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Culture - L’artiste de la semaine

Yasmine Khlat, des sources du Nil aux racines du cèdre

En évoquant son ancienne carrière d’actrice, sa venue à l’écriture et la parution récente d’« Égypte 51 » (Elyzad, 2019), l’auteure garde un sourire à la fois nostalgique et délicat. Dans son nouveau roman épistolaire, elle fait revivre de sa plume harmonieuse et suggestive les années fastes du cosmopolitisme des grandes villes égyptiennes, alors que leur implosion est imminente.

Yasmine Khlat. Photo Albert Yaghobzadeh

Née en 1959 à Ismaïlia, dans une famille syro-libanaise, Yasmine Khlat est arrivée très jeune au Liban où elle a fréquenté le Collège protestant. Après des études de cinéma à Paris, elle entame une carrière d’actrice et joue dans plusieurs films arabes, ce qu’elle évoque avec humour. « Malgré mon accent douteux en arabe, j’ai obtenu le premier rôle dans un film culte de l’époque, Nahla (du réalisateur algérien Farouk Beloufa, 1979), puis dans Aziza (du cinéaste tunisien Abdellatif Ben Ammar, 1980) et Les rêves de la ville (Ahlam el-Madina, du réalisateur syrien Mohammad Malas, 1983). » La romancière réalise en 1987 un documentaire de création, Notre nuit (Laylouna), sur un immeuble de Beyrouth-Ouest, où résident une femme syro-libanaise d’Égypte ainsi que d’autres femmes seules, aux appartenances sociales très différentes, qui vont tisser entre elles des liens de solidarité dans la guerre.

Si Yasmine Khlat écrit des poèmes et des textes en prose depuis qu’elle a dix ans, elle explique avoir arrêté d’écrire en 1975, lorsqu’elle a quitté le Liban. « J’étais déchirée, je refusais le fait de ne pas pouvoir écrire en arabe. Mes parents ne m’ont pas transmis d’identité arabe car ils vivaient dans un environnement multiculturel où le français dominait, et j’avais la volonté de conquérir cette identité, d’être une vraie Libanaise, mais je n’y suis jamais arrivée. C’est l’écriture qui m’a aidée : j’ai accepté le français, mon identité métissée, ce qu’a fait de moi cette origine syro-libanaise. En écrivant, j’ai intégré les rythmes et les couleurs qui viennent de l’arabe, j’ai pu m’unifier et faire quelque chose de cette déchirure identitaire. »

Le Désespoir est un péché (Seuil, 2001) est son premier roman, il obtient le prix des Cinq continents de la francophonie. C’est l’histoire d’Isabelle Rembrandt, et son dernier été avec son frère, qui inspire Partition libre pour Isabelle (Seuil, 2004). Le Diamantaire (Seuil, 2006) met en scène une femme seule dans la montagne libanaise, et sa correspondance mystérieuse avec un compositeur. Enfin, l’atavisme du suicide fonde le tissu diégétique de Vous me direz au crépuscule (éditions de la Revue phénicienne, 2010).

Lettres restantes

« Suis-je coupable de ne pas avoir su protéger la tendresse ? » C’est cette ultime question de l’énigmatique « Jo the Watchman » qui clôt le nouveau roman de Yasmine Khlat, Égypte 51. Ancien employé de la famille Yamim, établie pendant quelques années au Libéria, il assume le récit-cadre du roman épistolaire. « Tenez, voici les lettres (...). Il y a celles du docteur, qui était employé à l’époque à la Compagnie universelle du canal de Suez. Et celles de Mrs Mia. En 51, elle venait d’emménager au Caire avec sa famille, mais elle est née à Alexandrie. »

Si le texte n’est pas autobiographique, une des sources de la romancière est la correspondance de ses parents entre eux et avec leurs proches. « J’ai voulu faire revivre cette période qui semble marquée par une atmosphère d’ouverture, de gaîté, et une forme de tendresse, peut-être liées au fait de fréquenter toutes sortes de communautés (grecque, italienne, française...). Cette ambiance égyptienne est pour moi très intime, ce que mes parents ont vécu en Égypte m’a beaucoup marquée. »

