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Galerie de fantômes

On a beau jeu d’imputer aux ingérences étrangères le déplorable état de division des Libanais, perçus comme de lamentables moutons tout juste bons à suivre docilement le courant. Recevant mercredi les vœux traditionnels du corps diplomatique, le président Michel Aoun ne manquait pas d’ailleurs de déplorer ces influences extérieures dont continue de souffrir le pays. Mais qu’en est-il quand ce sont les Libanais eux-mêmes qui usent avec zèle des contradictions régionales, à seule fin de marquer des points face à l’adversaire local ?


Litigieux en diable est ainsi ce projet de conférence au sommet arabe prévue pour le 20 janvier à Beyrouth, et qui sera axée sur les questions économiques et de développement. D’emblée se pose en effet l’épineux problème d’une éventuelle participation syrienne, exigée par les uns et dont la seule idée est insoutenable pour le autres. Et d’emblée, le président de l’Assemblée, un des plus proches et plus anciens alliés de Damas, va se poser, de bout en bout, en principal animateur de la polémique, commençant par réclamer qu’une invitation en règle soit immédiatement adressée à Bachar el-Assad.


Il est vite apparu cependant que c’était chose impossible, la Ligue des États arabes, organisatrice du sommet, n’ayant pas encore levé la mise au ban de la Syrie, proclamée peu après le début de la rébellion dans ce pays.


Acte II : qu’à cela ne tienne, un sommet avec Bachar ou pas de sommet du tout, décrète alors le chef du législatif, qui prend soin toutefois de maquiller cet ukase à l’aide de considérations générales non dénuées, il est vrai, d’un certain bon sens : privé qu’il est de gouvernement, en proie aux querelles internes, l’hôte libanais de la conférence risque en effet d’apparaître comme un pitoyable symbole de désunion, alors qu’il s’est toujours voulu facteur de rassemblement au regard des Arabes. En dépit de ses nobles accents, et une fois placée dans le contexte des tiraillements autour de la formation d’un nouveau gouvernement, l’argumentation cache mal toutefois un défi à l’autorité – mais aussi aux prérogatives constitutionnelles – du président de la République. Qui tient absolument, lui, à la tenue de son sommet, dont il attend qu’il redonne quelque lustre à son régime.


Acte III : faisant monter la pression, le président du Parlement, tel un prestidigitateur, sort alors de son chapeau l’interdit chiite frappant une Libye responsable de la disparition, il y a cinquante ans et des poussières, de l’imam Moussa Sadre ; figure emblématique de cette communauté, celui-ci fut le fondateur du mouvement Amal, dont Nabih Berry est l’actuel leader. Sous Mouammar Kadhafi comme après la révolution, la Libye n’a jamais admis les faits et le contentieux se trouve encore compliqué par la détention prolongée, au Liban, d’Hannibal Kadhafi, fils du dictateur déchu.


Hier, c’est cette communauté tout entière, représentée par le Conseil supérieur chiite, qui faisait bloc derrière Berry, non sans mettre en garde les hautes autorités contre les conséquences qu’aurait l’arrivée à Beyrouth d’une délégation libyenne. Sans forcément souscrire à la manœuvre politique, on ne peut que s’incliner devant une aussi constante, irréductible, ombrageuse fidélité au souvenir du charismatique imam. Mais dans cette surréelle affaire de sommet, pourquoi donc un fantôme de martyr pèserait-il plus lourd que d’autres fantômes de martyrs non moins authentiques ? Pourquoi ostraciser la Libye mais non pas la Syrie, pourtant coupable d’une arrogante et brutale occupation, puis d’une longue série de meurtres avérés, commis contre la fine fleur du pays ?


Tristes temps en vérité, où les vivants en sont réduits à appeler les morts à la rescousse pour étoffer leur discours.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

On a beau jeu d’imputer aux ingérences étrangères le déplorable état de division des Libanais, perçus comme de lamentables moutons tout juste bons à suivre docilement le courant. Recevant mercredi les vœux traditionnels du corps diplomatique, le président Michel Aoun ne manquait pas d’ailleurs de déplorer ces influences extérieures dont continue de souffrir le pays. Mais qu’en...