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Moyen Orient et Monde - Algérie

« Nous ne voulons pas d’une transition organisée par le système »

La mobilisation contre le pouvoir ne faiblit pas. Une marée humaine est descendue hier dans les rues d’Alger pour manifester contre le prolongement du quatrième mandat de Abdelaziz Bouteflika.

Manifestation monstre à Alger après la décision du président Abdelaziz Bouteflika de reporter les élections. Zohra Bensemra/Reuters

Farida marche d’un pas pressé en direction de la rue Didouche Mourad, l’une des artères principales d’Alger, tandis qu’un cortège bariolé, compact et joyeux s’étire à l’horizon. « On a été la risée du monde entier pendant longtemps. Le pouvoir nous a encore ridiculisés avec ses dernières propositions. Malgré tout, nous connaissons la valeur de la citoyenneté et nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout pour l’obtenir », lance cette calligraphe, accompagnée de sa fille, Amira, une étudiante en communication de 23 ans.

Comme un référendum à ciel ouvert, c’est dans la rue que des centaines de milliers d’habitants de la capitale, probablement des millions à travers tout le pays, ont répondu le 15 mars au plan de sortie de crise proposé par Abdelaziz Bouteflika, quatre jours plus tôt. Et la sanction est sans appel : l’offre du président – retrait de sa candidature, annulation de l’élection présidentielle et mise en place d’une conférence nationale indépendante pour rédiger une nouvelle Constitution – ne contente pas les manifestants, qui ont été aussi nombreux que la semaine dernière, si ce n’est plus, à se mobiliser à Alger pour ce quatrième vendredi de contestation.

Alors que le mouvement populaire, inédit et spontané, contre le maintien du statu quo politique dans le pays continue de fédérer, les slogans ont évolué. Sur les affiches et dans les chants, les « Non au quatrième mandat prolongé » ont remplacé les « Non au cinquième mandat ». « Le système prolonge le mandat, nous le peuple on prolonge le combat », assène Rachid, 38 ans, employé au ministère de l’Énergie, en tenant une pancarte à l’effigie de Larbi Ben M’hidi, l’un des héros de la guerre de libération. « Nous sommes les enfants de ce martyr. Le clan qui est au pouvoir depuis 1962 nous a volé l’Algérie. Aujourd’hui, on se bat pour la reprendre. On ne lâchera pas notre pays à ces voleurs », lance ce manifestant, présent aux marches hostiles au pouvoir depuis le 22 février.

En contrebas, Salima rejette elle aussi en bloc les propositions des autorités algériennes pour sortir de l’impasse politique dans laquelle le pays est plongé depuis la suppression du scrutin présidentiel. « Je ne fais pas confiance à Bouteflika car cet homme est mégalo. La preuve, il s’est fait construire une mosquée à coups de milliards au lieu d’ouvrir des hôpitaux », lâche cette employée dans une société d’assurances. Et d’ajouter : « On ne veut pas d’une transition organisée par le système. Le renouveau politique doit passer par le peuple. »


(Lire aussi : Algérie : la fin du « pacte social rentier » ?)


« Nous ne sommes ni la Tunisie, ni l’Égypte, ni la Syrie »

Près de l’église du Sacré-Cœur, Nabila critique les « provocations » des autorités. « Ce qu’ils proposent, excusez-moi, mais c’est de la foutaise. Nos exigences ne sont pas élevées au fond et sont parfaitement compréhensibles : on veut une république où le peuple est souverain et où la corruption n’a plus sa place », tranche cette maître de conférence à l’école de journalisme d’Alger.

Dans le viseur des manifestants algériens, deux nouvelles cibles : Ramtane Lamamra, nommé au poste de vice-Premier ministre – une fonction créée par un décret présidentiel, publié lundi 11 mars, qui n’est pas prévue dans la Constitution –, et Lakhdar Brahimi, l’ex-envoyé des Nations unies en Syrie, ami proche de Abdelaziz Bouteflika, qui s’est exprimé dans les médias pour défendre la feuille de route du président. « Ils ont perdu le peu de crédit qui leur restait. Ils se salissent les mains en revenant aux affaires. On les forcera à quitter le pouvoir, comme les autres », considère Salima.

Face à la foule, immense, les cordons des forces antiémeute ont vite cédé sur la place Audin. Toute la journée, les manifestants ont ainsi pu marcher librement dans le centre d’Alger. Seul un barrage de police, installé dans le quartier de Telemly, a résisté, bloquant la route menant à el-Mouradia, le palais présidentiel. C’est là que des affrontements entre jeunes et policiers, usant de bombes lacrymogènes, ont éclaté après 16 heures.


(Lire aussi : Que reste-t-il de l’islam politique en Algérie ?)


Comme vendredi passé, c’est dans une ambiance festive et chaleureuse qu’une marée humaine a déferlé dans les rues de la capitale sous les coups de 13 heures. On se congratule, on se félicite. « Il y a de la colère et de la joie entremêlées. Il y a de la magie dans l’air. On n’aurait pas pu imaginer cela il y a quelques semaines », s’émeut Lynda, une photographe de 29 ans. Sur les hauteurs de la rue Didouche Mourad, une chaîne humaine protège un groupe de personnes qui dansent sur les rythmes engagés et patriotiques, émanant d’une sono installée à même le trottoir. Liberté, l’hymne écrit par Soolking, un rappeur très populaire auprès de jeunes Algériens, et posté la veille sur sa chaîne YouTube, est ainsi repris en chœur.

Le mot d’ordre des manifestants reste inchangé : « silmiya » (pacifique). « On ne va pas répéter les erreurs du passé. J’ai confiance en ma génération pour rester non violents », espère Amira. Pour Salima, les protestataires algériens resteront pacifiques et démocrates : « Nous ne sommes ni la Tunisie, ni l’Égypte, ni la Syrie. Nous avons une longueur d’avance sur ces pays-là. Nous avons déjà vécu une révolution en 1962, un soulèvement populaire en 1988 et le terrorisme dans les années 1990. Aujourd’hui, le peuple algérien ne fait que poursuivre son histoire révolutionnaire. »

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