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Liban - Gouvernance

Pourquoi l’État libanais n’arrive toujours pas à s’imposer 29 ans après la fin de la guerre

« La structure milicienne est encore d’actualité et c’est elle qui règne. La loi est bafouée en permanence », déplore l’historien Wissam Saadé.

Voiture calcinée à Beyrouth en 1987, après les combats entre le PSP et le PCL contre le mouvement Amal.

Le 13 avril 1975 signe le début « officiel » de la guerre civile libanaise qui durera 15 ans, faisant des dizaines de milliers de morts et de déplacés. Si le fameux incident de l’autobus de Aïn el-Remmané semble bien loin aujourd’hui, les séquelles de la guerre se font toujours ressentir. Vingt-neuf ans après la fin du conflit, l’État a prouvé qu’il était incapable de s’imposer comme autorité centrale et continue de subir les retombées du système socio-économique mis en place par les milices entre 1975 et 1990.

Le sociologue Salim Nasr (1948-2008), qui est un des premiers à avoir étudié la guerre civile libanaise et ses effets sur la population, va jusqu’à parler d’un véritable « système de guerre » établi par les acteurs du conflit. Système qui a généré sa propre sphère économique, ses propres strates sociales, une idéologie de la discorde qui justifiait la continuation du conflit et des infrastructures économiques, politiques et militaires qui maintenaient l’état de guerre dans le pays.

« Il a fallu évidemment plusieurs années, et plusieurs stades, pour que se consolide ce système de guerre et qu’il se transforme en une sorte de contre-société qui en est venue à dominer complètement la scène libanaise, la société civile et l’État », écrivait Nasr dans un article publié en janvier 1990 dans la revue d’études française Cultures & conflits et intitulé « Anatomie d’un système de guerre interne : le cas du Liban ».

En parallèle à ce « système de guerre », Nasr constate l’émergence graduelle, durant la guerre, d’une économie parallèle ou « économie noire » qui repose sur toutes sortes de trafics (douanes illégales, taxations sauvages, trafics de drogue…) et qui était contrôlée par les différentes milices. Les moteurs de cette économie sont les « seigneurs de la guerre » alliés aux « profiteurs de guerre, qui ont fait fortune à travers les différents trafics, extorsions et profits liés au conflit », poursuit le sociologue. Une infrastructure qui ne s’est malheureusement pas effacée depuis.

Lois bafouées « en permanence »

Si les combats armés ont cessé depuis un moment, il n’en demeure pas moins que l’« économie noire » de la guerre continue de fonctionner, après s’être adaptée au Liban de l’après-guerre. Pour l’historien et écrivain Wissam Saadé, il ne fait pas de doute que le Liban continue d’être l’otage de cette économie parallèle et de ce « système de guerre » dont parlait Salim Nasr. « Il est certain qu’une société qui a connu des années de guerre ne peut pas se reconstruire du jour au lendemain. Mais cela fait 29 ans que la guerre civile est terminée au Liban », déplore M. Saadé. « Le dossier de l’électricité est assez significatif. Ce secteur a empiré depuis la fin de la guerre. Il se portait mieux dans les années 90 », indique-t-il à L’Orient-Le Jour. « La situation économique et financière des gens était meilleure dans les années 90, sans doute parce qu’on était dans une phase de reconstruction et qu’il y avait plein de projets dans le pays », ajoute-t-il. L’historien relève aujourd’hui des « dysfonctionnements sur tous les plans », ce qui, selon lui, « veut dire que la guerre n’est pas vraiment terminée ». « Le système de guerre est encore présent. La structure milicienne est encore d’actualité et c’est elle qui règne. C’est vrai qu’il n’y a plus de combats armés, mais il n’y a pas de stabilité politique ni d’institutions souveraines, la loi est bafouée en permanence, constate-t-il. La collecte des impôts et des factures dues à l’État est inégale entre les régions. Il y a certaines régions où il y a quasiment un État dans l’État, mais on ne peut pas avoir un pays avec deux armées », estime-t-il. « Le gouvernement de Saad Hariri tente de mettre les sujets conflictuels de côté et de s’occuper des services offerts aux citoyens, mais c’est impossible à faire avec le système actuellement en place », dit M. Saadé, dénonçant le mode de gouvernance confessionnel et centralisé : « Il n’y a que des solutions partielles et des rapiècements pour que l’État ne s’effondre pas. »

Où sont passés les « contre-pouvoirs » ?

