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Liban - Liban

Assassinat de Rafic Hariri : Beyrouth préfère ne plus se souvenir

Dans un Liban qui ne réussit pas à s’extirper de ses crises, les témoins et les victimes de l’attentat optent pour le silence.

Khaled Abdelsattar a assisté à toutes les guerres qui ont déchiré Beyrouth.

Le Beyrouth du 14 février 2005, jour marquant l’assassinat de Rafic Hariri, est bien différent du Beyrouth d’aujourd’hui. Le périmètre de l’hôtel Saint-Georges où l’attentat avait eu lieu il y a exactement 14 ans est entièrement reconstruit. Le quartier a vu pousser au cours des dix dernières années des gratte-ciel d’acier et de verre, alors qu’au début des années 2000, il était encore au début de sa reconstruction.

Le Beyrouth aujourd’hui est bien loin de ce 14 février 2005, l’un des jours les plus sombres de son histoire moderne, quand une voiture piégée chargée de l’équivalent de 1 000 kilos de TNT avait explosé et fait 21 morts et plus d’une centaine de blessés, la plupart par les bris de verre des immeubles alentour, à plus d’un kilomètre à la ronde. L’attentat visait Rafic Hariri qui venait de quitter une session parlementaire.

La ville aujourd’hui, qui est plongée dans la crise économique et dont la plupart des habitants toutes communautés confondues ont perdu espoir, est une capitale sans illusion. C’est comme si les Beyrouthins ont lâché prise et oublié leur esprit de combativité. D’ailleurs, il a été difficile de recueillir les témoignages de survivants car, tout simplement, les rescapés... ne veulent plus se souvenir.

Carole Farhat, chargée de l’événementiel à la baie du Saint-Georges, avait été grièvement blessée dans l’attentat. Sa vie, comme celle de beaucoup d’autres qui travaillaient et qui travaillent toujours dans cet établissement, avait basculé. Elle porte à jamais dans sa chair les séquelles de l’explosion. Le Saint-Georges avait perdu lors de l’attentat six de ses employés. « Je ne veux pas m’en souvenir parce que c’est l’une des journées les plus tristes de ma vie », dit-elle. « C’est triste aussi de voir dans quelle situation se trouve actuellement le pays quatorze ans après l’attentat », poursuit-elle.

L’explosion avait occasionné de lourds dégâts dans l’annexe du Saint Georges, un immeuble baptisé Byblos. Aujourd’hui, le bâtiment, dont la restauration a été récemment entamée, ne porte plus les séquelles de l’attentat de 2005 ou de la guerre civile. Repeint en rose pâle, faisant face à la mer, il est presque prêt pour accueillir bureaux et fonds de commerce.

C’est la même amertume que l’on décèle auprès de tous les témoins de l’attentat qui ont accepté de se livrer.


(Pour mémoire : Les miraculés du Saint-Georges se souviennent de l’explosion qui a fait basculer leur vie)


« Dans ce pays, mourir est une chance »
« Je ne me souviens plus où j’avais garé ma voiture. Je pense qu’un voisin m’avait retrouvé à l’hôpital et je suis retourné au magasin à pied », raconte Khaled Abdelsattar, propriétaire d’une boutique de souvenirs artisanaux à Aïn Mreissé, en se souvenant du 14 février 2005.

Blessé durant l’attentat, il se rappelle qu’il avait pris le volant de sa voiture endommagée par le souffle de l’explosion et avait conduit jusqu’aux urgences de l’Hôpital américain de Beyrouth. Il se remémore la poussière, les bris de verre, les affaires de la boutique toutes éparpillées à terre. « Au moment de l’explosion, tous les réseaux du téléphone portable ont été brouillés et les lignes téléphoniques ordinaires sont tombées en panne. Je ne sais pas par quel miracle la ligne téléphonique de mon magasin était la seule qui fonctionnait encore dans le quartier. Les enquêteurs l’ont utilisée. C’est comme cela que nous avons appris diverses informations sur l’attentat », dit-il.

