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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Que reste-t-il de l’islam politique en Algérie ?

La scène islamiste est plutôt éclatée mais globalement cooptée par le pouvoir.

Des enseignants et des élèves ont pris part à des manifestations contre Abdelaziz Bouteflika à Alger. Ramzi Boudina/Reuters

De l’avis de tous, ils ne sont pas ou peu présents dans les manifestations en Algérie. Eux, ce sont les partis islamistes, ceux-là mêmes qui ont été au cœur de la décennie noire qu’a connue le pays dans les années 1990. Comme en Tunisie ou en Égypte durant les printemps arabes, les mouvements islamistes semblent complètement pris de court par la révolte populaire. Mais contrairement à ce qui s’est passé par la suite dans ces deux pays, où les islamistes ont réussi à récupérer la révolution, les Algériens semblent déjà avoir été vaccinés contre l’expérience islamiste. « Il me paraît difficile de voir les manifestations récupérées par les islamistes », confirme pour L’Orient-Le Jour Haoues Seniguer, maître de conférences à Sciences Po Lyon. « Pour l’instant, chacun souligne la discipline des manifestants, ainsi qu’une volonté de s’affranchir d’une tutelle politique, islamique ou autre », ajoute-t-il.

Le traumatisme algérien vis-à-vis de l’expérience islamiste, renforcé par les récents printemps arabes, est lié à la guerre civile qu’a connue le pays durant la décennie 1990. Les élections législatives de 1990 – les premières à être démocratiques et transparentes depuis l’indépendance du pays – voient un parti islamiste, le Front islamique du salut (FIS), devancer le parti au pouvoir, le Front de libération nationale (FLN). « Pressentant qu’il allait perdre les prochaines élections parlementaires de 1992 en faveur du FIS, le régime organise un coup d’État, décrétant le parti islamique illégal et annulant les élections », résume pour L’OLJ John Entelis, professeur de sciences politiques à l’Université de Fordham. C’est le début de dix ans de guerre civile, de 1992 à 2001, durant lesquels le régime va s’employer à réprimer les membres du parti islamiste, avérés ou supposés, et ce avec une violence inouïe. « La violence de la répression, son caractère arbitraire, a phagocyté le débat politique algérien depuis, mettant en cause le FLN et le FIS comme instigateurs de tueries pour un “qui a tué qui”, qui jusqu’à aujourd’hui n’a pas de réponse claire », explique John Entelis.


(Lire aussi : Le pouvoir algérien accepte la transition... à la condition qu’il la dirige)


Caution conservatrice

Vingt ans après la fin de la guerre civile et la concorde sous la houlette de Abdelaziz Bouteflika, que reste-t-il de l’islam politique algérien ? Alors que le Front islamique du salut a été dissous, la scène islamiste algérienne est plutôt éclatée mais globalement cooptée par le pouvoir. « La répression a coûté si cher, humainement et politiquement, que certains islamistes ont décidé de réintégrer les forces légalistes, en ne remettant plus en cause le régime en tant que tel et en jouant le jeu politique du FLN », décrit Haoues Seniguer. Inspiré par les Frères musulmans et fondé en 1990 par l’islamiste légaliste Mahfoud Nahnah, le MSP, Mouvement de la société pour la paix, est le parti islamiste le plus important. Sous la coupe de son leader, Aboudjerra Soltani, il a participé au pouvoir jusqu’en 2013, avant d’entrer dans l’opposition. Mais comme le reste de l’opposition, ils ne sont pas en première ligne depuis le début des manifestations.

« Les partis qui ont participé aux différents gouvernements, comme le MSP jusqu’en 2017, sont aujourd’hui discrédités – les manifestants huaient chyattine, collaborateurs, à l’endroit du président actuel Abderrazak Makri », souligne la sociologue Feriel Lalami pour L’OLJ. Devenue réelle caution conservatrice de l’État, le MSP ne revendique pas un renforcement de l’islam politique. « L’Algérie est un pays musulman, on entend l’appel à la prière, on respecte le ramadan, les femmes portent de plus en plus le voile, donc parler de l’islamisation de la société alors que le pays est un pays musulman est un faux problème », dira d’ailleurs l’ex-député du MSP de la wilayet de Béjaïa. Fondé pour sa part en 1999 par Abdellah Djaballah, le Mouvement pour la réforme nationale, an-Nahda, ne bénéficie que d’un seul siège à l’Assemblée populaire nationale. Tous ces partis « ne bénéficient pas d’un large appui électoral et restent marginaux sur la scène politique algérienne », confirme John Entelis.


