Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Décryptage

Algérie : Pourquoi l’armée peut changer la donne

Affaiblie par les mandats Bouteflika, la grande muette pourrait être tentée de reprendre la main.


Tension entre les forces de police et les manifestants hier à Alger. Zohra Bensemra/Reuters

Alors que le régime algérien est conspué, l’armée monte au front. Ou plutôt sa figure de proue. Chef de l’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah est pour l’instant le seul homme fort du pouvoir à être en première ligne pour défendre le régime, alors que les manifestations se poursuivent contre un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika. Mardi, il a fustigé ces « parties » qui désirent « ramener l’Algérie aux douloureuses années de braise, pendant lesquelles le peuple algérien a vécu toutes formes de souffrances et payé un lourd tribut », une allusion à la décennie de guerre civile ayant fait rage de 1991 à 2002.

Sur le terrain, l’armé reste néanmoins en retrait depuis le début des manifestations. La grande muette, qui contrôle l’appareil sécuritaire, semble vouloir éviter la confrontation. Jusqu’à présent, les manifestations de masse, loin d’embraser l’Algérie, se sont déroulées sans débordements de violence notables, mais plutôt dans une ambiance enthousiaste et exaltante. Vendredi 1er mars, on n’enregistrait, par exemple, qu’une quarantaine d’interpellations : un chiffre très bas étant donné le nombre d’Algériens mobilisés.


(Lire aussi : « C’est si beau, on vit un moment indescriptible »)


Critiquer l’armée reste un tabou

Compte tenu du poids de l’armée dans le système politique algérien, sa réaction pourrait être décisive dans la suite des événements. Si le pôle militaire a depuis toujours exercé un rôle déterminant aux rênes de l’État algérien, il n’est pas un bloc monolithique derrière le président.

Au printemps 1999, c’est le conclave des généraux qui avait nommé Abdelaziz Bouteflika à la présidence. Mais avec le temps, l’exécutif algérien semble être parvenu à se dégager une marge de manœuvre par rapport à l’appareil sécuritaire. « En 2004, la réélection de Bouteflika pour un deuxième mandat lui a permis de professer la mise à l’écart du clan de l’armée nationale populaire », explique à L’Orient-Le Jour Flavien Bourrat, chercheur à l’institut de recherche stratégique de l’École militaire. Le président algérien ne désirait plus « être président aux trois quarts », dira-t-il. En 2015, c’est le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) qui est dissous, entraînant le limogeage de son plus haut responsable, le général Mediène. « Mais c’est l’été dernier, en 2018, que le gouvernement algérien est passé à la vitesse supérieure, procédant à la mise à la retraite, au limogeage ou à l’emprisonnement de très hauts responsables de la défense, de la sécurité et de la police. Des remplacements ont eu lieu à tous les grands postes des responsables militaires et policiers », ajoute Flavien Bourrat.

Dans ce contexte, les manifestants bénéficient du « soutien de généraux qui ont été mis à la retraite anticipée, des anciens militaires, des cadres et agents frustrés par la dissolution du Département du renseignement et de la sécurité », décrypte pour sa part auprès de l’AFP Michaël Arari, analyste du centre de réflexion International Crisis Group (ICG). La thèse d’un pouvoir qui aurait réussi à s’émanciper de l’armée ne fait pas toutefois l’unanimité auprès des experts. Pour Amel Boubekeur, chercheuse au Carnegie consultée par L’OLJ, en Algérie, les rapports entre le pouvoir militaire et la présidence restent étroits. « Il suffit de voir le traitement qui est réservé aux personnes qui osent critiquer la Sécurité militaire. Cela reste un tabou en Algérie, du point de vue des manifestants comme du point de vue de l’opposition », décrit l’experte. « Le pouvoir est toujours détenu par les militaires », confirme pour sa part Ahmed Rouadjia, historien algérien.

Il n’est pas anodin que les slogans des manifestants, depuis le début du mouvement contre un cinquième mandat, visent le clan Bouteflika, voire le système, mais ni l’armée ni la police, et cela malgré le fait qu’elles sont au cœur du pouvoir. « Il faut néanmoins différencier le commandement militaire, extrêmement corrompu, avec le général Gaïd Salah en figure de proue, et toute une nouvelle génération de militaires au profil plus technique, qui eux aussi ont une volonté de réforme au sein de l’armée », précise Amel Boubekeur.


(Lire aussi : Les "18 commandements" du manifestant vendredi à Alger)



«Général sucre», «général céréales»

Dans ce contexte, l’armée pourrait être tentée de reprendre la main et d’écarter le clan Bouteflika. « Il est possible qu’il y ait un coup d’État transitionnel à la façade civile, c’est ce qui a déjà eu lieu dans le passé », note Amel Boubekeur. Le pouvoir militaire hisserait à la présidence un nouveau candidat consensuel, idéalement issu lui-même des cercles de l’armée. Cela lui permettrait de préserver ses acquis et de faire survivre un système largement à son avantage depuis l’indépendance du pays.

