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Liban - Droits de l’homme

« Je ne m’arrêterai que lorsque le Liban et tous les autres pays auront aboli la peine de mort »

Du cauchemar du couloir de la mort, au combat contre la peine capitale. Rencontre avec Antoinette Chahine, ancienne condamnée à mort au Liban et militante dans la peau, à son retour de Bruxelles où s’est tenu au Parlement européen, du 26 février au 1er mars, le 7e Congrès ECPM contre la peine de mort.

Lors de son intervention au 7e Congrès ECPM contre la peine de mort, Antoinette Chahine, entourée de Marie Pelenc, membre d’Amnesty International, et de Pete Ouko, ancien condamné à mort du Kenya. Photo Christophe Meireis

Elle rentre tout juste de Bruxelles où elle a participé fin février au 7e Congrès ECPM contre la peine de mort au sein de la délégation libanaise, auprès de 1 800 abolitionnistes du monde entier. Et déjà, elle se prépare à repartir, pour raconter une fois de plus comment elle a transformé son cauchemar en combat contre la peine capitale, contre la torture aussi par le fait même. Antoinette Chahine, cette femme libanaise arrêtée à 23 ans, le 21 mars 1994, après l’attentat contre l’église Notre-Dame de la Délivrance à Zouk, condamnée à mort trois ans plus tard, a vécu l’enfer dans les geôles libanaises : la torture physique et psychique sous toutes ses formes, la soif et la faim, la solitude extrême, l’attente interminable dans le couloir de la mort. Jusqu’au verdict final qui l’a innocentée le 24 juin 1999, après cinq ans et demi de détention. « Mon frère faisait partie de l’équipe rapprochée de Samir Geagea, chef des Forces libanaises (NDLR : parti politique chrétien persécuté à l’époque de la tutelle syrienne par l’appareil sécuritaire), se souvient-elle pour L’Orient-Le Jour. Le pouvoir politique voulait alors lui faire endosser la responsabilité de l’attentat contre l’église de la Délivrance, dans une volonté d’atteindre le chef des FL. Ils m’ont arrêtée et condamnée à mort, en espérant me faire avouer une prétendue conspiration. »

« C’est le pays de Charles Malek... »
Depuis son interpellation au ministère de la Défense jusqu’à son transfert à la prison des femmes de Baabda, en passant par son incarcération à Jounieh, Antoinette Chahine n’oublie rien, ni « l’amertume de la peine de mort » ni « l’injustice de (son) accusation », surtout pas « l’horreur de la torture ». Celle qui a « failli flancher et signer des aveux à force d’épuisement », tellement elle souffrait d’être « battue, ébouillantée, martyrisée », s’est « ressaisie » lorsque le crayon lui est « tombé des mains ». Quitte à souhaiter la mort. « J’ai hurlé : tuez-moi, je ne signerai pas », raconte-t-elle. Vingt ans après avoir retrouvé la liberté, l’ancienne condamnée à mort garde toujours des séquelles physiques et psychiques de son cauchemar. Une jambe qui lui fait toujours mal, pour s’être « infectée à cause de la torture ». « Une épaule démise », pour avoir trop enduré le supplice du balengo. Et ces larmes qui s’invitent, lorsque le souvenir est trop vif, qu’elle se remémore « la douleur » de sa mère. « C’est ma mère qui m’a annoncé ma condamnation à mort. Elle m’a dit qu’elle souhaitait passer le restant de sa vie avec moi en prison. J’ai compris. Je croyais pourtant que je serais innocentée. Je n’avais rien fait. J’en suis restée muette et paralysée durant un bon mois », se souvient la militante, qui salue « l’acharnement » de sa famille, des organisations internationales des droits de l’homme menées par Amnesty International, de l’Église maronite, et surtout de l’avocat pénaliste Badaoui Abou Dib qui a obtenu la révision de son procès et son acquittement.




(Lire aussi : Dans les couloirs de la mort des prisons libanaises, 82 condamnés attendent leur exécution)



Antoinette Chahine n’oubliera jamais. Après avoir « retrouvé le soleil et l’air frais », après avoir « pansé ses plaies à l’étranger » grâce à un financement d’Amnesty International, elle a mis de côté sa rancœur, pour se laisser guider par sa foi, sa joie et sa détermination. « Je suis sortie de prison, la paix dans le cœur », affirme-t-elle. « J’avais le choix de reprendre tranquillement goût à la vie parmi les miens. Mais je veux porter le message contre la peine capitale et contre la torture. Je veux changer les choses, insiste-t-elle. Je ne m’arrêterai que lorsque le Liban et tous les pays du monde auront aboli la peine de mort. » Car, rappelons-le, le Liban continue de prononcer la peine capitale, mais observe un moratoire de facto depuis 2004. Entre-temps, la jeune femme fonde une famille. Son époux et ses deux adolescents la soutiennent ferme dans son combat. « Je me bats pour eux, pour qu’ils ne revivent pas ce que j’ai vécu », observe-t-elle. Mais, en même temps, elle est convaincue que « le Liban mérite mieux que ça ». « C’est le pays de Charles Malek et non pas d’une justice barbare. »

Alors, avec l’aide d’États abolitionnistes, comme la France notamment, elle suit une formation en droits de l’homme à la Sorbonne, multiplie les interventions et conférences jusqu’auprès des écoliers, et s’engage aux côtés de l’association française Ensemble contre la peine de mort (ECPM), organisatrice du dernier congrès de Bruxelles. Son parcours et son combat pousseront la France à lui offrir la citoyenneté française d’honneur et lui remettre les insignes de chevalier de l’ordre national du Mérite. Une distinction parmi tant d’autres qui lui tiennent particulièrement à cœur, comme celle de la municipalité de Hasroun, qui a baptisé un cèdre de son nom. « L’épouse du chef des FL, Sethrida Geagea, avec laquelle j’ai souvent pleuré, m’a rendu hommage en me qualifiant de cèdre du Liban », dit-elle avec émotion.


(Lire aussi : Le Liban officiel et militant à Bruxelles, pour le 7e Congrès mondial contre la peine de mort)


Pour une justice saine
Lors du 7e Congrès contre la peine de mort où se côtoyaient les portraits d’Antoinette Chahine, du célèbre abolitionniste français Robert Badinter et d’anciens condamnés à mort à travers le monde, photographiés par Christophe Meireis, la militante a ému l’assistance par son témoignage. Un témoignage qui, pour l’occasion, a pris la forme d’un dialogue entre l’ancienne condamnée et une militante d’Amnesty International – Cadenet, Marie Pelenc, qui lui écrivait régulièrement des lettres, histoire de briser sa solitude. « Pour moi qui ne voyais pas le soleil et ne ressentais pas le vent, ces lettres de soutien étaient signe d’espoir. J’en ai reçu de tous les pays du monde », révèle Antoinette Chahine.

La rencontre de Bruxelles a aussi permis aux abolitionnistes libanais, associations, députés, militants, journalistes, parmi lesquels Mme Chahine, de renouer des liens et de s’engager à travailler ensemble au sein d’une coalition nationale contre la peine de mort. « Nous devons parallèlement œuvrer pour une justice saine. Car tant que les Libanais n’ont pas confiance dans la justice de leur pays, ils continueront de réclamer la peine capitale », insiste la militante. L’ancienne condamnée à mort ne s’arrête pas en si bon chemin. Pour avoir attendu son jugement pendant trois longues années, elle entend parallèlement se mobiliser très prochainement et même créer une association « contre la lenteur de la justice ».


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