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Moyen Orient et Monde - Reportage

Dans l’ombre des hommes, la douleur des femmes de Gaza

Les habitants de la bande de Gaza se sont rassemblés samedi à la barrière de sécurité qui les sépare d’Israël pour marquer le premier anniversaire de la « Grande Marche du retour ». Si la vaste majorité des personnes tuées et blessées depuis le 30 mars 2018 sont des hommes, les femmes de la bande de Gaza ont particulièrement souffert des conséquences de cette année d’affrontements sanglants.


Malina al-Hindi ne peut plus marcher. Elle s’est fait tirer dessus par les Israéliens en participant à la Grande Marche du retour. Photo Wilson Fache

Malina al-Hindi ne participera plus aux Marches du retour. Parce qu’elle ne peut plus marcher. Couchée dans son lit, dans la pénombre du salon familial, elle soulève une épaisse couverture rouge pour révéler une jambe hérissée de tiges de métal. Les pansements jaunâtres dégagent une odeur rance. « Je me trouvais près de la barrière de sécurité, on était entourés de gaz lacrymogènes. J’ai donc essayé de partir. C’est à ce moment-là que je me suis fait tirer dessus », raconte cette mère de 34 ans qui vit à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. Démembrée un 8 mars, date qui marquait la Journée internationale des femmes. Ce jour-là, Malina participait à une énième édition de la « Grande Marche du retour », une série de manifestations menées par les Gazaouis sur la ligne de démarcation avec Israël pour réclamer la fin du blocus décennal qui asphyxie l’enclave et le droit de revenir sur les terres qu’eux-mêmes ou leurs parents ont fuies ou dont ils ont été chassés à la création de l’État d’Israël, en 1948. « Je ne peux plus bouger, même aller à la salle de bains c’est compliqué. Je ne sais plus m’occuper de mes enfants et j’ai peur de mettre leur futur en péril », murmure Malina, deux de ses six garçons assis au pied du lit. Elle dit pourtant n’avoir aucun regret : « Le blocus israélien affecte tout le monde à Gaza, mais les hommes, eux, peuvent sortir de la maison et se changer les idées. Nous, nous devons rester chez nous. Alors quand le frigo est vide et que l’électricité se coupe, c’est surtout moi qui en souffre. Les femmes sont plus affectées que les hommes par la situation. Avec ces marches, j’ai trouvé une échappatoire. »

Cette année d’affrontements se conclut sur un bilan litanique : le ministère de la Santé à Gaza dénombre près de 270 tués et plus de 30 000 blessés, pour beaucoup fauchés par les snipers israéliens qui n’hésitent pas à viser les jambes des manifestants. Accusé d’usage disproportionné de la force, Israël rétorque avoir la responsabilité de défendre sa frontière et accuse le Hamas, l’organisation islamiste en charge de l’enclave, de téléguider ces « violents émeutiers ». Le rassemblement de samedi s’est déroulé dans un calme relatif. Des dizaines de milliers de Gazaouis ont convergé vers les barbelés, où les affrontements avec les soldats israéliens ont fait quatre morts et des centaines de blessés, sans toutefois provoquer l’escalade tant redoutée. Sur la plaine de Malaka, à la frontière nord-est du lambeau de territoire palestinien, nombreux sont ceux parmi les chebabs (jeunes hommes) qui avaient déjà été blessés lors de précédents rassemblements. Sous la pluie et les gaz lacrymogènes, les béquilles d’une génération d’estropiés glissaient dans la boue.


