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Moyen Orient et Monde - Éclairage

L’Afrique de l’Est, arrière-cour des puissances régionales sunnites ?

Sept pays riverains de la mer Rouge se sont réunis mercredi dernier à Riyad pour discuter de l’avenir de cette région.

Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, et le vice-ministre yéménite des Affaires étrangères, Mohammad Hadrami, se rendant à la réunion de sept pays riverains de la mer Rouge, à Riyad, le 12 décembre 2018. Fayez Nureldine/AFP

Les rivalités des pays du Moyen-Orient s’étendent sur le continent africain. Deux jours après la publication d’un chapitre exclusivement réservé à l’Afrique, pour la première fois, dans un communiqué final d’un sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG), des hauts représentants de sept pays riverains de la mer Rouge se sont rassemblés mercredi dernier à Riyad pour « étudier la possibilité de créer une entité pour les États arabes et africains sur les côtes de la mer Rouge », selon l’Agence de presse saoudienne (SPA). Cette entité aurait pour but de gérer les affaires de la région entre le canal de Suez au nord et le détroit de Bab el-Mandeb au sud. Outre l’Arabie saoudite, étaient présents la Jordanie, l’Égypte, le Yémen, Djibouti, la Somalie et le Soudan.

Le différend mis au grand jour en juin 2017, qui oppose Riyad et ses alliés, Abou Dhabi en tête, à Doha et a posteriori son allié turc, fournit la lentille à travers laquelle les rivalités des puissances moyen-orientales en Afrique peuvent être lues, et c’est globalement dans la région de l’Afrique de l’Est, de par sa proximité avec la péninsule Arabique, que le débordement de ces rivalités est le plus visible. L’ouverture de bases militaires et les contrats pour la gestion des ports dans une région hautement stratégique pour la guerre du Yémen en cours et où passe environ 10 % du commerce mondial (du fait du canal de Suez) sont deux terrains des plus importants sur lesquels s’affrontent les axes, par ailleurs dissolubles, Riyad-Abou Dhabi et Ankara-Doha, mais d’autres, tels que les partenariats commerciaux, médiatiques, sportifs et scientifiques avec des pays africains, sont aussi à observer, ainsi que l’usage de leviers religieux, financiers ou diplomatiques pour atteindre des objectifs.


(Lire aussi : Turquie-Arabie : histoire récente d’une rivalité dans la maison sunnite)


L’exemple somalien

De par son système politique fédéral fragile et sa guerre civile en cours, la Somalie fournit un bon exemple de ce débordement. La base militaire turque en Somalie, qui a des installations portuaires, a été ouverte en 2017. Elle est la première d’Ankara sur le continent africain et sa plus grande à l’étranger. Ankara et Doha soutiennent le pouvoir central de Mogadiscio, alors qu’Abou Dhabi collabore étroitement avec certaines autorités fédérées régionales. La Turquie a massivement investi dans le réseau routier de la Somalie, la compagnie turque Favori LLC gère l’aéroport de la capitale depuis 2013, tandis que le groupe turc Albayrak gère le port de Mogadiscio. Un hôpital de la ville porte même le nom de Recep Tayyip Erdogan. Pour sa part, le Qatar a fourni une aide de 385 millions de dollars américains aux autorités centrales, selon une information de Reuters datant du 1er mai dernier, citant un officiel qatari qui affirme que passer des accords avec les gouvernements fédérés de la Somalie affaiblit le gouvernement central.

