Fin octobre, les nœuds chrétien et druze enfin dénoués, la formation du gouvernement par Saad Hariri, cinq mois après les législatives, semblait imminente. Mais un nouveau dossier venait bloquer la mécanique : le retour sur le tapis, avec le soutien du Hezbollah, de la requête de six députés sunnites pro-8 Mars d’obtenir un siège au cabinet. Le 29 octobre, le parti chiite déclarait en effet refuser de fournir au Premier ministre désigné les noms de ses trois ministres chiites tant que ce dernier ne nommerait pas, dans sa quote-part ministérielle, un représentant de ces députés, que le Hezbollah qualifie de "sunnites indépendants".
Les députés au cœur de ce nouvel obstacle sont : Abdel Rahim Mrad (Békaa-Ouest), Adnane Traboulsi (Beyrouth II), Fayçal Karamé (Tripoli), Jihad Samad (Denniyé), Kassem Hachem (Marjeyoun Hasbaya) et Walid Succarié (Baalbeck-Hermel). C'est à la faveur de la nouvelle loi électorale (se basant sur un mode de scrutin proportionnel), que certains de ces politiciens ont fait leur retour dans l'hémicycle où ils forment un groupe baptisé la "rencontre consultative sunnite".
La "Rencontre consultative" et sa revendication
S'ils réclament, depuis l'annonce des résultats des législatives, un portefeuille au nom des "sunnites indépendants", le soutien que leur a apporté le Hezbollah a donné un poids nouveau à leur revendication. Leur prétention à représenter les "sunnites indépendants" est toutefois remise en question par le fait que trois autres députés sunnites n'appartenant pas au Courant du Futur se sont désolidarisés de ce groupe, à savoir, Fouad Makhzoumi (Beyrouth II), Nagib Mikati (Tripoli) et Oussama Saad (Saïda).
La revendication des six est soutenue par le Hezbollah qui reproche à Saad Hariri de vouloir monopoliser la représentation sunnite alors que ces six députés représenteraient, selon eux, 30% de l'ensemble de l'électorat sunnite de cette communauté. Le secrétaire général du mouvement chiite, Hassan Nasrallah, a également justifié ce soutien en déclarant que ces députés pro-8 Mars "ont empêché de transformer le bras de fer politique en conflit communautaire, comme le voulaient les Etats-Unis, Israël, l'Arabie saoudite et certains Libanais".
De leur côté, le Premier ministre désigné et le chef de l'Etat, Michel Aoun, qui sont les deux seuls pôles à nommer des ministres sunnites, refusent d'accéder à leur demande. Ils estiment que ces députés ne peuvent prétendre à un portefeuille, étant donné qu'ils ne constituent pas un bloc parlementaire unifié.
Qui sont donc ces six députés sunnites, dont la demande d'intégrer le gouvernement est considérée comme le dernier obstacle à la mise sur pied du nouveau cabinet, une mesure qualifiée par certains de prétexte soulevé par le Hezbollah pour empêcher la formation du cabinet ? Dans quel contexte ont-ils été élus ? Sont-ils tous historiquement pro-8 Mars et opposés à Saad Hariri ?
Abdel Rahim Mrad
Le député Abdel Rahim Mrad. Photo ANI
M. Mrad, né en 1942, est député de la Békaa-Ouest, où il s'était présenté sur une liste comportant des figures pro-8 Mars, tacitement soutenue par le Hezbollah. Figure phare du mouvement pro-syrien, Abdel Rahim Mrad a été député de 1991 à 2005 et a occupé, au cours de cette période, trois postes ministériels, notamment dans les gouvernements de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri (1995-1996, 2000-2003 et 2003-2004). En 2004, l'ancien Premier ministre Omar Karamé le nomme ministre de la Défense. Après l'assassinat de Rafic Hariri en 2005, il échouera à se faire nommer au poste de Premier ministre, puis aux élections législatives, face au Courant du Futur. Il retrouve son siège au Parlement en 2018, après avoir obtenu plus de 15 000 voix. Lors des consultations contraignantes menées par le président Aoun pour la désignation d’un Premier ministre, le député Mrad n'a pas rendu public le nom de son candidat.
Adnane Traboulsi
Le député Adnane Traboulsi. Photo d'archive.
M. Traboulsi est député de Beyrouth II. Membre des Ahbache, un mouvement islamique fondamentaliste pro-syrien, il s'était présenté sur une liste parrainée par le Hezbollah et Amal. Magistrat de carrière, il est élu député pour la première fois en 1992. Au début des années 2000, il fait partie des personnalités qui défendent le maintien de la présence syrienne au Liban. Dans le cadre des procédures judiciaires engagées après l'assassinat de Rafic Hariri, l'arrestation de deux responsables des Ahbache (les frères Mohammad et Ahmad Abdel-Aal, qui avaient passé des appels téléphoniques suspects quelques minutes avant l'explosion, mais qui seront plus tard relâchés), et la mobilisation de la rue sunnite autour du Futur, forceront les Ahbache à se retirer de la vie politique libanaise jusqu'en 2014. En mai 2018, M. Traboulsi a réintégré le Parlement en remportant plus de 13 000 voix. Lors des consultations contraignantes, M. Traboulsi avait désigné Saad Hariri pour former le futur gouvernement.
