hégémonie régionale que se livrent l’Arabie saoudite et l’Iran, renforçant ainsi les tensions sunnito-chiites, cette bataille a pourtant déterminé en partie l’histoire récente de la région. Et continue de le faire.
Les « printemps arabes » ne sont pas morts. Mais ils avaient été enterrés par tous ceux qui ne voulaient pas du changement. Les événements récents en Algérie et au Soudan, où les manifestations populaires massives et pacifiques sont venues à bout des mandats du président Abdelaziz Bouteflika et de son homologue soudanais Omar al-Bachir, ont confirmé cette réalité : la révolution est encore en cours dans le monde arabe. « Les révoltes soudanaise et algérienne participent à la fois de l’impasse politique dans ces pays et du “temps long” de la question de la démocratisation dans le monde arabe. S’il y a une accélération aujourd’hui, c’est que les deux logiques ont fait jonction », résume Mohammad Mahmoud Ould Mohamedou, professeur d’histoire internationale au Graduate Institute à Genève.
Les contre-révolutionnaires ne sont toutefois pas en reste. La révision constitutionnelle qui a permis la prolongation de la présidence de Abdel Fattah al-Sissi en Égypte, après avoir été approuvée par référendum à 88 % mardi, est un signe supplémentaire de leur détermination à s’accrocher le plus longtemps possible au pouvoir, ignorant ainsi complètement les aspirations populaires qui ont remis en question l’ordre établi au cours de ces dernières années. Les « printemps arabes » ont tourné en ridicule le « monde arabe de papa ». Celui qui reposait sur l’idée que l’autoritarisme était le modèle le plus adapté aux peuples de la région – qui n’avaient d’autre langage que ceux du fanatisme et de la violence –, que la « géopolitique » expliquait tout et que le sommeil politique et sociétal dans lequel était plongée la région pouvait durer éternellement. Ces événements ont mis en avant les dysfonctionnements des modèles autoritaires arabes face à des populations toujours plus jeunes et plus éduquées. Cette image a toutefois été rapidement écornée et les « printemps arabes » ont été perçus de façon négative dès 2012-2013. Ils ont été associés à la déstabilisation et à la guerre, à l’arrivée au pouvoir des islamistes et à la montée en puissance des jihadistes. Tous les maux qu’a connus récemment le monde arabe leur ont été attribués, oubliant un peu vite l’héritage de décennies d’autoritarisme. Comme si on s’attendait à ce que des sociétés où la politique avait été exclue de la sphère publique deviennent, du jour au lendemain, des démocraties scandinaves.
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« Dans dix ans ou quinze ans, ils auront disparu »
C’était sans compter en plus sur les deux forces ennemies qu’ont dû affronter les révolutions arabes durant cette période : celles qui ont voulu récupérer les révolutions et celles qui ont voulu les éteindre. Le premier camp était mené par le Qatar et la Turquie. Le second par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Les uns ont soutenu l’OPA des Frères musulmans sur les révolutions arabes dans l’objectif d’accroître leur influence dans la région. Les autres sont venus au secours des institutions conservatrices, au premier rang desquelles figure l’appareil sécuritaire, pour mener la contre-révolution. Leur bras de fer a plongé les printemps arabes dans une arène géopolitique marquée par une lutte de pouvoir au sein du monde sunnite. C’est vrai pour l’Égypte, la Libye et la Tunisie. La situation syrienne est néanmoins différente. Ici, c’est l’Iran qui joue le rôle de principale force régionale contre-révolutionnaire alors que l’Arabie, dans une moindre mesure par rapport au Qatar et à la Turquie, a soutenu la révolution dans l’espoir d’en finir avec le régime de Bachar el-Assad.
Les contre-révolutionnaires ont gagné un peu partout ces dernières années. Ils ont imposé le retour de l’homme fort autoritaire, de la modernisation sans les droits politiques, de la répression et de la traque des opposants. Mais les révolutions algérienne et soudanaise ont de quoi les inquiéter : elles démontrent qu’ils ne peuvent pas s’opposer indéfiniment à la marche de l’histoire.
« Le push-back néo-autoritariste ne fera que déférer plus encore cet inévitable rendez-vous de la question d’un État arabe représentatif. La refondation de l’équation État-société est un processus ardu entamé depuis les années 1980 et qui se joue déjà sur deux générations. Que Abdel Fattah al-Sissi ait remis en place en Égypte le système Moubarak n’empêchera pas la possibilité d’un Tahrir 2.0, de même que le despotisme de Mohammad ben Salmane ne doit pas nous aveugler sur l’énergie d’une scène socio-politique saoudienne encore et toujours plus revendicative », analyse Mohammad Mahmoud Ould Mohamedou. Dans un entretien accordé il y a un mois à L’OLJ, l’écrivain égyptien Alaa el-Aswany, dont les livres sont interdits en Égypte, ne nous disait pas autre chose : « Les révolutionnaires n’ont que deux moyens à leur disposition : les rêves et le courage. Alors que l’ancien régime a tout : l’armée, la police, les médias, les hommes d’affaires. Il part donc gagnant au commencement, mais à un moment donné, il est impossible que la contre-révolution se poursuive, pour une raison très simple, qui est l’âge des révolutionnaires, qui oscille entre 20 et 30 ans, et l’âge du camp adverse qui frôle les 60-70 ans. Dans dix ou quinze ans, ils auront disparu. »
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commentaires (2)
POURTANT QU,ONT GAGNE L,IRAK, LA LIBYE, LA SYRIE ET LE YEMEN POUR NE CITER QU,EUX DES PRETENDUS PRINTEMPS SINON L,ANARCHIE ET LE CHAOS POUR DES DECENNIES A VENIR. JE NE SUIS PAR POUR LE DESPOTISME MAIS LES PEUPLES ARABES NE SONT PAS PRETS POUR LA DEMOCRATIE CAR ILS LA COMPRENNENT COMME ANARCHIE ET S,ENTRETUENT MANIPULES PAR DES FORCES ETRANGERES. ILS ONT DETRUIT LEURS PAYS.
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 09, le 26 avril 2019