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Culture - Installation

Entrez dans le jardin de leurs premiers désirs...

Empruntant son titre à une chanson d’Asmahan, « I Once Entered a Garden », l’installation multimédia de la Libanaise Chrystèle Khodr (artiste du mois d’avril 2017 du prix « L’OLJ »-SGBL Génération Orient saison II) et de la Syro-Palestinienne Bissane al-Charif offre une balade immersive dans l’intimité des premières expériences sexuelles sur fond de bouleversements sociétaux au Moyen-Orient. Interview croisée pour en savoir plus.

Une installation multimédia, immersive et ludique, raconteuse d’histoires intimes. Photo Amr Kokash

Comment est née l’idée de cette installation en commun ?

Chrystèle Khodr : J’ai travaillé avec Bissane pour la première fois sur la pièce Titre provisoire, que j’avais créée avec Waël Ali. Bissane était scénographe sur le projet. C’est là que j’ai pu découvrir son univers et sa manière de réfléchir en tant qu’artiste. En réalité, l’idée est venue de Bissane. La question du sexe en période de guerre, mais surtout comment les personnes qui ont vécu leurs premières expériences intimes en période de grands changements politiques et sociaux s’en souviennent et les racontent.

Bissane al-Charif : J’ajouterai une nuance à ce que Chrystèle vient de dire, concernant mon point de vue sur le sujet. En fait, durant les premières années des événements en Syrie, j’avais un grand besoin de m’exprimer, de raconter et de documenter ce qui se passait dans le pays, et c’est ce que j’ai essayé de faire dans d’autres installations. Mais avec le temps, j’ai réalisé que ce que je vivais comme étant des expériences uniques, ce que j’observais dans l’immédiat comme un grand changement violent et insaisissable avaient déjà été vécus par d’autres générations dans les pays voisins. La question de générations est, bien sûr, une question délicate, mais je peux dire que Chrystèle a vécu son enfance pendant la guerre, contrairement à moi. Ce sont donc des guerres qui se répètent, et par le fait de la répétition, elles semblent créer des détails communs dans le quotidien vécu par des gens que, par ailleurs, tout sépare. Et ce sont ces détails que je voulais chercher. J’ai voulu créer un projet qui interroge des récits personnels et intimes, des récits sur le sexe et l’amour. Des histoires qui offrent non pas un regard sur la guerre, mais sur sa répétition, plutôt.

L’amour en temps d’insécurité est un thème que vous, Chrystèle Khodr, avez déjà exploré dans « Beit Bouyout », votre premier opus théâtral. L’instabilité, les bouleversements et les guerres sont des thèmes qui « hantent » votre travail depuis la crise syrienne, dites-vous, Bissane al-Charif. Est-ce que c’est la concordance de vos deux univers qui se retrouve dans cette installation ?

C.K. : Je m’appuie souvent dans mon travail sur les petites histoires des gens. J’essaie autant que possible de réfléchir sur la grande histoire à partir d’histoires qui peuvent sembler « banales » et sans importance. Pour moi, le théâtre, c’est raconter des histoires. Et, à travers celles-ci, j’essaie de reconstruire une mémoire qui disparaît doucement.

B.C. : Dans mes premières installations, j’ai senti ce besoin de documenter et de raconter la guerre, mais avec ce travail, je voulais m’amuser et jouer. Je voulais plutôt saisir des moments joyeux et des détails intimes, même si ces moments se perdent au cours des périodes sombres.


Comment avez-vous glané les témoignages qui forment l’œuvre ?

C.K. : Pendant la phase de recherches, nous avons décidé de l’âge des personnes que nous allions interviewer. De Palestine, nous voulions le témoignage d’un homme ou d’une femme qui soient plus âgés que l’État d’Israël. Du Liban, celui d’une personne qui a vécu son adolescence et sa jeunesse dans les années 80. Pour l’Irak dans les années 90 et la Syrie, nous avons fait le choix de parler avec des personnes qui ont vécu leurs premières expériences en période de paix (années 1990/2000), car il était impossible pour nous de parler d’une guerre qui continue aujourd’hui. Nous n’avons pas assez de distance. Nous avons donc commencé à chercher des personnes qui voulaient bien partager avec nous leurs souvenirs. C’est moi qui ai fait les entretiens, mais les questions étaient déjà préparées avec Bissane et Waël. Eux n’ont jamais rencontré les témoins. Je leur envoyais les enregistrements et puis nous préparions un autre questionnaire pour la même personne à partir du premier entretien, et je procédais à une seconde rencontre.

