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Liban - Social

Au Liban, la grève suivie dans certaines administrations, mais pas dans le privé

Nombreux sont les Libanais à exprimer leur méfiance face à une éventuelle récupération politique du mouvement.

Lors d’un mouvement de protestation, hier, à Tripoli. Photo « an-Nahar »

L’appel à la grève lancé par la Confédération générale des travailleurs au Liban (CGTL), soutenue par plusieurs syndicats et par le parti Sabaa (qui affirme représenter la société civile), pour protester contre le retard dans la formation du gouvernement et la dégradation de la situation économique, a été suivi hier dans certaines administrations publiques. Mais dans le secteur privé, que ce soit à Beyrouth, ses banlieues ou les régions, les Libanais ont vécu une journée ordinaire, proclamant haut et fort leur ras-le-bol mais aussi leur désillusion.

Parmi les administrations publiques touchées par la grève, le port de Beyrouth et Électricité du Liban, à l’arrêt. Le siège à Beyrouth de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) ainsi que ses antennes dans les régions étaient également fermés, de même que l’Office des eaux. Entre 9h30 et 10h30, les employés de l’Aéroport international de Beyrouth et des sociétés affiliées à la Middle East Airlines (MEA) et des travailleurs de la Compagnie libanaise d’approvisionnement de l’aéroport ont également suspendu leurs activités. Le trafic aérien a été affecté et plusieurs vols ont été retardés durant cette période d’une heure.

Le président de la CGTL, Béchara Asmar, qui a suivi ce mouvement depuis le siège de la CGTL, a affirmé lors d’une conférence de presse que « cette grève ne constitue qu’un premier pas qui sera suivi par d’autres mouvements variés. Si nous avons refusé aujourd’hui de sortir de chez nous, c’est parce que nous tenons à préserver la sécurité du pays ». « Notre mouvement aujourd’hui n’est pas politique, et n’est ni en faveur d’une partie ni contre une autre. Il est juste dirigé contre tous ceux qui font obstacle à la formation du gouvernement », a ajouté M. Asmar. Alors que les syndicats des fonctionnaires des hôpitaux publics avaient également appelé à la grève, les employés de l’hôpital gouvernemental de Beyrouth ont cessé le travail pendant une heure. Mais des observateurs ont noté que le mouvement était plus suivi dans les régions du sud du pays, notamment Nabatiyé, que dans le nord.

Dans le secteur privé, que ce soit à Beyrouth ou dans les régions, le paysage était tout autre. Les banques étaient ouvertes, l’Association des banques libanaises (ABL) ayant appelé dès jeudi à ne pas répondre à l’appel à la grève, estimant ce moyen peu efficace. Même si tôt en matinée la circulation était plutôt fluide, les artères principales du Grand Beyrouth grouillaient de vie, que ce soit à Dora, Achrafieh, Hamra, Clemenceau, Khandak el-Ghamik ou Chiyah.

« Pourquoi faire grève ? Pour nous, tous les jours sont comme des jours de grève côté rendement, parce que même si on ouvre boutique, les clients se font de plus en plus rares », soupirait Tony, opticien à Zalka.


(Lire aussi : Au Liban, un ras-le-bol unanime, mais une grève non générale)


Pays à jamais perdu
Avédis, son voisin cambiste, se plaignait, lui aussi, de la situation. « C’est la faute aux 49 % des Libanais qui, en mai dernier, se sont abstenus de voter lors des législatives. C’est un pays où jamais il n’y aura de changement. J’ai pris part, avec ma femme et mes enfants, à une manifestation il y a trois ans, suite à la crise des ordures, les forces de l’ordre avaient passé des manifestants à tabac. Nous étions rentrés à la maison dégoulinant d’eau car les pompiers avaient arrosé la foule pour la disperser. À soixante ans, on n’a plus envie d’être encore humiliés par notre gouvernement. Dans les pays qui se respectent, à cet âge-là, les gens se reposent », lance-t-il. C’est le même son de cloche qu’on entend dans tout Beyrouth, où la population est désillusionnée et affiche son ras-le-bol. « Que peut-on encore dire ou faire ? Nos efforts ne servent à rien. Le pays est à jamais perdu », estime Dalia, qui travaille dans un magasin de chaussures à Hamra. 

