«Le Liban est un pays de minorités confessionnelles associées... » Cette célèbre formule exposée par Michel Chiha dans l’un de ses éditoriaux parus dans Le Jour du 30 août 1944 demeure, près de trois quarts de siècle plus tard, toujours d’actualité. Non pas que le Liban est resté figé dans un état d’hibernation politique durant ces longues décennies, mais plutôt parce que cette définition du pays du Cèdre reflète un paramètre culturo-politico-communautaire solidement enraciné dans le tissu social libanais.
Deux développements sur la scène locale ont apporté durant la semaine écoulée une pierre à cet édifice institutionnel dénommé par abus de langage « confessionnalisme politique ». Un tel système, en vigueur depuis pratiquement la proclamation du Grand Liban (et même sous l’Empire ottoman), est diabolisé par certains mais représente – qu’on le veuille ou non – l’expression de réalités historiques bien ancrées que l’usure du temps n’a pu effacer ou atténuer. Dans cette optique, le document avalisé par les différents pôles maronites réunis mercredi dernier à Bkerké sous l’égide du patriarche Béchara Raï, ainsi que les commentaires qui ont marqué, vendredi, le troisième anniversaire de l’accord de Meerab conclu entre les Forces libanaises et le Courant patriotique libre ont convergé vers un point essentiel : l’établissement d’une nette distinction entre, d’une part les inévitables tiraillements et conflits d’ordre politicien et partisan, et d’autre part l’indispensable consensus chrétien autour des fondamentaux, des grandes positions de principe à portée nationale.
Cette équation est plus que jamais vitale dans le contexte local et régional (voire international) présent. André Malraux ne croyait pas si bien dire lorsqu’il lança sa petite phrase lapidaire « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. » Ce qui paraissait alors comme une prophétie de sa part a pris toutefois une tournure bien plus dangereuse à laquelle il n’avait peut-être pas songé. Le monde est en effet ébranlé aujourd’hui par la montée en flèche des extrémismes religieux non seulement au Moyen-Orient et dans plus d’un pays en développement, mais également dans certaines sociétés occidentales. Nous avons même atteint le stade du radicalisme sectaire et violent qui se manifeste par des phénomènes tels que le terrorisme, les mouvements jihadistes et les idéologies théocratiques.
Le Liban n’échappe évidemment pas, à sa manière, à cette conjoncture explosive. S’il reste prémuni contre le fondamentalisme sunnite, il est par contre confronté au radicalisme chiite centrifuge porté par le Hezbollah. Nombre d’intellectuels et de cadres chiites ont l’audace de le dire : leur communauté a profondément changé, au plan des valeurs sociétales et culturelles, depuis que le parti pro-iranien a embrigadé et bétonné la collectivité chiite libanaise grâce à une aide massive du régime des mollahs en place à Téhéran.
Face à une telle donne, les pôles chrétiens du pays se doivent aujourd’hui de relever impérativement un défi crucial, indépendamment de leur positionnement respectif à l’égard des autres forces vives et composantes politico-sociales du pays : prendre l’engagement ferme de lutter ensemble pour préserver un consensus non négociable autour des fondamentaux portant sur la nature du système politique, les équilibres communautaires, la stature de la présidence de la République, le rôle et la place des chrétiens dans l’exercice du pouvoir, la sauvegarde d’un mode de vie et de valeurs humanistes respectueuses du pluralisme de la société libanaise.
Cet attachement inconditionnel à ces fondamentaux doit transcender toute considération d’ordre politicien et partisan, et il n’est pas nécessairement incompatible avec les rapports plus ou moins étroits entretenus par les différents pôles chrétiens avec telle ou telle composante communautaire du pays. En dehors d’une telle équation, la gangrène continuera à s’étendre subrepticement et à ronger progressivement le corps libanais, mettant sérieusement en danger l’équilibre sociocommunautaire du pays, l’essence de la formule libanaise et la raison d’être du Liban.
À l’ouverture de la réunion de mercredi dernier à Bkerké, le patriarche Raï a tenu des propos sans équivoque qui s’inscrivent dans la lignée des grandes positions nationales de principe que ne cessait d’adopter le patriarche Nasrallah Sfeir. Ces propos ainsi que la teneur du communiqué publié à l’issue de ces assises maronites et les commentaires rassembleurs qui ont accompagné vendredi l’anniversaire de l’accord de Meerab vont dans le sens de ce nécessaire consensus autour des fondamentaux, au-delà des calculs politiciens et sans que cela ne porte préjudice à de non moins salutaires alliances transcommunautaires. Reste à espérer qu’il ne s’agit pas là d’un simple sursaut conjoncturel. Car en dehors de ce nécessaire bétonnage communautaire, c’est le Liban-message qui risque de voler en éclats.
commentaires (7)
Que les chrétiens du Liban se reduisent aux maronites affaiblissent les Chrétiens...tres bel article ...mais si triste et si vrai
Salibi Andree
08 h 33, le 29 janvier 2019