B.C. : Nous avons choisi finalement quatre témoignages, quatre voix à partir desquelles nous avons commencé à construire un parcours, une recherche, à nous poser des questions et à imaginer la suite. Nous avons travaillé sur les textes et sur les récits, et en parallèle, je pensais aux espaces et à l’univers de ces voix. Les neuf espaces qui constituent cette installation sont basés sur neuf objets « intimes » qui appartiennent aux témoins. Suite à cela, nous avons retravaillé le rapport entre le témoignage, l’objet et l’espace. Chaque passage dans l’espace a pour titre un objet intime, mais l’ensemble est, finalement, devenu tout à la fois authentique et fictionnel.

Qui a-t-il été plus difficile de faire parler des premières expériences, les femmes ou les hommes ?

C.K. : Il était bien plus difficile de faire parler les hommes. Vraiment ! Il faut dire aussi que ce n’est pas évident de parler de tout ça devant une inconnue et pour un projet artistique. C’est très intime. C’est pour cela que je tiens à remercier tous ceux et celles qui ont accepté de donner leur témoignage. C’est grâce à eux que le projet existe.

B.C. : Je crois qu’on ne peut pas généraliser sur ce sujet. Mais dans les limites de notre travail sur cette installation, je suis du même avis que Chrystèle. J’ai remarqué qu’avec une femme, c’était plus simple de parler des questions qui concernent le corps, d’aller directement vers le fond d’un sujet intime comme le sexe.


Comment chacune de vous pourrait-elle définir ses domaines de compétence ? En d’autres termes, qui a fait quoi dans ce projet ?

C.K. : Avant ce projet, le domaine de l’installation était inconnu dans ma pratique, il nous a fallu du temps pour pouvoir nous accorder tous les trois. Car dans la première étape du projet, nous étions trois avec Waël. Aujourd’hui, je suis très heureuse d’avoir pu faire un vrai travail d’équipe. Une réelle collaboration est née qui m’a personnellement poussée à entreprendre une vraie réflexion tant sur le thème que sur le médium artistique.

B.C. : Nous avons tous les trois l’habitude de travailler en équipe puisque nous venons du théâtre et nous avons déjà collaboré ensemble. Dans une installation multimédia, on doit avoir une idée globale qui réunit tous les éléments sonores et visuels, et une méthode qui nous permet de travailler de concert chacun dans son domaine de compétence.

Quel est finalement le message que chacune désire faire passer à travers cette installation qui parle du bouleversement des premiers émois amoureux et sexuels dans des sociétés elles-mêmes en plein bouleversement ?

C.K. : Je n’ai pas vraiment de message à faire passer à travers ce travail. De nouvelles sensations sont nées en moi en le réalisant, des émotions et surtout de nouveaux questionnements.

B.C. : Je ne peux résumer le travail que nous avons fait dans un message. Il me serait difficile de formuler une conclusion. Si ce jardin se présentait au visiteur comme un espace à traverser, un espace qui évoque des souvenirs enfouis, qui suggère des liens ou des rencontres improbables, ce serait bien, également, que cette traversée reste sans conclusion.


Dar el-Nem, Rue Clemenceau, jusqu’au 16 mars, « I Once Entered a Garden » est une œuvre soutenue par la Fondation Heinrich Böll Stiftung.


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Ludique et un brin voyeuriste...

L’amour la première fois, raconté « tel que vécu », en temps de guerre ou intervalle de paix, par des femmes et des hommes de différentes générations et des quatre pays suivants : Palestine, Liban, Syrie et Irak… C’est sur la base d’authentiques confidences, ou plutôt de témoignages recueillis, que l’auteure de théâtre libanaise Chrystèle Khodr (artiste du mois d’avril 2017 du prix « L’OLJ »-SGBL Génération Orient saison II) et la scénographe syro-palestinienne Bissane al-Charif ont élaboré – en collaboration avec le metteur en scène syrien Waël Ali – une installation multimédia immersive et interactive, ludique et un brin voyeuriste, poétiquement intitulée I Once Entered a Garden.

Présentée au deuxième étage de Dar el-Nemr, jusqu’au 16 mars, cette installation questionne les premières expériences sexuelles et leur relation aux violentes métamorphoses sociales qui ont suivi les guerres du Moyen-Orient depuis 1939 jusqu’à nos jours.

Empruntant son titre à Dakhaltou marra ginena, une célèbre chanson d’Asmahan, elle semble hantée par la figure iconique – et symboliquement tragique – de cette femme libre au sein du monde arabe. Car c’est son image qui ouvre le parcours audiovisuel en neuf bornes de cette installation. Et c’est encore sur son image que se clôture l’expérience de voyage dans le temps et dans les territoires géographiques et intimes de cet autre/ces autres qui nous ressemblent, proposé par les deux artistes femmes.


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JE NE VEUX PAS COMMENTER CAR JE SERAIS ACERBE !

LA LIBRE EXPRESSION

17 h 54, le 12 mars 2019

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  • JE NE VEUX PAS COMMENTER CAR JE SERAIS ACERBE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 54, le 12 mars 2019

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