(Lire aussi : Un an après, Gaza veut perpétuer la grande marche du retour)



Une double peine

Malgré la proportion relativement faible de femmes mutilées, les conséquences d’une blessure sont souvent plus lourdes pour elles : elles doivent, par exemple, continuer à s’acquitter des tâches ménagères et dépendent des autres membres de la famille pour avoir accès à un traitement médical, parce qu’elles ne sont pas censées quitter leur domicile sans être accompagnées, peut-on lire dans un rapport du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA). Pire encore, les jeunes femmes gravement blessées ont moins de chances de trouver un mari, ce qui, dans la société gazaouie, est source de honte.Depuis le 30 mars 2018, seules six femmes sont mortes en martyres (chahid en arabe, selon la formule consacrée). Parmi elles, Razan al-Najjar, une infirmière de 21 ans abattue en juin dernier par un sniper israélien alors qu’elle se trouvait près de la bordure frontalière pour venir au secours de nombreux blessés. Mais si les femmes constituent une minorité des victimes, elles ont en revanche souffert de façon disproportionnée des conséquences indirectes de cette année sanglante. Dans un contexte de violence domestique déjà élevée, des organisations locales estiment que les cas de violences faites aux femmes sur l’année écoulée ont doublé par rapport à 2017. « Nous avons des cas où le mari reproche à sa femme d’avoir laissé les enfants assister à la marche et d’y avoir été blessés. Ce qui mène à des violences conjugales, explique Hana Zant, coordinatrice au Centre d’affaires pour les femmes et qui a mené une étude sur le sujet. J’ai aussi rencontré une dame dont le mari avait été blessé aux deux jambes, et il se défoulait sur elle, la frappait avec ses béquilles et l’insultait. » « Dans un autre cas, c’est une jeune femme de 21 ans qui participait aux marches chaque vendredi. Elle enfilait une jolie robe et allait voir. Un jour elle s’est approchée de trop près et a été touchée au ventre et aux jambes. Un mois plus tard, son mari a épousé une seconde femme et l’a abandonnée à la maison. Sa propre famille la rejette maintenant qu’elle est handicapée. Aujourd’hui, c’est une personne brisée, déplore Hana Zant. Notre société est occupée par les Israéliens, mais est aussi patriarcale et conservatrice. C’est un mélange toxique qui fait que la majorité des femmes ici sont victimes d’abus. »


(Lire aussi : Gaza et Israël au-devant d'un anniversaire à haut risque)


Le deuil aussi se vit souvent comme une double peine. En cas de la perte d’un mari, et donc d’une source de revenu, les veuves de la Marche du retour sont souvent exposées à des violences sociales et économiques tandis que les jeunes filles de ces familles courent un risque plus élevé de mariage infantile. « La crise prolongée que subissent les Palestiniens touche les femmes différemment et de manière disproportionnée, analyse Osama Abueita, responsable de l’antenne de Gaza de l’UNFPA. Et ça, c’est quelque chose qui est souvent négligé. Pour le moment, toute l’attention est concentrée sur les blessures par balle. Nous essayons de susciter l’intérêt des donateurs (étrangers) sur ces problèmes-là, mais ce n’est pas facile. »

Comme chaque vendredi, le mari de Sawsan Ayish s’est rendu à la Marche du retour le 14 mai dernier pour vendre des glaces. Comme soixante autres Palestiniens ce jour-là, il n’est jamais rentré à la maison. Depuis, cette veuve et ses quatre enfants vivent dans la misère dans un petit appartement d’un quartier populaire de Gaza City. Des portraits du défunt décorent chaque pièce. « Je survis au jour le jour. Je vais au marché une fois par semaine. Parfois je ne cuisine pas, je fais juste frire des patates. En hiver, l’eau de pluie coule dans la maison, et on a régulièrement des rats. Cette maison n’est pas adaptée pour y élever des enfants. Les fenêtres sont cassées aussi depuis la guerre de 2014 », raconte Sawsan avec un sourire triste. Ses yeux noisette s’assombrissent : « Avant le décès de mon mari, je gérais la situation avec lui, mais maintenant je souffre seule. »


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commentaires (1)

Toujours les femmes et les enfants qui payent en premier le prix des catastrophes dans le monde.

Sarkis Serge Tateossian

16 h 07, le 01 avril 2019

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Commentaires (1)

  • Toujours les femmes et les enfants qui payent en premier le prix des catastrophes dans le monde.

    Sarkis Serge Tateossian

    16 h 07, le 01 avril 2019

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