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Moyen Orient et Monde - Récit

Le Golan syrien dans tous ses États

Washington a reconnu le mois dernier la souveraineté israélienne sur la partie de ce plateau occupé par l’État hébreu depuis 1967 et annexé en 1981.

Des druzes syriens dans le Golan occupé par Israël. Archives AFP

Boire un verre de vin blanc dans l’un des nombreux moshavim (communautés agricoles coopératives), suivre les sentiers de randonnées du mont Bental, visiter la forteresse de Nimrod construite par un fils de Saladin ou dévaler les pistes enneigées du mont Hermon… Visiter le Golan, c’est découvrir une région aux confins de l’État hébreu, et profiter d’une expérience unique et « hors des sentiers battus », promettent les agences israéliennes de tourisme. Cette image de carte postale ferait presque oublier que la région est depuis plus d’un quart de siècle un territoire spolié. Un territoire redevenu stratégique à la faveur de la guerre syrienne débutée en 2011, après avoir été pendant des années un îlot de stabilité. Les images du missile passant au-dessus des pistes de ski du mont Hermon intercepté par le système de défense israélien ont fait le tour du monde. Le Golan s’est réveillé sous le feu de la rivalité irano-israélienne. Et c’est ce moment que Donald Trump a choisi, à la veille des élections israéliennes, pour reconnaître la souveraineté de l’État juif sur la partie de ce plateau qu’il occupe depuis 1967 et qu’il a annexée en 1981. Une décision qui finit d’enterrer le processus de paix israélo-syrien, largement remis en question par la guerre syrienne et qui marque une rupture avec des décennies de tractations.

Pour les Arabes, ce territoire est avant tout synonyme d’humiliation. Celle de la défaite de la guerre de 1967, à l’issue de laquelle la Syrie des prédécesseurs de Hafez el-Assad a été amputée de ce plateau surplombant la vallée du Jourdain et la Galilée israélienne, à l’ouest, et le plateau de Damas, à l’est.

1967. La guerre des Six-Jours est un véritable choc pour les pays arabes. Au-delà des pertes militaires considérables et de l’humiliation d’avoir été battus par une seule et unique armée, l’Égypte perd la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï, la Jordanie est délestée de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, et enfin la Syrie abandonne le Golan à la merci de ses ennemis. Deux jours suffisent aux troupes israéliennes pour repousser les forces de Damas hors du plateau qu’ils convoitent depuis des années. « Des hauteurs du Golan, qui surplombent la Galilée, il y avait régulièrement des bombardements de la part de l’armée syrienne sur Israël avant sa conquête du plateau (...) À cette époque, le Golan était donc une place stratégique, dominant le nord d’Israël et la région », rappelle Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités et directeur de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (IreMMO), contacté par L’Orient-Le Jour.


(Lire aussi : Quand le Hezbollah joue à cache-cache avec Israël sur le Golan)

Lac de Tibériade

La conquête de ce territoire ne cache aucune dimension religieuse pour Israël, puisqu’il n’a pas de signification particulière dans la religion juive. Le Golan borde la rive orientale du lac de Tibériade, lieu qui revêt une grande importance dans l’héritage chrétien. « La frontière entre la Palestine mandataire, le Liban et la Syrie avait été fixée par des références bibliques. Le Golan était hors Bible. Donc il n’y avait pas de contestation possible qu’il appartienne à la Syrie », explique Henry Laurens, professeur au Collège de France et titulaire de la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe, interrogé par L’OLJ. L’occupation israélienne a été condamnée par l’ONU dès 1967, et Damas n’a eu de cesse d’appeler au retrait des troupes israéliennes sur ses positions d’avant-1967, c’est-à-dire la ligne de frontière de jure de 1923 définie par la France et le Royaume-Uni, puissances mandataires au Levant.Au-delà de sa dimension stratégique, le Golan revêt un enjeu plus pragmatique dans une région du monde traversée par des déserts : le contrôle des ressources en eau. À lui seul, avec les divers cours d’eau et nappes phréatiques qui le composent, il fournit un peu plus de 250 millions de m3 d’eau douce par an à Israël, composé à 60 % de désert. « La quasi-totalité de la population locale a été poussée à l’exode, à l’exception des druzes syriens. Ceux qui n’ont pas fui à la suite de 1967 ont reçu de très fortes pressions de la part de l’État hébreu », poursuit Henry Laurens. Plus de 150 000 Syriens ont fui les combats et l’invasion israélienne du territoire, qui, un mois à peine après le début de cette guerre éclair, y installe ses premières colonies et impose sa monnaie. Le drapeau israélien flotte sur le territoire conquis.

