Le Premier ministre Saad Hariri participe aujourd’hui à la troisième conférence des donateurs qui s’est ouverte hier à Bruxelles. La composition de la délégation officielle a failli faire perdre de vue l’intérêt de cette conférence pour le Liban, à savoir le renouvellement des aides qui lui sont allouées pour gérer l’accueil des réfugiés sur son territoire.
Parmi les ministres concernés par le dossier des réfugiés, seuls le ministre de l’Éducation, Akram Chehayeb (Parti socialiste progressiste), et le ministre des Affaires sociales, Richard Kouyoumjian (Forces libanaises), étaient sûrs de faire partie de la délégation.
Plus problématique est en revanche la participation – restée incertaine hier – du ministre d’État pour les Affaires des déplacés, Saleh Gharib (druze prosyrien, membre de l’équipe ministérielle relevant du chef de l’État).
Ce dernier n’a pas reçu d’invitation officielle de la part de l’Union européenne, ce qu’il a veillé d’ailleurs à contester publiquement. L’UE s’est également abstenue d’adresser une invitation au ministre de la Santé Jamil Jabak (chiite indépendant inclus sur la quote-part du Hezbollah) : cela est compréhensible vu le veto qu’avaient opposé les États-Unis, l’un des pays donateurs, à l’attribution au parti chiite du portefeuille de la Santé.
Certes, les invitations de l’UE ne lient pas le chef de la délégation libanaise, qui garde l’entière latitude de la composer. Mais le Premier ministre ne saurait s’aventurer dans des choix qui risquent de nuire au Liban au niveau diplomatique. Des choix qui compromettraient les nouvelles aides souhaitées de la part de la communauté des donateurs pour la gestion de la crise des réfugiés.
Hormis le cas particulier de M. Jabak, l’abstention de l’UE d’adresser une invitation officielle à M. Gharib n’est pas à dissocier du principe d’action que se sont fixé les donateurs, relève un expert libanais indépendant familier des travaux de cette conférence. Les neuf milliards de dollars qu’ils pourraient idéalement mobiliser ne devront pas servir à soutenir le régime de Bachar el-Assad dans sa reconquête. La levée de fonds « doit être accompagnée d’un message politique sur la conditionnalité de l’aide pour la reconstruction et le refus de l’impunité pour les dirigeants syriens coupables de crimes », a expliqué à l’AFP un diplomate européen, en précisant qu’il n’est « pas question d’une normalisation avec le régime de Damas, ce que certains pays de l’UE seraient prêts à faire ».
(Lire aussi : Chercher sa voix, l'éditorial de Issa GORAIEB)
En ce qui concerne le Liban, l’absence d’un plan national, c’est-à-dire approuvé de tous, l’a déjà affecté, contribuant à limiter les aides qui lui sont allouées, selon un participant aux deux précédentes conférences de Bruxelles. Les aides promises au Liban n’ont été débloquées qu’à 45 % en moyenne, aussi bien pour 2017 que pour 2018. Et face à la fatigue des donateurs, le Liban a tout intérêt à afficher une position unifiée sur le dossier.
C’est ce souci qui a paru sous-tendre hier les discours politiques.
La rencontre à Baabda entre le président de la République, Michel Aoun, et Saad Hariri a permis de rappeler que « c’est le Premier ministre qui représente le Liban à Bruxelles ». « Il est interdit de politiser ce dossier », a dit M. Hariri en réponse à une question sur la participation problématique de M. Gharib à Bruxelles. En soirée, le bloc du Liban fort (affilié au Courant patriotique libre du ministre des Affaires étrangères et député Gebran Bassil) a plaidé dans un communiqué à l’harmonisation des positions sur le dossier des réfugiés. « Il ne faut pas qu’il y ait des divergences autour de l’objectif, celui du retour sûr des déplacés syriens (…). Les efforts doivent être complémentaires et le gouvernement doit représenter une seule équipe (…). Toutes les querelles deviennent banales face à cet objectif national stratégique (du retour, NDLR) aux dimensions politique, économique, démographique et sécuritaire », selon le communiqué dont a donné lecture le député Ibrahim Kanaan. L’objectif du texte est ainsi de dissiper toute la querelle provoquée par Saleh Gharib. Du reste, s’il fait primer le retour sur les divisions internes, le texte ne dit rien sur les circonstances d’un tel retour : retour sûr indépendant de toute solution politique en Syrie, fût-elle de transition (position du chef de l’État), ou retour sûr et volontaire une fois garanties les conditions d’un tel retour (position du Premier ministre) ? Les FL ont défendu, par la voix de leur ministre Richard Kouyoumjian, présent hier au Parlement européen, « l’unicité et la clarté de la position libanaise en faveur du retour des déplacés au plus tôt ». Là encore, la querelle autour des conditions du retour a été éludée.
Impossible en effet de trancher la question en l’absence d’un plan national de gestion de la crise des réfugiés : la commission interministérielle chargée de l’élaborer a été désactivée.
Selon notre correspondante Hoda Chédid, la position que doit défendre Saad Hariri reprend la teneur de la déclaration ministérielle, à savoir que « le gouvernement va continuer à œuvrer avec la communauté internationale pour remplir ses engagements (…) en soulignant que la seule solution est le retour en sécurité des déplacés dans leur pays et en refusant toute forme d’intégration et d’implantation dans les communautés hôtes. Le gouvernement réitère qu’il accueille favorablement l’initiative russe du retour des déplacés syriens dans leur pays (…) ».
Jusqu’à hier soir, l’option restait ouverte, sur proposition de Michel Aoun, que Saleh Gharib fasse acte de présence à Bruxelles au moment précis de la communication du Premier ministre, sans prendre part aux travaux de la conférence.
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14 h 40, le 13 mars 2019