La reconnaissance, mardi dernier, par le chef de l’État, Michel Aoun, à l’occasion du sommet de Moscou, du lien intrinsèque entre le retour des réfugiés syriens chez eux et la reconstruction préalable du pays, que seule une solution politique pourrait déclencher, a créé la surprise.
Le président, tout comme le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, avaient jusque-là une seule et même devise qu’ils s’évertuaient à réitérer en toutes occasions, à savoir que le retour des réfugiés ne saurait être conditionné par une solution politique en amont, mais devrait être orchestré au plus tôt, le Liban n’étant plus capable de supporter plus longtemps le fardeau.
Cette inflexion majeure dans le discours des deux responsables, survenue à l’occasion d’un communiqué conjoint publié par Baabda et le Kremlin après la rencontre entre Michel Aoun et Vladimir Poutine, en présence notamment du ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, n’est autre qu’un retour à la realpolitik à laquelle la partie libanaise aurait consenti bon gré mal gré, sur l’impulsion de la partie russe. Selon le communiqué conjoint, les présidents Aoun et Poutine, qui « ont affirmé leur soutien aux efforts visant à mettre en application l’initiative russe pour le retour des réfugiés, considèrent que le règlement de ce problème dépend directement de la création de conditions propices, notamment sociales et économiques, en Syrie, à travers la reconstruction du pays. Ils ont invité la communauté internationale et les organisations humanitaires à assurer toute l’aide nécessaire à ce processus ».
Si cette déclaration n’a rien de particulièrement nouveau du côté russe, Moscou ayant dès le départ fondé son initiative pour un rapatriement massif des réfugiés sur le lancement d’un chantier de la reconstruction, espérant ainsi recueillir les fonds nécessaires pour parvenir à cet objectif, elle l’est pour la partie libanaise, « désormais appelée à faire enfin preuve de réalisme » par rapport à ce dossier, comme le relève Ziad Sayegh, expert en politiques publiques et réfugiés. « Cela n’implique pas pour autant un changement de ton ou de style dans le discours adressé à la consommation interne et dont la teneur ne changera pas », croit savoir M. Sayegh.
Dans les milieux de Baabda aussi bien que les milieux proches du palais Bustros, on estime que cette prise de position ne peut en aucun cas être interprétée comme un revirement dans les positions préalablement affichées par MM. Aoun et Bassil. « Lier le retour à la reconstruction ne suppose pas l’exigence d’une solution politique », commente une source du palais présidentiel qui évite toutefois de reconnaître une modulation ou un changement quelconque dans la position du président à ce sujet.
La source, qui explique que le communiqué n’est pas à prendre à la lettre dans la mesure où il « comporte des têtes de chapitres en des termes généraux », préfère évoquer plutôt le mécanisme autour duquel sont convenues les parties russe et libanaise pour la poursuite « du retour graduel des réfugiés, entamé par la Sûreté générale, auquel prendront activement part les Russes d’un côté et les Syriens d’un autre ».
Ce processus, mis en place par la Sûreté depuis quelques années, a permis le rapatriement, volontaire, de plusieurs dizaines de réfugiés, dont le décompte exact est rendu difficile par la valse des chiffres qui circulent. Dans les milieux officiels, on parle de 170 000 retours, alors que le Haut-Commissariat pour les Réfugiés de l’ONU (HCR) en compte bien moins que la moitié.
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Dans les milieux de Baabda, on reconnaît toutefois, de manière sibylline, qu’un retour massif des réfugiés tel qu’initialement prévu par Moscou a « rencontré un problème de financement ». D’où l’importance de concentrer les efforts sur les retours graduels, qui se font au compte-gouttes, uniquement à la demande de ceux qui le souhaitent et à rythme rendu lent notamment par le processus de sélectivité opéré par la partie syrienne, qui passe au crible les noms avant de donner son feu vert.
Ce que l’on rechigne à dire toutefois, aussi bien à Baabda qu’au palais Bustros, c’est que le processus de reconstruction, qui dépend de la bonne volonté des bailleurs de fonds, en l’occurrence l’Occident et ses alliés du Golfe, reste intimement lié à une solution politique.
Tous les experts en conviennent : ceux qui possèdent les moyens de financer aussi bien le retour que la reconstruction ne sont pas encore disposés à le faire, le règlement de la crise syrienne n’ayant pas encore mûri.
« Pour que l’Occident accepte de financer, il faut qu’il ait confiance dans le processus politique mis en place. Or si l’on fait un diagnostic de la situation actuelle, on constate que la géographie de l’après-guerre n’est pas propice à la reconstruction, encore moins au retour des réfugiés », fait remarquer Nasser Yassine, professeur et directeur de recherches à l’Institut Issam Farès.
Outre l’ampleur des destructions – 30 % des maisons et 60 % des hôpitaux sont détruits et près de 52 % des écoles, dont une partie est utilisée pour l’accueil des déplacés internes – et l’absence d’infrastructures, force est de constater qu’il n’y pas eu un véritable mécanisme de réconciliation permettant d’encourager ceux qui sont encore hésitants, ni même de discussion sérieuse en vue d’une solution politique, rappelle l’expert. « Nous sommes dans un véritable cercle vicieux, aucune reconstruction n’étant possible sans qu’elle ne soit monnayée en politique », dit-il.
C’est l’avis que partage également Hanine Ghaddar, chercheuse au Washington Institute for Near East Policy aux États-Unis, qui évoque une véritable « impasse » dans la crise syrienne. « Celle-ci est appelée à durer tant que la Russie, l’Iran et le régime syrien ne sont pas disposés à négocier en vue d’un compromis. Or, sans compromis, il n’y aura pas de solution politique en vue, encore moins de financement, une carte de pression que les États-Unis et l’Europe continueront de manipuler pour parvenir à leurs objectifs », dit-elle.
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commentaires (7)
La parabole du conducteur: Il conduit à sa façon et insiste qu'il est en contrôle, se moque des autres conducteurs puis cogne violemment un mur solide! Et c'est là qu'il decide de mettre sa ceinture de sécurité. Certains diront que c'est tard ou même trop tard... Ils ont raison! Malheureusement pour lui mais surtout pour ses passagers! Allah yirhamak ya Esop!
Wlek Sanferlou
16 h 53, le 29 mars 2019