Pour Carole Charabati, professeure à l’institut des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, le problème réside avant tout dans l’absence de « contre-pouvoirs » censés exercer un rôle de régulateurs dans le pays. « Après la guerre, on a pensé à relancer les grands chantiers de reconstruction dans le pays (Solidere, aéroport, réseau routier, etc.), mais aucune initiative n’a été prise pour développer les contre-pouvoirs nécessaires pour que la démocratie fonctionne. Montesquieu écrit : “Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.” Quels pouvoirs arrêtent le pouvoir au Liban ? Aucun », déclare-t-elle à L’OLJ. La dérive du système libanais vers ce qu’on appelle une démocratie consensuelle a donc bel et bien prouvé qu’il est très difficile de pouvoir contrôler et demander des comptes à l’État lorsque le gouvernement est calqué sur le Parlement et qu’aucune opposition véritable n’existe... « L’un des principaux obstacles à un contrôle parlementaire efficace au Liban réside dans les relations privilégiées d’intérêt mutuel qui existent entre les députés et l’exécutif, y compris la bureaucratie. Le questionnement et l’interpellation de l’exécutif restent superficiels. Le vote de censure n’a pas été exercé depuis l’indépendance. Le Parlement a même souvent délégué à l’exécutif le pouvoir de légiférer au moyen de décrets-lois », souligne Mme Charabati.

« Les appareils de contrôle comme l’Inspection centrale, la Cour des comptes, le Conseil de la fonction publique, le Conseil supérieur de discipline restent extrêmement affaiblis et ne jouent pas leur rôle. Ces contre-pouvoirs ont été achevés après la guerre », déplore-t-elle. « Lorsque les institutions ne fonctionnent pas de manière optimale, les ressources sont drainées. La corruption, le clientélisme, la fraude ou les conflits d’intérêts gangrènent le système et le sapent. Les services publics ne sont donc plus capables de servir les besoins du citoyen et il n’y a aucun moyen de contrôle. Les mécanismes parallèles se mettent alors en place (comme les pots-de-vin, par exemple), ce qui renforce le malaise et nous introduit dans un cercle vicieux », conclut-elle.



Lire dans notre dossier spécial pour la 44e commémoration de la guerre libanaise :

La conflagration du 13 avril, apogée d’un long processus de crises en cascade, par Michel Touma

Ils ont couvert la guerre du Liban : cinq journalistes livrent leurs souvenirs les plus marquants, par Julien Abi Ramia et Matthieu Karam

Le 13 avril 1975 dans la presse : un "dimanche noir", plusieurs récits, par Claire Grandchamps

Sur Facebook, un féru d’histoire raconte la guerre du Liban « au jour le jour », par Zeina Antonios

Un musée de l’indépendance des Kataëb pour lutter contre l’amnésie, par Patricia Khoder

Le bus de Aïn el-Remmané, véhicule de nos mémoires tourmentées, le récit de Marwan Chahine

La difficile écriture historique de la guerre civile, le commentaire de Dima de Clerck

Avril 1975, sorties et rentrées des artistes, par Maya Ghandour Hert


Le 13 avril 1975 signe le début « officiel » de la guerre civile libanaise qui durera 15 ans, faisant des dizaines de milliers de morts et de déplacés. Si le fameux incident de l’autobus de Aïn el-Remmané semble bien loin aujourd’hui, les séquelles de la guerre se font toujours ressentir. Vingt-neuf ans après la fin du conflit, l’État a prouvé qu’il était incapable...

commentaires (8)

Et maintenant on fait quoi? on sort les incapables qui se sont remplis les poches pendant toutes ces années, on leur confisque leurs fortunes et on construit la paix! Tout simplement.

