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Culture - Rencontre

De brillante avocate à mezzo-soprano, le fabuleux parcours de Marie-Joe Abi Nassif

Dans un entretien à « L’Orient-Le Jour », la jeune Libanaise raconte comment elle a abandonné sa carrière en droit pour vivre sa passion.

Marie-Joe Abi Nassif lors de son récital au Carnegie Hall, à New York, le 16 décembre 2016, accompagnée au piano par Thomas Bagwell. Photo fournie par Marie-Joe Abi Nassif

Elle est d’une élégance et d’une distinction sans faille. Installée dans un appartement new-yorkais qui lui ressemble, Marie-Joe Abi Nassif, 30 ans, mezzo-soprano, vient de rentrer d’une série de concerts en Bulgarie et en France. « Ce fut une joie énorme », confie à L’Orient-Le Jour celle qui, il y a moins d’un an, était encore avocate spécialisée en fusions-acquisitions dans un prestigieux cabinet américain.

C’est à l’âge de 22 ans, alors qu’elle est à Paris, que Marie-Joe Abi Nassif s’inscrit à son premier cours de chant. À l’époque, elle est titulaire d’une licence en droit de l’Université Saint-Joseph et vient d’être acceptée pour un master en droit des affaires à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas. « J’avais envie de me faire plaisir, et comme j’étais dans une ville phare en termes de musique classique, je me suis lancée », dit-elle. « Ce premier cours, se souvient-elle, était très libérateur. J’ai mis toute mon âme dans le chant et ressenti un pur bonheur. » Sa professeure, estimant qu’elle a un timbre rare et des qualités de voix de mezzo-soprano, la présente alors à Denis Dubois, chef de chant à l’Opéra national de Paris.

« Ma voie en tant qu’avocate était tracée »

Un an plus tard, Marie-Joe Abi Nassif quitte la capitale française pour New York. Là, elle travaille chez Latham & Watkins, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre le chant à la Evening Division de la célèbre Juilliard School. Mais son admission pour un master en droit (LLM) à l’Université de Columbia, l’une des meilleures, vient comme un rappel à l’ordre.

« J’ai senti que le chant était un rêve auquel je devais renoncer et que ma voie en tant qu’avocate était tracée, explique-t-elle. Alors je me suis enterrée à la bibliothèque, et, au bout d’un an, j’ai obtenu mon diplôme et le barreau de New York. » Malgré cette belle réussite, la jeune Libanaise se sent « incomplète ».

À l’occasion de vacances chez sa sœur en Floride, la jeune femme, refusant de renoncer à sa passion, contacte Virginia Zeani, grande soprano de renommée internationale, installée dans ce pays du Sud-Est américain. « Je n’avais rien à perdre. Je l’ai appelée et je lui ai demandé de m’écouter chanter », dit-elle.

Le soir même de leur rencontre, alors que Marie-Joe Abi Nassif est déjà de retour à New York, Virginia Zeani, aujourd’hui âgée de 93 ans, lui téléphone. « Ce qu’elle m’a dit, je ne l’ai jamais oublié : “Avec la qualité et le timbre de voix que tu as, tu peux faire carrière. Et pour le temps qu’il me reste à vivre, je veux t’aider”. » Dès le lendemain, la jeune femme reprend l’avion pour la Floride. Pendant une semaine, elle absorbera tout ce qu’elle peut de Virginia Zeani, « une inspiration, une légende vivante, une autorité dans le domaine ». Être son élève est « un énorme honneur et une grande responsabilité », dit-elle, visiblement émue.


« Repartir à zéro »

À son retour à New York, Marie-Joe Abi Nassif, qui s’est promise d’être à la hauteur de cette responsabilité, loue un appartement « collé » au cabinet dans lequel elle travaille, pour pouvoir jongler entre sa carrière et ses cours de chant. « Dès que j’avais dix minutes, je rentrais chez moi faire des vocalises. La pianiste de Mme Zeani me donnait des cours par Skype. J’en étais arrivée à travailler mes dossiers dans les taxis, entre deux rendez-vous, pour gagner du temps », dit-elle.

Un an après son premier cours avec Virginia Zeani, elle a l’opportunité de chanter, le 16 décembre 2016, sur la scène du prestigieux Carnegie Hall qui a vu passer, entre autres, Jacques Brel, Maria Callas ou encore les Pink Floyd. Le Jour-J, « je me sentais en vie, confie la mezzo-soprano. J’ai réalisé à quel point le chant était ce que je voulais faire ».

C’est ainsi qu’en mars 2018, elle prend son « courage à deux mains » et démissionne « en tremblant comme jamais ». « Je devais donner une chance à ma passion, explique-t-elle. Était-ce un coup de folie ? Aujourd’hui encore, je me demande, chaque matin, si j’ai pris la bonne décision. »

« Forger mon art »

Depuis, la jeune femme, qui était une reine de la planification, apprend à s’adapter à l’incertitude, et, avec sa rigueur d’avocate, se plonge dans l’italien, l’histoire de la musique et la technique. « Mon rêve est avant tout de forger mon art, être artiste et non interprète », note-t-elle.

En novembre dernier, elle revient à Paris, ville de son premier cours de chant, pour donner un concert à la salle Cortot, accompagnée au piano par Denis Dubois. Elle a choisi d’appeler son concert, lors duquel elle interprète des œuvres de Georges Bizet, Jules Massenet, Gioachino Rossini, etc., « Portrait(s) de femmes ». « On reproche à l’opéra d’être un art antiféministe, et c’est vrai que les destins réservés aux femmes sont toujours très malheureux : elles sont trompées, poignardées, incarcérées… J’ai voulu montrer que ces femmes sont aussi entières et courageuses. Quand elles aiment, elles aiment jusqu’à la mort », explique Marie-Joe Abi Nassif en citant Carmen : « Libre elle est née, et libre elle mourra. »

Après son concert à Paris, elle s’est rendue en Bulgarie pour donner un concert à l’Opéra national de Varna. « Ce concert fut très spécial, car c’était la première fois que je chantais dans une maison d’opéra », confie-t-elle. Avant de monter sur scène, c’est les mots de sa mentor Virginia Zeani qui lui reviennent : « Souviens-toi que tu mérites tout cela. Souris au public puis oublie-le. Savoure chaque note que tu entends et chaque note que tu chantes. »

Le 22 décembre, c’est sur sa terre natale que la jeune cantatrice se produira, pour un concert au palais présidentiel à Baabda, accompagnée par l’Orchestre philharmonique libanais. Avant de se préparer pour son concert de février 2019 au New York Lyric Opera dans Suor Angelica de Giacomo Puccini.


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commentaires (1)

Une superbe histoire qui libérera certainement des talents brimés chez beaucoup de jeunes. Et bravo au PR d'ouvrir son palais à des manifestations artistiques de haut niveau!

Marionet

08 h 50, le 18 décembre 2018

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Commentaires (1)

  • Une superbe histoire qui libérera certainement des talents brimés chez beaucoup de jeunes. Et bravo au PR d'ouvrir son palais à des manifestations artistiques de haut niveau!

    Marionet

    08 h 50, le 18 décembre 2018

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