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Culture - L’artiste de la semaine

Omar Khouri, la tête dans les bulles...

Cofondateur du collectif Samandal (devenu l’un des meilleurs témoins de son époque à travers de subtiles BD), artiste pluridisciplinaire libre et désopilant, il présente en ce moment « Glass »*, exposition londonienne où se télescopent, au cœur de délirantes toiles à la gouache, tous ses bagages culturels...

Omar Khouri, autoportrait.

Bien qu’il n’ait pas forcément la gueule de l’emploi, il suffit de quelques minutes passées en compagnie de Omar Khouri pour jurer qu’il aurait fait, dans une autre vie, le parfait héros d’une bande dessinée. C’est qu’il ne manquerait que des bulles à son propos profus, tramé d’onomatopées qui jaillissent du néant et d’amples gestes des mains, pour l’imaginer se baladant entre les vignettes chamarrées et délirantes d’une planche dont il serait le créateur. Et de confirmer : « J’ai besoin de mettre un peu de moi dans mes œuvres, sans doute pour tisser un lien entre moi et ceux qui vont à la rencontre de mes œuvres. »

À mesure que l’artiste ouvre les tiroirs de ses multiples histoires, en parfait raconteur du passé qu’il est, on comprend qu’une partie intégrante de son œuvre provient de l’imaginaire érigé par Jim Lee, héros de son enfance dont il buvait à la source, jusqu’à la lie, rencogné sur les X-Men qu’il s’échinait à reproduire sur des bouts de papier. Pourtant, contrarié par le poids des pressions familiales qui lui présageaient un avenir d’artiste fauché, Omar Khouri ne s’égare qu’à regrets sur la voie d’une licence en économie à l’Université américaine de Beyrouth. S’il dit avoir été « malheureusement un bon élève », il n’y durera que deux ans, avant de se récrier : « Il est temps que cela s’arrête et que je me laisse aller à ma véritable passion, en faisant fi de ce qu’on pouvait penser autour », et de s’envoler, au propre comme au figuré, pour un diplôme d’illustration au Massachusetts College of Art and Design. Sur les bancs de cette école qui autorise son talent à éclore abondamment, il se souvient que « ce que j’ai réellement découvert, c’est que je voulais être libre, sans me cantonner à une discipline précise, quitte à devoir sortir de la bédé ou des jeux vidéo sur lesquels je m’étais jusqu’alors concentré ». À la sortie, il décroche un job d’envergure sur le film The Final Cut (avec Robin Williams, réalisé par son ami Omar Naim) pour lequel il conçoit un story-board et des visuels. Après avoir donc caressé le rêve américain du bout de ses doigts – d’où semble pousser une fourmilière d’idées –, l’expatrié avoue avoir « ressenti le besoin abyssal de rentrer au bercail, je savais que j’avais quelque chose à apporter, qu’il y avait du travail à faire, que je pouvais réellement faire une différence ».

Toucher l’œuvre
De retour à Beyrouth, quoique éternellement en partance pour Londres, Paris et New York, au gré d’expos ou de résidences d’artiste, Omar Khouri refuse de camper dans une discipline, « même si cela m’a coûté cher au niveau de mon statut d’artiste. Les gens ont besoin de nous étiqueter et nous oublient très vite lorsqu’on pivote vers quelque chose d’autre ». Il gambade librement sur le terrain encore fertile de l’art libanais, ne craignant pas de se disperser, s’essayant à la musique, présentant ses premières esquisses et bédés au Zico House en 2004, insufflant ses illustrations en arrière-plan de Tostofil Meryl Streep, la pièce de Nidal el-Achkar, ou démarrant en 2006, avec Hatem Imam, Fadi Baki, Tarek Nabaa et Léna Merhej, le collectif Samandal, devenu aujourd’hui le temple de la BD libanaise. En 2005, il revient d’une résidence et une exposition new-yorkaises « à la fois écœuré et dégoûté par cette manière de traiter l’art comme une commodité jetable. Dans ma conception des choses, il se doit de tendre la main à tous chacun plutôt que de les intimider ». (Res)sentiment qui ne le lâchera et le conduira, douze ans plus tard, à son installation Exhibitionist dans le cadre de la vitrine de la Beirut Art Residency en 2017. Revendiquant donc un art à la portée de tous, il choisit ainsi de présenter ses toiles en éliminant la frontière de verre de cette vitrine comme pour tomber le barrage protocolaire qui sépare les œuvres des visiteurs. « Les gens se sont autorisés, pour la première fois, à approcher les œuvres, à les toucher, à s’y frotter, la nuit parfois, jusqu’au point de finir par les voler, pour certains. C’est certainement un extrême que je ne cautionne pas, mais qui est révélateur de la frontière dressée entre l’art et les spectateurs, intimidés jusqu’à la frustration », estime-t-il.