En 1965 déjà, le président Houari Boumediene avait organisé l’infiltration totale de la police politique, la Sécurité militaire, au sein de toutes les strates de la société, pour contrôler la population. À l’époque, le DRS (remplacé en 2016 par le Département de surveillance et de sécurité, ou DSS) avait ses agents infiltrés partout, récoltant des informations pour le régime.

« À l’époque de Boumediene déjà, explique François Gèze, politologue et activiste au sein d’Algeria Watch et sollicité par L’OLJ, chaque entreprise avait son représentant de la Sécurité militaire, chaque institution scolaire et universitaire. La société était quadrillée, contrôlée par cette police politique. » Après la mort de Houari Boumediene en 1978, le conclave des généraux désigne Chadli Bendjedid au pouvoir, convaincu qu’il n’aura ni l’envergure ni l’indépendance de son prédécesseur. L’armée choisit ainsi le président mais aussi les membres du gouvernement. Plus que le bras armé de l’exécutif, le pouvoir militaire est en réalité la structure gouvernante du pays. Redistribuant la rente pétrolière, sésame de son pouvoir, l’armée profite de cette mainmise sur les richesses de l’État. La population, lucide, se moque : il y a le « général sucre », le « général médicaments », le « général céréales », et tous se font arroser par les puissances exportatrices contre quelques pétrodollars.


(Lire aussi : Algérie : Une prudente aspiration au changement plutôt qu’une révolution)



Émeutes de 1988

En 1988, la hausse des prix des denrées alimentaires de base provoque des émeutes particulièrement violentes. Le pouvoir frappe fort et tire dans la foule à la mitrailleuse, faisant plus de 500 morts. Le régime est allé trop loin. Afin d’éviter une répétition de cette violence populaire, l’armée accepte un compromis et amorce une ouverture démocratique contrôlée à partir de novembre 1988, avec une nouvelle Constitution instaurant le multipartisme. Pour la première fois, l’étau se relâche, la population a droit à l’autodétermination. Le relâchement est néanmoins de courte durée. Le Front islamique du salut (FIS) gagne les élections législatives de 1991 et l’armée, déterminée à garder le pouvoir, s’adonne à une « répression d’une violence inouïe », décrit François Gèze. C’est le début de ce qu’on appellera la « décennie noire », dix ans de guerre civile pour 200 000 morts. Au printemps 1999, lorsque Abdelaziz Bouteflika, désigné par le conclave des généraux, promet la concorde civile, la population algérienne, exsangue et résignée, accepte son élection frauduleuse sans « aucune illusion sur la façade pseudo-démocratique du régime », poursuit François Gèze.

C’est cette « violence inouïe » dont la population désire s’éloigner qui la pousse à scander aujourd’hui « Selmiya, selmiya, pacifique, pacifique ». « Sa rigueur, son pacifisme, son enthousiasme rendent difficile pour l’armée de riposter », explique M. Gèze. D’un côté comme de l’autre, on cherche clairement à éviter que l’histoire se répète. Et à répondre pour cela à une équation des plus difficiles : comment faire vaciller pacifiquement un pouvoir au sein duquel l’armée demeure omniprésente ?


Repère

Les dates-clés de la présidence Bouteflika


Reportage

« On est dans la rue parce qu’on veut un humain au pouvoir, pas une momie »


Lire aussi

En Algérie, « la colère populaire n’est pas près de cesser »

Pour l'écrivain Kamel Daoud, "le mur de la peur" est "cassé" en Algérie

Qui gouverne l’Algérie ?

La société algérienne infantilisée par un État-patron

Frustrations et "humiliation", moteurs de la contestation actuelle en Algérie

Alors que le régime algérien est conspué, l’armée monte au front. Ou plutôt sa figure de proue. Chef de l’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah est pour l’instant le seul homme fort du pouvoir à être en première ligne pour défendre le régime, alors que les manifestations se poursuivent contre un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika. Mardi, il a...

commentaires (1)

AVEC BOUTEFLIKA C,EST L,ARMEE ET SANS BOUTEFLIKA CE SERA TOUJOURS L,ARMEE !

LA LIBRE EXPRESSION

20 h 21, le 09 mars 2019

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • AVEC BOUTEFLIKA C,EST L,ARMEE ET SANS BOUTEFLIKA CE SERA TOUJOURS L,ARMEE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    20 h 21, le 09 mars 2019

Retour en haut