Nombreux sont ceux à se plaindre, en outre, de ce qu’ils estiment être une récupération politique de la grève ou des manifestations. « Personne ne descend dans la rue si le parti auquel il a prêté allégeance ne lui donne pas le feu vert. Et s’il y a des manifestants indépendants, ce sont les partisans des partis politiques qui viennent tout casser », note Hussein, qui travaille dans la même boutique.

« Le 23 décembre, je suis descendu dans la rue, à l’appel de la société civile. Une fois sur place, j’ai vu que la plupart des manifestants étaient des partisans du mouvement du 8 Mars… et la casse a commencé, je suis donc rentré chez moi », confie-t-il.

« Manifestation, grève ou autre. Rien ne changera. Au Liban, nous n’avons jamais appris la démocratie à l’école. Nous n’avons même pas un esprit civique, nous n’aimons pas notre pays. Lors de la dernière manifestation de décembre, des casseurs ont brûlé une poubelle devant mon magasin. Depuis, à chaque fois que je veux jeter quelque chose, je peste contre eux », raconte Salah, qui a un magasin de vêtements à Hamra. Il « voulait bien faire la grève aujourd’hui », assure-t-il, mais s’est abstenu, car « ça sent vraiment le mouvement du 8 Mars là ».

Pour beaucoup, plus rien ne peut contrer la corruption, le népotisme ou l’hérédité politique. Fait de plus en plus courant chez les Libanais, ils se présentent comme chrétien, sunnite ou chiite et clament haut et fort que les leaders politiques de leurs communautés ne les représentent plus. Et si on leur demande pourquoi ils ont encore voté pour les partis traditionnels, ils répondent « parce que nous sommes tout le temps acculés à faire des choix de dernière minute pour préserver l’équilibre » ou confient qu’ils « n’ont pas voté ». Rares sont les personnes interrogées qui ont opté, lors des dernières élections, pour des candidats de la société civile.


Payer le loyer à la fin du mois
Dans un kiosque d’Achrafieh qui ouvre normalement de 6 heures du matin à minuit, Rudy, le propriétaire, a décidé d’observer une grève de 8 heures à 11 heures. « Je voulais juste marquer le coup, protester et dire que le pays est au bord de l’effondrement. Je n’ai pas baissé le rideau mais j’ai refusé de vendre quoi que ce soit, même une tasse de café », dit-il. Et de poursuivre avec un brin d’humour, montrant un écran devant lui : « Et puis j’ai vu que personne n’a pris le mouvement au sérieux, que tout continuait normalement. Même la télévision n’a pas parlé de la grève. J’ai donc décidé d’arrêter. Trois heures de grève sont suffisantes dans un pays où on parvient de moins en moins à gagner notre vie. »

À Khandak el-Ghamik, Barhoum, qui tient une échoppe de manakich, lui aussi voulait faire la grève. « Je suis arrivé au travail ce matin de très mauvaise grâce. Mais plus la journée passait, plus je me rendais compte que personne n’avait respecté la consigne de grève. Pour vous dire, j’ai fait autant de livraisons aux entreprises que d’habitude. Que voulez-vous ? Il faut bien payer le loyer à la fin du mois », dit-il.

Partout le même son de cloche. Dans des magasins vides, les commerçants se plaignent du loyer qu’ils arrivent désormais à peine à assurer et de cette fin d’année où ils réalisent qu’ils arrivent à peine à couvrir leurs dépenses.

« À chaque fin d’année, je me rends compte que j’ai un petit manque à gagner. Je suis dans cette situation depuis cinq ans. Il faut payer le loyer, l’électricité, le générateur, la taxe municipale… et gagner assez pour faire vivre dignement ma famille », souligne Wajih, qui tient une épicerie à Dora.

Dans plusieurs rues commerçantes, que ce soit à Achrafieh, Dora ou Hamra, des commerçants montrent des magasins aux rideaux de fer descendus portant une pancarte « à louer » : ce sont des commerces qui ont fait faillite ou dont les propriétaires sont partis.

Des internautes avaient appelé à une manifestation au centre-ville de Beyrouth à 13 heures, mais personne ne s’est présenté au rendez-vous, à part une brigade de la police antiémeute d’une soixantaine d’hommes. À la question de savoir pourquoi les manifestants ne sont pas venus, un policer répond spontanément : « Parce que les gens en ont ras le bol de tout. » Même des grèves, des manifestations et des revendications…


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