La gouache et lui
Cela dit, cette acrimonie à l’égard d’une époque où l’art fluctue selon l’humeur des bourses financières n’empêche pas Khouri de continuer à explorer et exploser les infinis morceaux de sa mosaïque artistique. Lors d’un passage à Paris pour une résidence en 2013, il se hasarde intuitivement dans le travail de la gouache qu’il aborde à rebours, comme on traite l’aquarelle. Là, « c’était littéralement comme un coup de foudre. Les prémices d’une longue histoire d’amour qui dure jusqu’aujourd’hui », déclame-t-il presque. Et de poursuivre : « Mon travail avec la gouache, je le conçois tel un dialogue. On est deux, car il y a mon apport, bien sûr, mais aussi et surtout celui de cette matière qui a sa propre manière d’agir, inattendue, jamais la même. De la magie. » Outre ses autoportraits qui feront l’objet de l’exposition « 61 Faces of Winter » à la galerie Agial en 2015 (accompagné d’un livre publié par Plan Bey), naît de cette « collaboration » sa série Tensil Modulus présentée à la galerie Sultan au Koweït en 2016 où il interrogeait la complexité de l’être à travers les portraits de quatre de ses amis, à la fois étoffés et dilués sous cette matière occulte qu’est la gouache. En ce moment, en plus de sa participation à l’exposition collective « The Contemporaries »** à Beyrouth, Omar Khouri présente « Glass » à Londres, présentée par Cédric Bardawil et Joe Start. Toujours amarré à ses fétiches tubes de gouache, dans ses toiles sur lesquelles sembleraient planer les spectres de Bacon ou Freud rentrés d’un voyage en Orient, sur ces canevas qui reprennent les motifs géométriques arabes et où naissent, se dilatent et se multiplient des visages aux entrelacs colorés délirants, l’artiste cherche « à matérialiser le mix culturel qui est le mien, mais aussi à pousser le concept d’un portrait jusqu’au bout, c’est-à-dire l’augmenter de cette notion de temps, en représentant plusieurs postures, plusieurs moments de la même personne qui se télescopent dans une toile ». Car « on ne (se) révèle réellement qu’à travers le temps, en fait », conclut-il au bout d’une interview dont les deux heures n’auront suffi qu’à lever le voile sur une partie de l’artiste-kaléidoscope qu’est Omar Khouri.


*« Glass » de Omar Khouri, présentée par Cédric Bardawil et Joe Start, à The Park Gallery, 26 Connaught Street, Londres W2 2AF, jusqu’au 18 janvier. Brunch et rencontre avec l’artiste dimanche 13 janvier.

**« The Contemporaries », exposition collective organisée par la galerie en ligne by Muasserun, an Online Art Gallery, au Riverside Pop-up, Sin el-Fil, Beyrouth, jusqu’au 17 janvier.


14 juillet 1978

Naissance à Londres

Été 1982

Premier souvenir visuel, un coussin jaune moutarde à motif de feuilles de vigne sur un bateau de réfugiés vers Chypre

14 juillet 1993

Son 15e anniversaire à Paris, qui coïncidait avec la célébration de la prise de la Bastille

Juillet 1998

Entrée au Massachusetts College of Art and Design

Juin 2003

Début du travail sur « The Final Cut », écrit et dirigé par Omar Naim, avec Robin Williams

Juin 2004

Première expo de toiles au Zico House à Beyrouth

Septembre 2006

Naissance du magazine de bédé qui deviendra « Samandal »

Avril 2015

Fin de son mariage et, en même temps, défaite du procès de censure contre « Samandal »



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