Cette critique est directement adressée, sans les nommer, aux Émirats arabes unies. La compagnie P&O Ports, qui « appartient à 100 % au gouvernement de Dubaï », selon son site web, gère le port de Bosasso, dans la région autonome du Pount, depuis avril 2017, tandis que DP World, compagnie dubaïote dont le directeur général, Sultan Ahmad ben Sulayem, est un proche de la famille régnante de l’émirat, gère depuis mai 2016 le port de Berbera, situé dans la République autoproclamée du Somaliland, à travers une entité portuaire détenue en majorité par la compagnie et dans laquelle le Somaliland et l’Éthiopie sont minoritaires. Dans les deux cas, les accords de gestion des ports ont été passés directement avec les autorités fédérées. En 2010, Abou Dhabi a financé un programme d’entraînement de la police du Pount et, en mars dernier, Abukar Osman, le représentant permanent de la Somalie à l’ONU, a exhorté le Conseil de sécurité à « prendre les mesures nécessaires » pour « mettre fin » à l’accord entre le Somaliland et les Émirats pour établir une base militaire à Berbera et former la police et l’armée du Somaliland, ce qui constitue une « violation claire du droit international ». Abou Dhabi formait et « payait des troupes somaliennes » depuis 2014, selon Wam, l’agence de presse officielle émiratie, qui a annoncé en avril dernier la fin de ce programme, sous pressions des autorités de Mogadiscio.

Concernant la base militaire, elle devrait « inclure un système de surveillance côtière », selon « un diplomate impliqué dans les pourparlers », cité par Bloomberg le 6 novembre dernier, et sera « opérationnelle d’ici à juin prochain ». Elle serait la seconde base militaire des Émirats dans la région, après celle d’Assab en Érythrée, pays qui aurait fourni 400 soldats à l’effort de guerre de la coalition arabe emmenée par l’Arabie saoudite au Yémen, selon une note du Conseil de sécurité de l’ONU du 19 octobre 2015. L’accord de paix entre l’Érythrée et l’Éthiopie, signé à Riyad le 16 septembre dernier, avait été notamment facilité par une diplomatie de l’ombre américano-émiratie.


(Lire aussi : Malgré l’affaire Khashoggi, pas de rapprochement Arabie-Qatar en perspective)

Un oléoduc en projet

L’Éthiopie, par ailleurs, l’une des économies les plus dynamiques de l’Afrique et le deuxième pays le plus peuplé du continent avec 105 millions d’habitants, a commencé en juin dernier et à titre expérimental à extraire du pétrole brut à partir de réserves situées dans le sud-est du pays, et aura besoin d’un accès via l’Érythrée pour pouvoir l’exporter. Abou Dhabi projette de construire un oléoduc entre les deux pays. Signe toutefois de la souplesse des axes Riyad-Abou Dhabi et Ankara-Doha dans leur approche à l’Afrique, l’Arabie saoudite n’a pas convié la République autoproclamée du Somaliland au sommet de Riyad, ni l’Érythrée, l’Éthiopie et les Émirats.

Djibouti, qui y était représenté, a nationalisé en septembre dernier le terminal à conteneurs de Doraleh, administré depuis 2006 par DP World, la compagnie dubaïote, qui détenait un tiers de l’entité et devait poursuivre la gestion jusqu’à l’année 2036. Depuis plus d’un an, en outre, des informations font état de l’ouverture d’une base militaire saoudienne dans ce pays, qui abrite par ailleurs plus de bases militaires étrangères que n’importe quel autre pays dans le monde. Le Soudan, également représenté à Riyad, est pour sa part un point de chute important pour le Qatar et la Turquie. Doha et Khartoum vont signer un accord de 4 milliards de dollars pour développer conjointement le port de Suakin sur la mer Rouge.

La Turquie a pour sa part signé un bail de 99 ans en décembre 2017 pour réaménager la ville de Suakin. Le projet consiste à rénover les deux mosquées de l’époque ottomane de l’île, dont on pense qu’elles datent du XVIe siècle, ainsi qu’un ancien bâtiment des douanes. Ce projet est géré par TIKA, l’agence d’aide à la coopération et à la coordination turque, l’équivalent de l’USaid américain. Le président Erdogan s’était rendu au Soudan an décembre 2017, lors d’une tournée africaine, et avait déclaré devant le Parlement soudanais que le président Omar el-Béchir et lui parleraient affaires et partenariats. M. Erdogan avait aussi visité la Tunisie et le Tchad, dont le président Idriss Déby, qui était en Israël le mois dernier, avait brièvement coupé les ponts avec le Qatar dans la foulée de l’embargo saoudien, notamment parce que son ennemi le plus dangereux, Timam Erdimi, réside à Doha.


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