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Liban - Écologie

Dans la Békaa, un nouveau mode d’agriculture responsable s’installe

Un collectif d’agriculteurs français propose des cycles de six semaines de formation à des réfugiés syriens.

C’est l’heure des fous rires et des selfies, quand les participants enfilent les combinaisons d’apiculteurs.

En quittant la route principale de Saadnayel, dans la Békaa, une route cahoteuse mène aux premières tentes des camps de réfugiés syriens. Rapidement, sur la droite, deux hectares de plants colorés et de verdure se détachent. Des rires et des discussions animées parviennent au loin, d’un petit corps de ferme à moitié caché par des toiles tendues. Depuis quelques semaines, une trentaine de réfugiés volontaires se réunissent chaque samedi dans la ferme-école de « Buzuruna Juzuruna » pour participer à une formation sur « l’agro-écologie ».

Derrière cette notion se trouve un retour aux fondements agricoles, pour une agriculture plus raisonnée et plus respectueuse des ressources naturelles. Le but de l’agro-écologie est de parvenir à un équilibre pour préserver la biodiversité : exploiter les capacités de production des sols tout en préservant leur capacité à se renouveler.

Pour mettre en œuvre ce modèle, il faut disposer de solides compétences en agronomie et en écologie : c’est ce qu’apportent, « depuis deux printemps », Lara et Ferdinand, diplômés d’agronomie, d’abord à la ferme de Taanayel puis à Saadnayel. Avec Zoé, la sœur de Ferdinand, ils ont apporté une collection de semences paysannes, complétée depuis 2015 par des variétés proche-orientales et méditerranéennes. Plus résistantes que les semences hybrides, vendues par les grands semenciers et cultivées sans intrants chimiques, ces semences sont ensuite multipliées, sélectionnées pour leur résistance au climat local et stockées dans une « maison de la semence » à Taanayel.

L’objectif du collectif d’agriculteurs derrière la ferme-école de « Buzuruna Juzuruna » est de rendre accessible au plus grand nombre ce riche patrimoine semencier, particulièrement dans les zones rendues difficiles d’accès, comme en Syrie. « Le patrimoine semencier, c’est une fois qu’on l’a perdu que l’on se dit “mince, si j’avais su…”. Cette situation s’est d’ailleurs produite dans plusieurs pays », explique Lara. « En Syrie, cela représente un gros défi. Au Liban après la guerre civile, c’était pareil. Mais aujourd’hui, pour plein de raisons différentes, les gens sont prêts à se mettre au bio, à l’organique. » « Buzuruna Juzuruna » signifie « Nos graines, nos racines », résumant la philosophie de la ferme-école : une autre agriculture est possible au Liban et peut bénéficier à tous, aux agriculteurs présents dans la Békaa, aux réfugiés syriens désireux de travailler la terre et à ceux, agriculteurs de métier aujourd’hui privés de leurs terres dans leur pays natal, sans oublier les « néoruraux » souhaitant exploiter de nouveau leurs terres, ou encore les citadins à la conscience écologique aiguisée.

Proposer une formation commune s’est donc rapidement imposé pour Ferdinand : « Nous avons constaté que les gens étaient très intéressés par la redécouverte des techniques de l’agriculture bio. Nous nous sommes donc dit qu’en même temps que notre travail, nous pouvions faire de la formation, de la réappropriation des savoir-faire qui existaient déjà bien sûr, mais qu’il fallait se les réapproprier puisqu’ils avaient disparu pendant les deux dernières générations. »

Un premier cycle de formation, financé par Cosve, une ONG italienne financée en partie par des fonds européens, s’était déroulé avec succès pendant l’hiver dernier. Le programme reste inchangé pour le deuxième cycle qui a pris fin début décembre, à l’issue de journées consacrées à la fabrication artisanale du savon, au recyclage, à la gestion des déchets, au compostage, à la fertilité des sols, à la production de semences et à la construction via des méthodes traditionnelles, avec la terre notamment.


(Lire aussi : À Terbol, une banque de semences pour conserver des graines saines et résistantes)


De l’apiculture aussi

Un samedi a été consacré à l’apiculture, si essentielle pour la pollinisation. Le matin est studieux, consacré à la formation théorique. Tous les participants sont assis dans une salle de classe autour d’un vidéoprojecteur et attentifs à l’exposé de l’intervenant du jour, Bassam Khawand. Le président de la coopérative agricole de Saidoun, apiculteur de métier et membre actif de Soils (une association libanaise promouvant la permaculture), est ravi de sa classe : « Cette journée a été formidable, tout le monde est attentif. Il y a eu beaucoup de questions ce matin, sur la reine, la cire, les piqûres… La pollinisation est la première fonction des abeilles. Tout le reste, le miel, les autres produits, ce n’est pas aussi important. Lorsque nous protégeons les abeilles, c’est la nature que nous protégeons en même temps. »

L’après-midi, les ruches de la ferme sont ouvertes aux participants, qui prennent des allures de cosmonautes dans leurs larges combinaisons d’apiculteurs. Autour des réfugiés hilares, Salem el-Azouak s’active. Arrivé de Damas avant la guerre, il s’occupe de la pulvérisation des biopesticides sur les 130 variétés cultivées à « Buzuruna Juzuruna ». À la fin de la journée, il confie : « J’aimerais parler à tout le monde. Tout le monde a besoin d’une formation en agriculture organique. J’ai envie d’aller dans les camps, d’apprendre aux réfugiés à planter, arroser, composter. Ici, les gens sont très heureux de la formation. » Les sourires, les remerciements, les selfies en témoignent. Dahlia, une fidèle participante, est ravie : « J’avais déjà suivi la formation sur les graines et c’est toujours aussi bien, toujours aussi intéressant. J’ai appris plein de choses. »

La formation est gratuite pour la trentaine de réfugiés volontaires, entièrement financée grâce à des subventions du ministère fédéral allemand de la Coopération et du Développement. Des participants extérieurs peuvent se joindre aux journées de sensibilisation, dans une « cohésion » qui satisfait Lara : « Cela crée des ponts entre des gens qui, à première vue, n’ont pas grand-chose à se dire ; entre des réfugiés syriens, palestiniens ou des travailleurs libanais et des Beyrouthins qui ont un pouvoir d’achat et qui ont envie de manger bio (…) Tout le monde y trouve son compte. C’est super de pouvoir les voir se rencontrer dans un même lieu. Tout le monde est là pour apprendre. » Aujourd’hui, la ferme-école fait vivre plus de trois familles, grâce aux subventions et surtout grâce à la vente de paniers de légumes à Zahlé et à Beyrouth, une fois par semaine.


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