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Idées - Point de vue

Face à l’amalgame, l’exemple de l’antisionisme juif

Un portrait du théologien anglais Claude Joseph Goldsmid Montefiore, peint en 1925 par Christopher Williams. Photo Creative Commons

Au cours du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France, le 20 février dernier à Paris, le président Emmanuel Macron a annoncé que la France allait adopter dans ses textes de référence la définition de l’antisémitisme validée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, c’est-à-dire élargie à l’antisionisme. L’antisionisme est « une des formes modernes de l’antisémitisme », a affirmé le chef de l’État français. Déjà, en mars 2016, devant les mêmes instances, Manuel Valls, alors Premier ministre, avait déclaré : « Il y a l’antisionisme, c’est-à-dire tout simplement le synonyme de l’antisémitisme et de la haine d’Israël. »

Ces deux déclarations montrent s’il en était besoin que la confusion entre antisémitisme et antisionisme a été portée en France au niveau d’une doctrine d’État. Or, si des deux côtés de la Méditerranée de nombreuses voix s’en sont indignées, peu ont insisté sur le fait que cette confusion semble ignorer non seulement que les premiers antisionistes dans l’histoire ont été des juifs, mais encore qu’ils avaient parfaitement anticipé les méfaits qu’allait engendrer le sionisme.


(Lire aussi : Lettre à Alain Finkielkraut)


« Régression »
En effet, si le premier congrès sioniste s’est tenu à Bâle du 29 au 31 août 1897, c’est parce que la communauté juive allemande n’en voulait pas à Munich, où il avait, d’abord, été programmé. Aux yeux d’un Ludig Geiger, rédacteur en chef du journal allemand Allgemeine Zeitung des Judentums (« Journal général du judaïsme »), il était impossible pour des juifs allemands de participer au mouvement sioniste, car ils ne reconnaissaient qu’un seul peuple, le « Volk » germanique.

Aux lendemains du premier congrès sioniste, un organisme juif français, l’Alliance israélite universelle, lance cet avertissement prémonitoire : l’idée de la reconstitution d’un État juif au cœur du monde arabe, non seulement « met en danger les communautés juives vivant en terre d’islam, mais constitue une régression et un retour en arrière vers les temps où les juifs vivaient coupés de leurs voisins et formaient “une race” ».

De même, de nombreux juifs anglais se sont opposés dès l’origine aux termes de la « déclaration Balfour » du 2 novembre 1917, selon laquelle « le gouvernement de Sa Majesté (britannique) envisage favorablement l’établissement, en Palestine, d’un foyer national pour le peuple juif ». Dans une lettre publiée le 17 mai 1917 par le quotidien The Times, le président du Jewish Board of Deputies, David Lindo Alexander, et le président de l’Anglo-Jewish Association, Claude Montefiore, tous deux hommes d’influence et de grande fortune, écrivent qu’ils ne peuvent soutenir le schéma politique du sionisme, car les juifs, à leurs yeux, forment une communauté religieuse. Par conséquent, ils s’opposent à la création d’« une nationalité séculière juive qui se fonderait sur un vague et obscur principe de race et de particularité ethnologique ».

Claude Montefiore, petit neveu du baronnet et philanthrope Moses Montefiore, remet le couvert dans un opuscule intitulé Les Dangers du sionisme : « Nous savons que les sionistes s’obstinent à affirmer que les juifs, même hors de Palestine, possèdent une nationalité propre. Et nous savons à quel point les antisémites sont d’accord avec les sionistes. »