(Lire aussi : Entre espoirs et doutes, des écrivains algériens face à la crise)


La mosquée d’Alger comme symbole

Si les islamistes jouent un rôle moindre sur la scène politique algérienne, le salafisme quiétiste a progressé au sein de la société, avec le consentement du pouvoir. En 2017, un arrêté du ministère de l’Éducation nationale algérien, répondant à la propagation sans précédent du voile intégral, interdit toutefois le port du niqab à l’école et aux fonctionnaires. « Il y a eu une salafisation de l’islam algérien ces dernières années », relate Haoues Seniguer. « Après la phase répressive de la décennie noire, beaucoup d’acteurs sont devenus des salafistes quiétistes, et s’ils sont très conservateurs, ils restent cependant éloignés de la politique », précise M. Seniguer, ajoutant que « l’État algérien joue le jeu du conservatisme religieux et s’en satisfait du moment que ce salafisme quiétiste n’est pas contestataire du point de vue politique ». En 2017, une source au sein du ministère des Affaires religieuses indiquait au quotidien el-Watan : « Un tiers des imams de la République sont aujourd’hui salafistes, dans dix années si leur recrutement continue de fonctionner de la même manière, 80 % des imams seront salafistes. » Dans un autre registre, et même si cela reste marginal, la violence des années 90 a accouché de groupes radicaux. « Au Sud particulièrement, l’Algérie abrite des mouvances terroristes comme l’État islamique et el-Qaëda au Maghreb islamique – on se souvient de la prise d’otages à In Amenas en 2014 », précise John Entelis.

Le régime algérien, en intégrant des partis islamistes légalistes au gouvernement et en instaurant un islam d’État, a habilement coopté les mouvances islamistes. La grande mosquée d’Alger, entreprise titanesque encore en cours, avec ces 265 m de hauteur et ses 37 étages, en est le symbole. Si l’État algérien se débat dans la construction de la troisième plus grande mosquée de l’histoire, celle-ci n’est pourtant pas rythmée par la lecture continue des sourates : on n’y recherche pas le salut de l’au-delà, seulement une certitude pour demain.


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commentaires (2)

Y A-T-IL UN ISLAM POLITIQUE ET UN RELIGIEUX ?

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 46, le 14 mars 2019

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Commentaires (2)

  • Y A-T-IL UN ISLAM POLITIQUE ET UN RELIGIEUX ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 46, le 14 mars 2019

  • L’Algérie se développe pour devenir petit a petit comme l'Arabie, la Turquie ou même l'Iran. Cela aboutira sur une nouvelle guerre comme en Syrie ou la Libye. La Turquie et l'Iran aussi vivrons les même guerres civiles. Il n'y a pas de régime au monde, ou a travers l'histoire, qui s'est servit des partis théocrates, pour asseoir ou prolonger son pouvoir, et qui n'a pas mal fini. Une leçon qui doit aussi ouvrir les yeux du Hezbollah et autre partis du style Tawhid etc... Il n'y a pas de succès sous les dictatures, quelques soient leurs formes: militaire, royale ou théocratique, simplement car elle sont base sur la force et la peur. L'homme est un être libre et donc réactionnaire. A un moment il se soulèvera et réclamera la démocratie. Cette dernière développe les peuples en raison du partage des obligations comme des responsabilité et droits. Il n'y a qu'a comparer l’Europe, avant et après les deux guerres mondiales, et les pays Arabes qui, malgré leurs richesses, sont restés des années lumières derrière le reste du monde riche. Ils n'ont pas su développer leur peuple pour passer a une transition par étape vers une royauté constitutionnelle. maintenant il est presque trop tard et les fanatiques récupèrent les miettes pour en faire des bombes sociales qui conduisent a des catastrophes comme en Syrie, Libye etc... Bien entendu les puissances étrangères en sont tout autant responsables mais qui leur a donné le terreau pour ce faire?

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 20, le 14 mars 2019

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