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Culture - Musique

« Nous sommes peut-être le La Fontaine libanais ! »

Les quatre compères du groupe libanais Adonis. Photo Karl Sfeir

La genèse d’Adonis tient à la naissance d’une amitié dans les couloirs de l’Université américaine de Beyrouth, au cours de l’année 2006. Souvent, les décisions les plus évidentes peuvent sembler les moins préméditées. Enfant, Anthony Khoury excelle aux échecs, mais faute de place dans ce cours-là, il se retrouve propulsé dans des leçons de piano. Une première et courte rencontre avec la musique, jusqu’à ce que son professeur l’exclue du cours, estimant que son élève est tout simplement « trop mauvais ». « Ensuite, ma famille a déménagé en Arabie saoudite pour du travail. Là-bas, je m’ennuyais copieusement, et c’est pour lutter contre le désœuvrement que j’ai redécouvert le clavier. J’ai continué à apprendre seul et j’en suis tombé amoureux. »

« Dans un sens, note Joey Abou Jaoudé, Anthony a vécu toute sa vie dans le seul but de donner tort à son professeur de piano. » Abou Jaoudé, lui, a appris la guitare en autodidacte, seul dans sa chambre, depuis ses treize ans. Il choisit néanmoins de suivre le chemin de son père en entamant des études d’architecture. De même, Anthony Khoury, bien que féru de littérature, choisit l’architecture, cédant aux injonctions parentales. C’est seulement après les cours que les deux amis peuvent se retrouver et échanger sur leur passion commune, mêlant ainsi l’attrait pour la musique orientale du pianiste aux influences plus rock du guitariste.

La machine est lancée
Quatre ans plus tard, deux amis, Nicola Hakim et Gio Fikani, rejoignent les petites réunions musicales du tandem initial et le groupe Adonis voit le jour un soir de décembre 2010, lors d’un concert à Hamra. Devant une salle comble, forte d’une centaine de spectateurs, les jeunes musiciens sont surpris, voire dépassés par la réceptivité exacerbée de leur tout premier public. « Il y avait une énergie spectaculaire, les gens avaient même appris les paroles de nos quelques chansons. C’était complètement inattendu, et c’est ça qui nous a mis en route », se souvient Abou Jaoudé. Les membres d’Adonis entrevoient à peine le succès qui les attend. Six mois et quelques concerts plus tard, le premier album du groupe paraît, en juin 2011. La machine est lancée. Depuis, le groupe a signé deux autres albums et travaille actuellement à son quatrième. « Notre troisième album a formé un passage dans une nouvelle dimension, précise Anthony Khoury. C’était la première fois que nous travaillions avec un label. »

Jusqu’alors artistes indépendants, les quatre garçons découvrent avec enthousiasme les opportunités et l’efficacité que leur offre le label. Profitant d’un meilleur accès à des studios, à du matériel, à d’autres musiciens, d’un marketing mieux goupillé et de tournées mieux organisées, Adonis compose Nour, leur troisième opus, qu’ils conçoivent eux-mêmes comme l’album de leur maturité. Là où beaucoup d’artistes pourraient décrier la perte d’indépendance qu’induit un label, Adonis est un groupe pragmatique et opportuniste : « Signer avec un label, ce n’est pas avoir plus de restrictions. C’est avoir juste plus d’opinions sur notre travail. Et au fond, c’est un moyen d’étendre nos horizons », explique Joey Abou Jaoudé.

L’horizon d’Adonis ne fait que s’étendre d’un album à l’autre. Pour Daw el-Baladiyyi, Anthony Khoury concentre ses textes sur des lieux de Beyrouth, cherchant à retranscrire une atmosphère familière sur un ton festif et entraînant. Forts d’un succès immédiat, les musiciens sentent bien qu’ils offrent à leur public des récits dans lesquels il peut facilement s’identifier. C’est donc sans surprise que l’amour, et notamment les ruptures, constitue une des thématiques les plus récurrentes des paroles d’Adonis. Ne se cantonnant pas à ce credo, le groupe sort ensuite Men Shou Btsheki Bayrout, où il explore une question au moins aussi pertinente que l’amour dans le cœur des jeunes Libanais : faut-il quitter ce pays ou y rester ? « Nous, à travers ce deuxième album, on a décidé de rester, et de faire quelque chose de beau dans toute cette cohue. » Si les chansons d’Adonis sont toujours des récits de vie quotidienne, accessibles et réjouissants, ponctués d’une ou deux phrases mémorables en guise de morale de l’histoire, c’est peut-être parce que c’est en eux que le groupe a trouvé le moyen de se rendre accessible tout en invitant ses auditeurs à mettre en perspective leur propre quotidien. « Nous sommes peut-être le La Fontaine libanais ! » s’amuse Anthony.

Les écrits d’Adonis ne sont pas des fables, mais des hymnes de joie voués à toucher un public toujours plus large. Aujourd’hui, Anthony Khoury et Joey Abou Jaoudé estiment que leur évolution artistique la plus marquée réside dans le travail sur les paroles. « En maîtrisant la langue arabe, sa beauté, sa complexité, nous essayons de nous adresser non seulement aux Libanais, mais à tous les publics du monde arabe. » Jouant des différences et points communs entre les différents dialectes, les textes d’Adonis se développent en permanence dans un équilibre (par ailleurs difficile) entre l’authenticité et l’accessibilité. Loin de toute prétention, pesanteur ou pénombre, ces musiciens œuvrent à un message social simple, réaliste et rassembleur. Ayant cheminé avec professionnalisme et efficacité, leur formule a fonctionné : à leurs concerts, les spectateurs s’enlacent les uns les autres et chantent à tue-tête des chansons qui se révèlent les références, les piliers d’une culture commune. Dans l’attente de son quatrième album, prévu pour juin 2019, et du concert du 18 juillet au Festival international de Jounieh, il semble que la bonne parole d’Adonis continue à se répandre allègrement – une nouvelle chanson intitulée Shukran al-Azimi vient de tomber sur YouTube, Apple Music, Anghami, Spotify et Deezer –, pendant que ses auteurs s’attellent au défi de la rendre de plus en plus pertinente et ouverte à la fois.

*Le 18 juillet, concert de clôture du Festival international de Jounieh, dont une partie des recettes ira à la Brave Heart Fund.



Pour mémoire 

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