De son côté, Edwin Montagu, seul ministre juif dans le gouvernement britannique, où il est secrétaire d’État à l’Inde, voit avec horreur « les sionistes travailler à un édifice (l’État juif en Palestine) qu’il considérait comme un ghetto géant pour tous les juifs du monde ». Dans un mémoire intitulé The antisemitism of the present gouvernement (« l’antisémitisme du gouvernement actuel »), il voit même dans le projet de déclaration une manifestation d’antisémitisme. Lors des séances du cabinet du 3 septembre et du 4 septembre, il s’indigne : « Si vous faites cette déclaration, chaque organisation, chaque journal antisémite demandera de quel droit un juif anglais, avec le statut, au mieux, d’étranger, a de prendre part au gouvernement de l’Empire britannique. » De fait, c’est pendant son absence de Londres que la déclaration Balfour fut adoptée. En Inde, où il apprend la nouvelle, il s’exclame : « Notre gouvernement a porté un coup irréparable aux juifs anglais. Il s’efforce d’établir un peuple qui n’existe pas. »


(Lire aussi : Antisionisme et antisémitisme, le sens des mots)


Pays exigu et habité
En 1919, en marge de la conférence de paix de Versailles, au moment où est discuté le sort de la Palestine, le président de l’Alliance israélite universelle Sylvain Lévi souligne les problèmes inévitables que susciterait l’établissement d’une entité juive : la Palestine, argumente-t-il, est un pays exigu habité par plus de 600 000 Arabes, elle ne pourrait recevoir tous les émigrés juifs européens qui désireraient y vivre sans que les premiers ne fussent dépossédés par les nouveaux venus. De plus, explique-t-il, l’existence d’une telle entité introduirait partout dans le monde juif le principe dangereux de la double allégeance.

En 1930, Sigmund Freud écrivait à son ami Albert Einstein : « Je ne peux trouver en moi l’ombre d’une sympathie pour cette piété fourvoyée qui fabrique une religion nationale à partir du mur d’Hérode, et pour l’amour de ces quelques pierres, ne craint pas de heurter le sentiment des populations indigènes » (lettre du 26 février).

On pourrait multiplier les références qui aboutiraient au même résultat : toute une série de penseurs juifs parmi les plus éminents ont considéré que le sionisme avait des aspects antisémites ou nourrissait lui-même l’antisémitisme. Certes, depuis la découverte des horreurs hitlériennes, cet antisionisme juif s’est tu pour des raisons bien compréhensibles. Mais le raisonnement qu’il a tenu pendant plus d’un siècle n’a rien perdu de sa valeur, dans une actualité qu’il avait lui-même prophétisée.

Et il renaît donc aujourd’hui à cause de la politique scandaleuse menée par le gouvernement israélien. Une politique que le chroniqueur Dana Milbank, un fidèle du rabbin américain Danny Zemel (lui-même petit-fils du rabbin Solomon Goldman, leader sioniste américain des années 1930), dénonçait d’ailleurs de manière véhémente dans un article publié le 21 septembre 2018 dans le Washington Post et intitulé « Les juifs américains contemplent Israël avec horreur».

Si assurément, aujourd’hui en France, beaucoup d’antisémites, et de la pire espèce, se sont recyclés dans l’antisionisme, cela ne saurait donc servir de justification à un amalgame insultant pour tous les juifs qui ont dénoncé et continuent de s’opposer à cette idéologie.

Par Philippe SIMONNOT

Ancien professeur d’économie du droit aux Universités de Paris-Sorbonne, Paris-Nanterre, et Versailles Saint-Quentin. Dernier ouvrage : « Le siècle Balfour » (PG De Roux, 2018).

Au cours du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France, le 20 février dernier à Paris, le président Emmanuel Macron a annoncé que la France allait adopter dans ses textes de référence la définition de l’antisémitisme validée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, c’est-à-dire élargie à l’antisionisme. L’antisionisme...

commentaires (1)

Excellente article, vraiment. Même Ben Gorione ne pensait pas qu'il était facile pour les sionistes de s'établir directement en Palestine, il voulait plutôt construire son Etat, comme première étape, en Ouganda !

Shou fi

17 h 51, le 11 avril 2019

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Commentaires (1)

  • Excellente article, vraiment. Même Ben Gorione ne pensait pas qu'il était facile pour les sionistes de s'établir directement en Palestine, il voulait plutôt construire son Etat, comme première étape, en Ouganda !

    Shou fi

    17 h 51, le 11 avril 2019

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