Fayçal Karamé
Le député Fayçal Karamé. Photo ANI
Député de Tripoli (Liban-Nord), membre du bloc de "l'alliance nationale" allié aux Marada, courant chrétien du Liban-Nord dont le leader actuel est Sleiman Frangié, Fayçal Karamé est très proche du président syrien, Bachar el-Assad.
M. Karamé est né en 1971, à Tripoli, dans une famille qui a donné au Liban plusieurs Premiers ministres. Son oncle, Rachid Karamé, qui détient le record de mandats à la tête du gouvernement libanais, s'était rapproché de la Syrie pendant la guerre civile. Le père de Fayçal, Omar Karamé, était pour sa part une des figures clés de la tutelle syrienne sur le Liban et sera rapidement confronté à la montée en flèche de Rafic Hariri. Il sera d’ailleurs forcé de démissionner de son poste de Premier ministre (auquel il avait accédé en octobre 2004) après l'attentat ayant coûté la vie à Rafic Hariri. Il était en effet accusé de ralentir l’enquête.
Fayçal Karamé avait été nommé ministre de la Jeunesse et des Sports dans le gouvernement de Nagib Mikati (2011-2014), rattaché au 8-Mars. Le Hezbollah avait insisté pour cette nomination, malgré le refus de M. Mikati, qui arguait qu’en cas de nomination de Karamé, trois des cinq sièges sunnites seraient détenus par des personnalités originaires de Tripoli (d'où sont originaires M. Mikati et le ministre de l'Economie de l'époque, Mohammad Safadi). M. Karamé avait été nommé malgré tout, après que le chef du mouvement Amal (allié au Hezbollah) lui ait cédé un siège de sa propre quote-part.
Le député Karamé a fait son entrée au Parlement en 2018 avec plus de 7 000 voix. Il avait nommé Saad Hariri lors des consultations parlementaires contraignantes "afin de soutenir l'entente prévalant dans le pays et tendre la main à tous les pôles politiques".
Jihad Samad
Le député Jihad Samad. Photo ANI
Jihad Samad a été élu député de Denniyé (Liban-Nord), après être arrivé en tête de la liste de Fayçal Karamé (avec près de 12 000 voix), avec lequel il s’était allié pour les législatives de mai. Il fait donc également partie du bloc de "l'alliance nationale" qui regroupe aussi les députés des Marada. Député depuis les années 90, Jihad Samad était politiquement proche de Rafic Hariri. Traditionnellement pro-syrien, il échouera à se faire élire au Parlement en 2009. Lors des consultations contraignantes au palais de Baabda, en 2018, M. Samad s'est abstenu de nommer un candidat, contrairement à l'ensemble de son bloc parlementaire, qui avait nommé M. Hariri.
Kassem Hachem
Le député Kassem Hachem. Photo ANI
Kassen Hachem est membre de la branche libanaise du parti Baas syrien (auquel appartient le président syrien) et député de Marjeyoun-Hasbaya (Liban-Sud), où il était candidat sur la liste du mouvement Amal. Né à Chebaa, au Liban-Sud, en 1960, M. Hachem siège au Parlement depuis 2000, où il a toujours fait partie du bloc parlementaire allié au mouvement Amal et au Hezbollah. Il est réélu d’office en 2005 et en 2009 il est élu avec le chef du Baas au Liban, Assem Qanso. Il sera réélu en 2018 avec plus de 6 000 voix. Au nom du bloc parlementaire du mouvement Amal, dont fait partie M. Kassem, Nabih Berry avait annoncé à l'issue des consultations contraignantes avoir désigné Saad Hariri pour former le futur gouvernement.
Walid Succarié
Le député Walid Succarié. Photo ANI
Walid Succarié est député de Baalbeck-Hermel, où il était candidat sur la liste du Hezbollah. Ancien chef d’état-major adjoint de l’armée libanaise jusqu’en 2002 et expert en affaires militaires, Walid Succarié a été élu au Parlement en 2009, après que son frère, l’ancien député Ismaël Succarié, se soit retiré de la course électorale à son profit. Il est depuis toujours un allié du Hezbollah.
Élu au Parlement en 2018 avec près de 7 000 voix, il fait partie du bloc du Hezbollah, qui avait décidé de ne désigner personne au poste de Premier ministre lors des consultations parlementaires. Pendant la campagne lancée contre le Premier ministre désigné, dans le cadre des tractations entourant la formation du gouvernement, M. Succarié s'est montré particulièrement virulent à l'encontre de Saad et Rafic Hariri. "L'écroulement financier du pays a commencé au moment où le Premier ministre Rafic Hariri est arrivé au pouvoir", avait-il lancé fin novembre 2018, accusant Saad Hariri de "se battre pour favoriser la victoire du projet américano-israélien dans la région".
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commentaires (10)
J'écoutais la TV française qui disait que l'économie au Liban est au plus bas, que les Syriens ont peur de rentrer chez eux parceque le petit Hitler les tuait , il y a eu 400.000 morts, je pense que le Hezbollah est content de voir comment vas le pays mais ils s'enfoutent ils ne sont pas des libanais
Eleni Caridopoulou
00 h 18, le 21 décembre 2018