La guerre du Kippour, lancée en 1973 contre Israël dans l’espoir de laver l’affront de 1967 et de récupérer les territoires perdus, est un échec sur le plan militaire pour les États arabes. En revanche, l’Égypte et la Syrie ressortent victorieux sur le plan politique et à même d’entamer des négociations de paix avec l’ennemi ultime. « Il y a eu des négociations qui ont conduit à un désengagement israélien en 1974 sous la médiation des Nations unies après avoir rendu la ville de Quneitra aux Syriens. Celle-ci avait été complètement rasée par des bulldozers », résume Jean-Paul Chagnollaud. La résolution 350 du Conseil de sécurité met également en place une zone démilitarisée, une sorte de no man’s land, surveillée par les Nations unies. Mais Damas ne se satisfait pas des miettes de territoires obtenues lors des tractations.


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Kissinger

Avant d’être pris de court par la volonté arabe de mener la guerre contre Israël en 1973, Washington s’était jusque-là contenté d’adopter une attitude attentiste. Mais cette nouvelle donne le pousse à prendre les devants dans la construction intense du processus de paix israélo-arabe. Cette diplomatie, qu’on qualifiera plus tard de « diplomatie des petit pas », porte bien son nom, obtenir des concessions de la part des différentes parties s’avérant extrêmement difficile. En juin 1975, le ministre syrien des Affaires étrangères, Abdelhalim Khaddam, est reçu à la Maison-Blanche par le président Gerald Ford et le secrétaire d’État Henry Kissinger. « II paraît clair que la parution à Tel-Aviv, au moment même où le chef de la diplomatie syrienne arrivait à Washington, d’une carte établie par le Parti travailliste israélien prévoyant l’annexion du plateau du Golan, n’a pas facilité les conversations », note l’AFP à l’époque.

Les négociations syro-américaines permettent à Hafez el-Assad de prendre une autre envergure : celui d’un acteur important avec qui il est possible de négocier. Celui, surtout, d’un élément stabilisateur, bien que non ami, aux yeux des Américains et notamment de Henry Kissinger. Commence alors le double jeu du président syrien, exercice dans lequel il excelle et qui lui permet de se présenter comme le fer de lance de la lutte contre l’impérialisme et le sionisme sans tirer la moindre cartouche sur Israël.

Les accords de Camp David signés entre l’Égypte et Israël sous l’égide des Américains, le 17 septembre 1978, suivis du traité israélo-égyptien l’année suivante, permettent au Caire de récupérer le Sinaï. Le choix de paix d’Anouar el-Sadate est loin de recueillir l’approbation des pays arabes, et notamment de Damas. « Si nous avions voulu récupérer le Golan comme Sadate avait récupéré le Sinaï, nous y serions parvenus il y a des années. Or, nous ne voulons pas d’un retour de nos territoires occupés qui revêtirait un caractère “redditioniste”. Sadate n’a pas fait la paix, il a fait acte de reddition, dénonce le président syrien le 12 décembre 1981. La Syrie ne reconnaîtra pas Israël, même si les Palestiniens devaient le reconnaître. » Citant les déclarations d’Assad, le Premier ministre israélien Menahem Begin annonce deux jours plus tard le refus catégorique d’Israël de restituer le plateau. « Pour réaliser leur annexion, les Israéliens ont joué sur les mots en faisant exprès de ne pas utiliser le terme d’“annexion” qui est interdit en droit international. Ils ont “étendu la loi israélienne sur le Golan” comme ils l’avaient fait à Jérusalem-Est », explique Henry Laurens.