Le roman, très bien documenté, restitue à la fois le contexte florissant autour du canal de Suez, toute sa portée économique et symbolique, mais aussi les tensions politiques et sociales qu’il génère. La spécificité de l’identité syro-libanaise y est dépeinte de multiples façons, aussi bien dans des passages introspectifs propres au genre de la lettre que dans le quotidien des personnages. Au fil des missives, on suit les liens qui se tissent entre Stephan et Mia, qui se marient, puis quittent Ismaïlia pour le Libéria, avant de s’installer à Beyrouth. Très vite, la guerre éclate et la famille quitte le Liban, sauf le fils cadet, Téo, blessé par un obus, qui ne se résigne pas à quitter le pays. « Bien sûr que dans mes personnages, notamment Mia et sa fille Liliane, j’ai mis une grande part de ce que je suis », admet l’écrivaine. Ainsi, lorsque les Yamim arrivent au Liban, on retrouve l’enthousiasme qu’a pu connaître leur auteure dans la même situation. « Mon arrivée a été comme un éblouissement, j’ai été marquée sensuellement par la splendeur de la nature, la lumière, les montagnes, la mer... »

Lorsque la petite nièce du poète Charles Corm évoque le Liban, que ce soit dans sa vie ou dans son roman, sa phrase trahit une forme de vulnérabilité, face à ce pays lumineux qu’elle a quitté avec regret, et qu’elle porte en elle. « Aujourd’hui, je vais rarement au Liban, j’y ai peu de racines, et pourtant c’est là-bas que je me sens chez moi. J’y suis retournée en 2017, quand j’ai été lauréate du programme Stendhal hors les murs organisé par l’Institut français, qui m’a accordé une bourse d’écriture. Je termine actuellement un roman construit sur un échange entre un psychiatre et une femme qui n’arrive plus à sortir de chez elle, à cause de ses TOC (troubles obsessionnels compulsifs). »

Égypte 51 invite ses lecteurs à s’interroger sur la notion de transmission, sur tout le passé que l’on n’a pas vécu mais que l’on porte en nous, et qui tisse le maillage complexe et mystérieux de notre identité. Yasmine Khlat est cette « voix gracile qui réveille des mondes endormis », lorsque Liliane, à la fois rêveuse et désenchantée, confie à son amie : « Je ne me souviens pas de notre jardin qui donnait sur le canal de Suez. Mais je sais tout, grâce à ces quelques photos qui pâlissent dans une boîte à chaussures, de la grande chienne blanche, de la haie des roseaux, des pots en terre sur le perron (...). Certains diront : qu’ont été ces départs précipités, ces maisons désertées, cet univers évanoui face au sursaut de l’Égypte ? De ce peuple si pauvre dont le héros a osé dans un rire nationaliser le canal de Suez. »

1959

Naissance à Ismaïlia, Égypte

1964

Arrivée au Liban

1979

Premier rôle dans « Nahla »

1986

Installation définitive en France

2001

Parution du premier roman « Le désespoir est un péché » (Seuil)

2004

Parution de « Partition libre pour Isabelle » (Seuil)

2006

Parution du « Diamantaire » (Seuil)

2010

Parution de « Vous me direz au crépuscule » (éditions de la Revue phénicienne)

2019

Parution d’« Égypte 51 » (Elyzad).


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Née en 1959 à Ismaïlia, dans une famille syro-libanaise, Yasmine Khlat est arrivée très jeune au Liban où elle a fréquenté le Collège protestant. Après des études de cinéma à Paris, elle entame une carrière d’actrice et joue dans plusieurs films arabes, ce qu’elle évoque avec humour. « Malgré mon accent douteux en arabe, j’ai obtenu le premier rôle dans un film culte...

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