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Moyen Orient et Monde - Élections israéliennes

« Nous, citoyens arabes israéliens, devons penser comme une minorité »

Par boycott, désintérêt ou frustration, un Arabe israélien sur deux pourrait ne pas se rendre aux urnes lors des législatives qui auront lieu demain mardi 9 avril. Les partis arabes tirent la sonnette d’alarme.

Une affiche électorale du député arabe israélien Ahmad Tibi. Ammar Awad/File Photo/Reuters

« Je suis confus. Dois-je voter ou pas ? Je ne vois pas ce que ça pourrait changer », lâche Ibrahim Freij en se redressant après sa prière. Autour de lui, le parc de la localité de Jaffa, au sud de Tel-Aviv, vibre au rythme de familles arabes venues profiter des derniers rayons de soleil du week-end. « On en parlait avec ma femme dans la voiture en venant ici, poursuit ce comptable de 29 ans originaire de Kafr Qassem. J’ai toujours voté. Mais cette fois, je ne sais pas. Ça ne va rien changer. Rien. Rien. Rien. » Le regard perdu vers la mer et l’horizon brumeux, il reprend sa respiration : « Rien. »

À la vieille des élections législatives du 9 avril, la communauté arabe d’Israël – aussi appelés Arabes israéliens ou « Palestiniens de 48 », en référence à l’année où l’État hébreu fut fondé–, et qui représente environ 20 % de la population du pays, fait face à un dilemme : voter ou ne pas voter ? La moitié d’entre eux pourraient ne pas déposer leur bulletin de vote mardi, contre 63 % au dernier scrutin, selon une étude commandée par des partis arabes. Il y a ceux dont le boycott est politique. Hors de question pour ceux-là de légitimer « l’occupant » en participant au scrutin. D’autres pointent du doigt le maigre bilan des politiciens arabes qui les représentent à la Knesset, le Parlement israélien. Beaucoup se disent en effet victimes de discriminations et peinent à percevoir la moindre amélioration. En 2015, près de 50 % de la communauté vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 13,5 % dans les autres groupes (exception faite des juifs ultraorthodoxes), selon l’OCDE.

« Il y a une augmentation de la frustration dans notre communauté, en particulier chez les jeunes. La situation socio-économique ne change pas vraiment et le gouvernement continue d’adopter des politiques racistes visant la communauté arabe, » estime le député Youssef Jabareen (Hadash). « Mais ce sentiment devrait être canalisé pour voter, pas pour boycotter le vote. Nous tentons de confronter les politiques et les lois racistes. Et bien que la plupart du temps nous échouons, au lieu d’être frustrés, nous devrions viser à faire pencher la balance pour au moins contrecarrer les partis d’extrême droite », plaide le politicien.

La communauté arabe se dit particulièrement choquée par l’adoption en juillet dernier de la « loi État-nation », qui, notamment, ne reconnaît le droit à l’autodétermination qu’aux juifs et retire à l’arabe son statut de langue officielle. Nouvelle preuve, selon eux, qu’ils constituent des citoyens de « seconde classe ». Malgré tout, certains gardent foi en la démocratie israélienne. « Voter, et donc être représentés à la Knesset, c’est avoir un œil à l’intérieur », explique Tamer Abunar, 32 ans, qui vit à Jaffa avec sa femme et ses quatre enfants. « Les victoires sont petites, mais on voit l’impact au quotidien. Regardez cette école là-bas. Elle vient d’être rénovée grâce à des fonds obtenus par nos députés », dit-il en pointant du doigt un bâtiment gris à l’orée du parc.


(Lire aussi : Benjamin Netanyahu, candidat sans limites)


« Les gouvernements vivent et meurent, mais la terre reste »
Les « Palestiniens de l’intérieur » ne se sont pas toujours abstenus de participer aux élections. « Les Arabes israéliens des années 50 aux années 70 avaient un taux extrêmement faible d’abstention parce que le vote était « tribal. C’était le chef de famille, de clan, qui emmenait toute la famille pour aller voter. Depuis, le vote s’est individualisé, donc on constate que de plus en plus d’individus décident de ne pas aller voter », analyse le politologue Denis Charbit de l’Université ouverte d’Israël. « De plus, des années 50 jusqu’aux années 80, voire 90, le vote arabe se partageait moitié-moitié entre des votes pour des listes arabes et des listes sionistes. Or depuis les années 90, environ 80 % des électeurs arabes votent pour des listes arabes », rappelle ce spécialiste.

Les partis arabes sont régulièrement pris pour cible par la droite, qui voit en eux une « cinquième colonne » anti-israélienne. Lors des élections de 2015, Benjamin « Bibi » Netanyahu avait brandi le spectre d’un vote massif et surprise des électeurs arabes dans le but de rallier l’électorat de droite. Cette fois, le Premier ministre a amorcé sa campagne sur le slogan « Bibi ou Tibi » (comprendre : « moi ou les Arabes »), en référence au député Ahmad Tibi. « Le choix est simple : un gouvernement de droite, fort, du Likoud sous ma direction ou bien un gouvernement faible, de gauche, soutenu par les listes arabes », avait-il déclaré début mars.

Lors des élections précédentes, les partis arabes avaient présenté une liste unie pour franchir le seuil de représentation fixé à 3,25 % des votes. Leur score fut historique : 13 sièges sur 120, faisant d’eux la troisième formation du pays. Mais cette fois, des divisions internes les ont menés à présenter deux listes distinctes : Hadash-Taal, laïc, et Raam-Balad, alliance d’un parti nationaliste arabe et d’un mouvement islamiste. Cet éclatement ajoute à la frustration de leur base électorale.

« Je suis vraiment en colère contre eux, confie Ibrahim Freij. C’est aussi pour ça que cette fois j’envisage de ne pas aller voter. » Sa femme, jusque-là restée à l’écart pour s’occuper de leur petit garçon, l’interrompt : « Moi j’irai voter. Non pas que j’ai le sentiment que ça fera la moindre différence, mais c’est symbolique. C’est dire : “j’existe”. » Il sourit : « Bon, si elle vote, j’irai peut-être aussi. Les gouvernements vivent et meurent, mais la terre reste. Je suis de cette terre et je veux des droits égaux. On ne parle pas ici du conflit israélo-palestinien, mais des difficultés et discriminations auxquelles nous devons faire face. Nous, citoyens arabes, devons penser comme une minorité. »



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