Au sein du territoire en question, deux sentiments s’opposent. Les leaders druzes appellent à manifester contre cette décision et menacent tous ceux qui se rangeraient du côté de l’ennemi, comme certains l’ont fait les mois précédents en demandant des cartes d’identité israéliennes. « Nous ne sommes pas la propriété du gouvernement israélien », estime un habitant du village de Majdel Chams. À quelques kilomètres de là, c’est un tout autre tableau. Les 7 000 colons israéliens, eux, laissent éclater leur joie en trinquant autour d’un verre de vin ou d’une bière au « rattachement du Golan » à leur pays. Cette annexion n’est pas reconnue au niveau international et est condamnée par une résolution des Nations unies en décembre de la même année. L’administration américaine de l’époque ne mâche pas ses mots pour dénoncer un acte « scandaleux ». Mais le mal et fait. Humilié, le camp arabe n’a d’autre choix, pour l’instant, que la résignation.


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Paix contre terre

C’est tout le contexte régional qui va changer quelques années plus tard. L’allié soviétique mourant, Damas va se rapprocher des Américains qui font la guerre à son plus grand ennemi : Saddam Hussein. Chose encore impensable quelques années plus tôt, la Syrie participe à la genèse d’un nouveau processus de paix. À la Conférence de Madrid en 1991, Damas remet sur le tapis la question de la souveraineté sur le Golan comme une condition majeure pour la paix. Le principe est simple : la paix contre la terre.

En 1994, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin propose à la Syrie un retrait du Golan comprenant une période de trois ans durant laquelle le repli ne sera que « marginal » afin de tester la volonté de Damas de parvenir à la paix. « Rabin s’était engagé auprès du médiateur américain à accorder ce retrait jusqu’à ladite “ligne du 4 juin 1967”, soit celle qui prévalait à la veille de la guerre de 1967. Après l’assassinat de Rabin en novembre 1995, ses successeurs (Shimon Peres, Benjamin Netanyahu puis Ehud Barak) ont nié cet engagement en arguant de l’ambiguïté de la promesse faite par Rabin. Les Israéliens ont, par la suite, déplacé leurs positions sur une autre ligne de démarcation qui aurait empêché l’accès de la Syrie au lac de Tibériade, une clause considérée comme inacceptable pour les Syriens », estime Marwa Daoudi, spécialiste des relations internationales et membre du Center for Contemporary Arab Studies de Washington, interrogée par L’OLJ. « La paix s’est jouée à quelques mètres autour du lac de Tibériade en 2000. C’était une question de prestige pour Hafez el-Assad qui exigeait le retour complet aux frontières d’avant-1967. Mais le problème, c’est qu’on ne savait plus exactement où se trouvaient les lignes du 5 juin 1967, notamment à cause du fait que la topographie de la région avait changé entre-temps. Le lac de Tibériade avait bougé. C’était plus une question de l’accès au lac de Tibériade et au Jourdain que des hauteurs du Golan elles-mêmes », explique Henry Laurens. Hafez el-Assad, tout en soulignant qu’une grande partie de la Galilée appartenait à son pays, avait raconté à Bill Clinton comment il nageait dans les eaux du lac juste avant la guerre de 1967.


Terrain d’affrontement

Après la mort de son père en 2000, Bachar el-Assad reprend le flambeau et insiste sur le fait qu’Israël doit se retirer de « chaque centimètre » du Golan, y compris la rive est du lac de Tibériade. Mais ces nouveaux rounds de négociations officieuses sont elles aussi un échec. Le sort des milliers de druzes du Golan qui continuent de rejeter la mainmise d’Israël reste en suspens. Une situation absurde illustrée dans un film israélien sorti en 2004. La fiancée syrienne raconte le mariage d’une femme druze du Golan occupé avec un Damascène, et met en lumière les péripéties et les tracas administratifs auxquels tous les protagonistes sont confrontés à cause de la situation.