TrucMuche

11 h 28, le 15 avril 2019

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Commentaires (8)

  • Et maintenant on fait quoi? on sort les incapables qui se sont remplis les poches pendant toutes ces années, on leur confisque leurs fortunes et on construit la paix! Tout simplement.

    TrucMuche

    11 h 28, le 15 avril 2019

  • C’est qu’après le gemayel sioniste d’hier, il y a aujourd’hui le hariri americano-bensaoudien et ses amis.

    Chady

    01 h 23, le 15 avril 2019

  • Tout le monde est d'accord sur le constat. Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait?

    PPZZ58

    17 h 15, le 13 avril 2019

  • je voudrais demander a certains qui a donner une dignite sans egale au liban !?! bien sur certains anciens presidents et a leur tete LE PRESIDENT MARTYR CHEF DES FORCES LIBANAISES BACHIR GEMAYEL

    Bery tus

    15 h 47, le 13 avril 2019

  • Parmi les "qualités oubliées" du Liban de nos grands pères on oublie la notion de dignité ( charaf) pour laisser la place aux belles voitures , vêtements et apparences alléchantes obtenues à la course aux échalotes ( corruption) . Et dans le décompte des dieux à vénérer, on cite les usa, l'Iran NPR, la bensaoudie etc.... mais pourquoi s'interdit-on de nommer un pays , le pire parmi eux tous . Serait ce parce que dans notre subconscient il est au dessus des lois et donc exemplaire dans ses lâchetés.

    FRIK-A-FRAK

    10 h 33, le 13 avril 2019

  • Nous, Libanais, connaissons parfaitement les dernières nouveautés de la mode vestimentaire, aimons nous montrer avec nos accuisitions luxueuses, voitures etc., et aussi nos connaissances littéraires etc. de cet Occident que nous accusons pourtant de tous les maux qui touchent notre pays et la région... mais nous ne savons pas prendre le temps d'essayer de comprendre ce que signifient les notions de démocratie, indépendance et patrie libanaise. Nous préférons, car c'est plus commode, de donner notre entière confiance à des dieux divers qui ont pour nom: USA IRAN via le Hezbollah ARABIE SEOUDITE etc. pour diriger notre pays Qui, eux, savent très bien profiter de ce pouvoir que certains Libanais leur donnent, la main sur le coeur...et aussi sur leur portefeuille ! Irène Saïd

    Irene Said

    09 h 40, le 13 avril 2019

  • C,EST QU,APRES ARAFAT LE PALESTINIEN D,HIER IL Y A AUJOURD,HUI ARAFAT LE PERSE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 27, le 13 avril 2019

  • Mais c’est l’évidence même: le drame actuel du pays est la conséquence directe de cette guerre civile dévastatrice qui avait fini en queue de poisson! Soit-disant ni vainqueur ni vaincu, on reprend les mêmes seigneurs de guerre, on fait semblant de rebâtir l’infrastructure de l’état et là commencent les orgies communautaires où chacun veut sa part du gâteau, sans mettre en place de structures démocratiques de contrôle indépendantes... Donc, ces mentalités criminelles de nos dynasties féodales insatiables qui n’ont aucune vision nationaliste que celle de leurs intérêts et comptes en banque, perdurent et prennent en otage une populace impuissante... Les plus chanceux et éduqués ont déjà quitté ce navire en perdition... Malheureusement, le Liban n’est pas un pays: c’est un ramassis de tribus communautaires et concurrentes qui, tantôt se massacrent, et d’autres fois se font du commerce lucratif et ce, depuis des siècles... Heureusement que le monde, la science et les mentalités changent vite de nos jours et qu’il faut toujours garder l’espoir d’un changement avec la nouvelle génération et la société civile.

    Saliba Nouhad

    04 h 44, le 13 avril 2019

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