Mais Khaled Abdelsattar en a vu d’autres, beaucoup d’autres. « Ma famille avait ouvert le magasin en 1952. Le plus dur pour nous était pendant la guerre civile. J’ai vu tous les combats, tous les miliciens et toutes les armées passer », dit-il. Las, il énumère : « La guerre des hôtels, les soldats syriens, l’armée israélienne, les parachutistes français, les milices libanaises propalestiniennes, les combattants de l’OLP, du PSP, du mouvement Amal et du Hezbollah... et j’en passe encore. »

Assis sur un trottoir face à l’hôtel Phoenicia, Abou Jihad, chauffeur de taxi qui dessert depuis plus de 20 ans le Tout-Beyrouth, se trouvait à quelques centaines de mètres du lieu de l’attentat, devant l’hôtel Martinez précisément. « J’ai entendu un bruit horrible et j’ai été tout de suite bloqué par la circulation. Le plus impressionnant ? C’était cette pluie de verre qui tombait du ciel », dit-il. « Il y a un gars qui avait tout vu : c’est Abou Ibrahim. Il était assis là à ma place le jour de l’attentat. Il avait couru vers le Saint-Georges. Abou Ibrahim vous aurait tout raconté, mais il est mort il y a quelques mois. Il a eu de la chance, lui. Car dans ce pays où tout va mal, mourir est une chance, une vraie », soupire Abou Jihad. Il parle de ses déboires financiers, de ses difficultés à joindre les deux bouts, de sa famille qui vit au Liban-Sud et qu’il ne voit que deux fois le mois en raison du manque de moyens.

Un peu plus loin, Mohammad Kayal tient un magasin d’artisanat en face de l’hôtel Phoenicia. Il se souvient de tous les détails de l’attentat, mais c’est avec beaucoup de réticence qu’il parle du 14 février 2005, des clients étrangers qui étaient au magasin, de la poussière, des bris de verre, du moment où il a appris la nouvelle… « Pourquoi prenez-vous encore note ? Cela ne sert à rien. Cela ne sert à rien d’écrire, de lire les journaux, d’écouter les nouvelles, de voter, de se souvenir des attentats ou de parler encore de choses passées. Ce pays est condamné d’avance. Non, ce pays est fini », déclare-t-il, amer.

À Beyrouth, l’assassinat de Rafic Hariri il y a quatorze ans n’est rien qu’une étape dans le lourd parcours du Liban et de ses habitants.


Pour mémoire

Beyrouth, l’amnésique, a du mal à se souvenir de ses blessures


Le Beyrouth du 14 février 2005, jour marquant l’assassinat de Rafic Hariri, est bien différent du Beyrouth d’aujourd’hui. Le périmètre de l’hôtel Saint-Georges où l’attentat avait eu lieu il y a exactement 14 ans est entièrement reconstruit. Le quartier a vu pousser au cours des dix dernières années des gratte-ciel d’acier et de verre, alors qu’au début des années 2000,...

commentaires (6)

Il faut se souvenir et commémorer la mort de ce grand Monsieur et les assassins ( qu'on connaît bien) je les souhaite de souffrir dans leur conscience , s'ils en ont une.

Eleni Caridopoulou

20 h 23, le 14 février 2019

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Commentaires (6)

  • Il faut se souvenir et commémorer la mort de ce grand Monsieur et les assassins ( qu'on connaît bien) je les souhaite de souffrir dans leur conscience , s'ils en ont une.

    Eleni Caridopoulou

    20 h 23, le 14 février 2019

  • Les douleurs les plus profondes demeurent intimes.

    Tina Chamoun

    16 h 21, le 14 février 2019

  • les avis different, memoire, histoire bla bla bla , il reste une seule verite : lorsqu'il se trouve accule, le tueur va y aller de son assassinat , qui qu'il soit, au moment qu'il choisira. Gare a celui qui DERANGE .

    Gaby SIOUFI

    12 h 10, le 14 février 2019

  • ""Hausse de ton et mise en garde contre les atteintes au souvenir de Bachir Gemayel"" et ""Assassinat de Rafic Hariri : Beyrouth préfère ne plus se souvenir"" Les titres sont édifiants. D’un côté on préfère ne plus se souvenir, et de l’autre on met en garde contre les atteintes au souvenir… Quant à moi, ""VAUT MIEUX NE PAS COMMENTER ......""

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    09 h 44, le 14 février 2019

  • QUE LE SOUVENIR DE L,ASSASSINAR DE FEU RAFIC HARIRI SOIT UN CIMENT QUI UNIT ET NON QUI SEPARE MALGRE LE MAL. C,EST CE QUE CE GRAND HOMME AURAIT VOULU POUR LE PAYS L,UNITE ET L,ENTENTE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 04, le 14 février 2019

  • Bonne attitude plutôt que continuer à jouer le jeu des pêcheurs en eau trouble .

    FRIK-A-FRAK

    08 h 49, le 14 février 2019

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