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Culture - Disparition

Clap de fin pour Georges Nasser, passeur d’images

L’auteur-réalisateur, pionnier du 7e art libanais, s’est éteint à l’âge de 92 ans, et le cinéma local est aujourd’hui orphelin.

« Il aimait à dire “Une image vaut mille mots”. Jusqu’à la fin, cette fin tout en silence et sobriété, Georges Nasser, la figure de proue du 7e art libanais, avait gardé la fougue, la force, l’esprit et un amour indéfectible pour le cinéma. Ce cinéma qu’il a vénéré toute sa vie et auquel il s’est consacré avec dévotion. Ce cinéma, il l’avait dans la peau. Comme une transfusion sous le derme. Légende vivante parmi ses étudiants à l’ALBA et à l’Université de Balamand, à qui il a transmis tout son savoir et ses expériences, mais légende méconnue ou pas bien connue parmi ses pairs, jusqu’à ce qu’une initiative d’Abbout Productions réveille ce génie endormi et le ramène à Cannes, là où il s’est fait connaître soixante ans auparavant. Georges Nasser aura laissé un trésor de connaissances et d’amour, que ceux qui l’ont côtoyé ne sont pas prêts d’oublier.


Un certain regard

Son enfance est des plus classiques, avouera-t-il dans l’ouvrage Le cinéma intérieur, que lui consacre Ghassan Koteit en 2017 aux éditions Alba. Né à Tripoli le 29 juillet 1927, il fréquente l’École des Saint-Cœurs jusqu’à l’âge de 7 ans puis continue sa scolarité au Collège des Frères de la Sainte-Famille. Cinquième de 11 enfants, s’il aimait passionnément le cinéma depuis son adolescence – il lui arrivait de regarder 5 à 8 films par semaine, souvent 2 le dimanche –, c’est pourtant vers l’architecture qu’il va s’orienter lorsqu’il décide de faire de hautes études. Parti étudier à New York puis à Los Angeles – « Je ne savais même pas qu’on pouvait étudier le cinéma », confie-t-il –, il rencontre par hasard un jeune Américain qui travaillait dans une station d’essence pour payer ses études de cinéma. Où ça ? lui demande-t-il. À UCLA (University of California, Los Angeles), lui répond ce dernier qui ne se rendait pas compte qu’il avait initié une flamme. « Je suis allé le lendemain à UCLA et j’ai changé de voie. » Sur les bancs d’école, il rencontre certains grands noms du paysage cinématographique futur, dont George Roy Hill et John Ford…

Avide d’apprendre mais aussi d’appliquer ce qu’il a appris, il rentre au Liban. Ce qui l’attendra est certainement un parcours rempli de joie, mais aussi un cortège de déceptions et de rêves brisés. Pourtant, jamais l’amertume n’aura altéré son regard qui pétillait de jeunesse et d’espoir. De retour donc au pays, il contacte Malek Basbous (Lebanon Pictures) qui produisait alors des documentaires et quelques publicités. Ce dernier lui présente Eleuthère Éleftériadis qui décide de le financer. Son premier film, Ila ayn?, est sélectionné dans la 10e édition cannoise et connaît un grand succès au festival. Il figurait parmi des noms tels que Robert Bresson (Un condamné s’est échappé), Satyajit Ray (La déesse) ou Luis Buñuel (L’ange exterminateur)… Parallèlement, le Liban, grâce à lui, fait son entrée dans l’Histoire du cinéma mondial de Georges Sadoul. En 69, il rencontre sa femme Christiane qui travaillait pour Jacques Yves Cousteau, et ils se marient. S’il écrit beaucoup de films, il ne pourra en produire que deux autres. Pourquoi donc ? Ghassan Koteit explique ce phénomène ainsi en comparant le maître à « la vague et au rocher ». « Comment, depuis 43 ans – nous sommes en 2017, – cet homme qui vivait pour le cinéma ne parlait que cinéma et respirait le cinéma n’a plus réalisé de longs métrages de fiction et a pu résister ? Parce que la vie à contre-courant de Georges Nasser qui s’est construit dans le refus était animée par la passion qui fait vivre longtemps et qui en devient le moteur, et par certaines transfusions comme le syndicalisme, l’enseignement, l’écriture.


(Lire aussi : Jocelyne Saab, l’indomptable)


Un certain Nasser

Ses refus qui dictaient sa voie étaient nombreux. D’abord de l’arabe littéraire. Ainsi à l’époque, où les salles étaient spécialisées dans la projection des films égyptiens ou hollywoodiens, il n’y avait pas de place pour les Libanais. C’est un des premiers obstacles auquel l’auteur et cinéaste va se heurter. Malgré son passage à Cannes, son film Ila ayn ? ne sortira pas en salle. Il tentera par la suite, en réalisant Le petit étranger en français, d’atteindre le public car il croyait ferme qu’on faisait des films pas pour soi, mais pour le public ; toutefois, son objectif ne sera pas atteint non plus. Le 2e refus sera à l’encontre des stars. Georges Nasser voulait des acteurs peu connus ou des amateurs pour faire corps avec l’histoire. Tout était donc à reconstruire.

Et si les 3e et quatrième refus étaient à l’adresse du mélodrame et du théâtre, ce qu’il refusait en fin de compte et plus que tout, c’était le compromis moral et cinématographique. Nasser prônait une moralité esthétique et une rigueur qu’il passera en premier lieu aux générations futures.

Pendant 43 ans, il écrira et réécrira des scénarios, et dans les années 80, se tournera vers les documentaires et les films publicitaires. 20 docus et 150 films de pub. Il aura été également producteur exécutif sur les tournages de films étrangers au Liban. Le Faussaire de Volker Schlondorff en 1981, Little Drummer de George Roy Hill ou 24 Hours to Kill de Peter Bezncenet en 1965. En 1964, il est élu président du syndicat des techniciens à 90 voix. Un combat difficile et ingrat qui va commencer, mais sa passion est trop forte pour qu’il abandonne. « Mon rêve a toujours été de créer un cinéma national fort et de pouvoir l’exporter dans le monde entier. Quand l’État libanais commencera à aider cette production cinématographique, le cinéma sera la plus grande industrie au Liban », se confie-t-il à Koteit. En 1993, une autre aventure commence pour lui, toujours aussi excitante et productive, qui lui fait scintiller le regard. Il accepte le poste d’enseignant à L’ALBA et l’Université de Balamand car leur vision du cinéma lui plaît. Pour ce jeune sexagénaire, « le cinéma n’est pas une partie de plaisir. Il fallait s’y mettre sérieusement ». « Mouvement caméra » était son cours préféré. Pour lui, chaque angle, chaque tournure de caméra devaient transmettre une idée. Il aura été très fier d’un grand nombre de ses élèves chez qui il a vu germer l’espoir d’un cinéma nouveau. Ce cinéma libanais qu’il a tant aimé.


Pour mémoire

Georges Nasser sur la Croisette

« Il aimait à dire “Une image vaut mille mots”. Jusqu’à la fin, cette fin tout en silence et sobriété, Georges Nasser, la figure de proue du 7e art libanais, avait gardé la fougue, la force, l’esprit et un amour indéfectible pour le cinéma. Ce cinéma qu’il a vénéré toute sa vie et auquel il s’est consacré avec dévotion. Ce cinéma, il l’avait dans la peau. Comme...

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