La guerre civile syrienne démarrée en 2011 enterre définitivement le processus. Après avoir été relativement stable durant des décennies, le Golan devient le théâtre de manœuvres militaires et d’affrontements entre Israël et l’axe iranien. Les 15 mai et 5 juin 2011, anniversaires de la création d’Israël et de la guerre de 1967, l’armée israélienne ouvre le feu contre des réfugiés palestiniens et des Syriens qui tentaient de franchir la ligne de cessez-le-feu, faisant une trentaine de morts, selon l’ONU. Alors que le plateau côté syrien est témoin de violents combats entre les groupes rebelles et le régime, l’armée israélienne n’hésite pas à riposter à des tirs traversant la frontière. Le Hezbollah s’implique progressivement dans la région, ce qui pousse l’État hébreu à entamer une campagne de raids aériens pour empêcher le mouvement de s’installer dans la durée et d’ouvrir un second front à partir duquel il serait en mesure de lancer des opérations. Après des décennies de calme, le Golan redevient un terrain d’affrontement. Une évolution qui, a priori, est loin de faire les affaires de Bachar el-Assad.

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commentaires (4)

Le Golan occupé... les fermes de Chebaa occupées... En 1939, les Français n'ont pas voulu mourir pour Dantzig. Pourquoi veut-on que les Libanais meurent pour les 20km2 des fermes de Chebaa situées au sud du village libanais de Chebaa que la Syrie refuse leur libanité depuis 1923. Selon le tracé vague de frontière de 1923 établi par la France et la Grande-Bretagne, les fermes de Chebaa sont syriennes. Selon d'autres cartes, elles sont libanaises, de là vient le quiproquo. Israél en a profité pour les annexer avec le Golan. Le Hezbollah iranien, profitant de ce chaos géographique, exerce une pression permanente sur les gouvernements libanais successifs, afin de garder ses armes pour les guerres des autres sur notre territoire national.

Un Libanais

14 h 17, le 14 avril 2019

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Commentaires (4)

  • Le Golan occupé... les fermes de Chebaa occupées... En 1939, les Français n'ont pas voulu mourir pour Dantzig. Pourquoi veut-on que les Libanais meurent pour les 20km2 des fermes de Chebaa situées au sud du village libanais de Chebaa que la Syrie refuse leur libanité depuis 1923. Selon le tracé vague de frontière de 1923 établi par la France et la Grande-Bretagne, les fermes de Chebaa sont syriennes. Selon d'autres cartes, elles sont libanaises, de là vient le quiproquo. Israél en a profité pour les annexer avec le Golan. Le Hezbollah iranien, profitant de ce chaos géographique, exerce une pression permanente sur les gouvernements libanais successifs, afin de garder ses armes pour les guerres des autres sur notre territoire national.

    Un Libanais

    14 h 17, le 14 avril 2019

  • Je ne sais pas vous mais moi il m'est difficile de prendre parti pour les opérateurs des prisons de Mazzeh et Tadmor et qui sont les premiers responsables des destructions, massacres et déplacements de population de leur pays. Les seuls syriens a ne s'être pas endormis chaque nuit avec la peur au ventre depuis 2011 sont ceux du Golan. Je ne sais pas ce qu'ils ressentent par rapport à Israel et je veux bien supposer qu'ils se sentent occupés et humiliés mais je suis à peu près certain qu'ils n'appellent pas de leurs voeux la souveraineté du régime actuel sur leurs vies et celles de leurs familles.

    M.E

    08 h 12, le 14 avril 2019

  • Est ce que la sottise voudrait nous faire croire que si les iraniens et les résistants libanais n'avaient pas été au Golan usurpé, les usurpateurs auraient rendu le Golan aux syriens ??? Non non svp pas à ce point....... voyons du sérieux.

    FRIK-A-FRAK

    00 h 04, le 14 avril 2019

  • SANS LA PRESENCE IRANIENNE EN SYRIE IL N,AURAIT PAS EU L,ANNEXION DE JURE DU GOLAN ET LA RECONNAISSANCE AMERICAINE DE CETTE ANNEXION. L,IRAN A FAIT DU MAL AUX PALESTINIENS ET AUX SYRIENS. ON DIRAIT QU,IL EST DE CONNIVENCE AVEC ISRAEL OU DU MOINS QU,IL FAIT SON JEU !

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 20, le 13 avril 2019

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